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13 mars 2017 1 13 /03 /mars /2017 16:14

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

Comment sortir la gauche de l'impasse
Par Joseph Confavreux, Hugues Jallon et Rémy Toulouse
 
 

Peut-on faire autre chose que déplorer l’effondrement de la gauche ? Il est urgent d’imaginer une autre voie, qui ne soit ni la « troisième », ni une impasse, ni condamnée à rester éternellement minoritaire. À condition d’un réarmement intellectuel en profondeur et d’un réexamen des lignes de fracture politiques. Un article de la Revue du Crieur.

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Donald Trump vient d’accéder à la tête de l’État le plus puissant de la planète et de confier les clés du monde à ceux qui en précipitent la chute : les ultra-riches ( la fortune cumulée des quelques membres de son administration dépasse le patrimoine combiné de plus de 100 millions de ses concitoyens ), les adeptes les plus fervents du capitalisme décomplexé ( un climato-sceptique à l’environnement, un avocat-lobbyiste de Wall Street à la régulation de l’économie, un P.-D.G. d’Exxon comme chef de la diplomatie, etc. ), les tenants de la réaction sociale ( un antiavortement opposé à l’ObamaCare à la santé, une partisane de l’école privée à l’éducation, un sympathisant de l’alternative right raciste comme directeur de cabinet, etc. ).

 

Donner aux pontes de Goldman Sachs les postes ministériels déterminants ne constitue pas une innovation. Un Républicain ( George Bush père ) et un Démocrate ( Bill Clinton ) s’y étaient exercés avant lui. Il serait donc trop facile de diaboliser la figure du magnat de l’immobilier et du professionnel de la téléréalité pour s’exonérer des erreurs commises par le passé. La victoire de Donald Trump, aiguisée par le désarroi croissant de nombreuses catégories populaires et portée par le vote des groupes sociaux privilégiés, constitue en effet à la fois l’aboutissement de logiques antérieures et un vertige inédit, qui ne se limite pas aux États-Unis.

Désormais, les « démocrates », qu’ils soient américains ou italiens, les « socialistes » français ou les « travaillistes » britanniques ne peuvent plus occulter leurs responsabilités dans l’arrivée aux affaires de personnages issus des mêmes moules qu’eux, mais affichant leur volonté de « rupture », même si cette rupture consistera souvent d’abord à accélérer les politiques économiques et les tentations autoritaires mises en œuvre par une social-démocratie ayant largué les amarres avec son héritage et perdu les tables d’orientation de son avenir. L’abandon de pans entiers du peuple sous l’effet de politiques inégalitaires expose en plein jour les impasses du chantage à une politique du « moins pire », tout comme les limites d’un réflexe de « vote utile », souvent devenu inutile.

Dans le même temps, cet événement doit produire un électrochoc dans les manières de penser à gauche, dans un contexte géopolitique de militarisation des tensions et de pleine santé des pouvoirs autoritaires aux portes de l’Europe ou en son sein. Ce vertige oblige en effet la gauche à sortir de ses impasses stratégiques et politiques, mais aussi intellectuelles : il ne suffit pas que l’histoire lui ait donné raison, que ce soit en matière économique avec la crise bancaire et financière de 2008, dont le marasme se poursuit jusqu’à aujourd’hui, ou sur les questions écologiques, alors que l’année 2016 a été la plus chaude de l’histoire depuis que les relevés météorologiques existent.

D’un côté, le triomphe sans fard des bénéficiaires et des responsables des abysses d’inégalités ( selon Oxfam, les huit personnes les plus riches du monde détiennent désormais une richesse égale à celle de la moitié la plus pauvre de la population mondiale) est proprement effrayant. Les Bourses affichent des hausses impressionnantes, juste après avoir exprimé leur « inquiétude » au lendemain du Brexit ou de l’élection de Donald Trump. François Fillon n'hésite pas à se revendiquer de Margaret Thatcher.

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Cette offensive tous azimuts – économique, politique et culturelle – est en train d’éloigner définitivement de la scène une gauche démotivée et dépeuplée ( qui a déjà largement déserté les urnes ) et des catégories populaires dont la confiance dans les institutions et l’élection s’est effondrée au point d’interdire quasiment la victoire de candidats réellement progressistes. La désaffection profonde des catégories populaires vis-à-vis des programmes de la gauche gouvernementale, qui ne leur promet aucun changement autre qu’en paroles, s’inscrit dans un monde devenu marchandise et dans le triomphe de la « société de marché » annoncé par Karl Polanyi. Le « nouvel esprit du capitalisme » étudié par Ève Chiapello et Luc Boltanski s’est imposé, et on mesure tous les jours l’« épanouissement » de cette subjectivité néolibérale analysée par Pierre Dardot et Christian Laval.

 

Les politiques économiques et sociales appliquées par des gouvernements de grande coalition, ou aux couleurs politiques de plus en plus brouillées, ont induit une nouvelle « raison du monde », qui n’est ni un retour au libéralisme classique ni la restauration d’un capitalisme « pur ». Ce régime qui érode la conception traditionnelle de la démocratie ne se contente pas de voir dans le marché une donnée naturelle qui limiterait l’action de l’État. Il prétend faire de celui-ci la norme de toutes les sphères de l’existence humaine, et de l’entreprise et de la concurrence les modèles du gouvernement d’un sujet devenu entrepreneur de lui-même. L’« oracle » prononcé dès 2005 par le multimilliardaire Warren Buffet ( « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner » ) a ainsi été réalisé au-delà de ses espérances, matériellement, culturellement, voire anthropologiquement.

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De l’autre côté, sans fantasmer rétrospectivement une période où les camps auraient été cohérents et les lignes orthogonales, le temps est à la confusion politique générale. Qu’un Alain Madelin, ancien porte-étendard du reaganisme français, en vienne à dénoncer dans le programme de François Fillon une « purge patronale » ou qu’un Emmanuel Macron intitule son livre Révolution devrait, en temps normal, simplement prêter à sourire. Mais, par temps obscurs, ce confusionnisme constitue le vecteur des pires recalibrages politiques, que ce soit en termes de trajectoires personnelles ou – plus grave – de mouvements de fond. Surtout, il vient prendre le camp progressiste à la fois en étau et à revers, au motif que les mots que Marine Le Pen s’est appropriés ( le « peuple », les méfaits de la mondialisation et de l’Europe, le souci des « invisibles », le « descenseur » social… ) seraient devenus « inemployables ».

 

Faire que le confusionnisme ne soit pas le tombeau définitif de la gauche face à une droite radicalisée et triomphante impose des recompositions politiques, des clarifications idéologiques et des débats stratégiques. En allant au-delà des appels convenus à la « résistance » ou des considérations nébuleuses sur la « post-politique » ou la « post-vérité ». Comme le relevait l’économiste et philosophe Frédéric Lordon de manière cinglante, « la post-politique est un fantasme. Elle est le profond désir du système intégré de la politique de gouvernement et des médias mainstream de déclarer forclos le temps de l’idéologie, c’est-à-dire le temps des choix, le désir d’en finir avec toutes ces absurdes discussions ignorantes de la “ réalité ”, dont il nous est enjoint de comprendre que, elle, ne changera pas ». Slavoj Zizek s’était, de son côté, employé à montrer, quelques années plus tôt, que ce qui avançait sous le masque de la « post-idéologie » était probablement l’idéologie la plus efficace ayant jamais régné.

Ce constat impose aussi de ne pas s’exonérer face à une descente aux enfers qui exige une remise en cause profonde de nos manières de penser. Les gauches ont en effet une lourde part de responsabilité dans leur faiblesse actuelle, même si l’offensive néolibérale menée depuis plus de 30 ans, l’effondrement du bloc soviétique et la fin de l’idée d’une alternative existante au capitalisme, l’essoufflement de l’idée de progrès et la mondialisation ont objectivement renforcé la droite.

Les reniements répétés, par le ralliement de tous les partis de la gauche institutionnelle à la vulgate néolibérale, à la « bonne gouvernance » des affaires sociales et économiques qui, avec l’homogénéisation sociale croissante des élites politiques, a achevé de séparer la gauche de gouvernement de la gauche réelle, plongeant cette dernière dans une incapacité à se projeter dans l’idée de « gouverner » ou même simplement de se retrouver en position hégémonique, sont les premiers responsables de cet affaiblissement. Mais la gauche fière d’être restée « de gauche » ne peut pas faire non plus l’économie d’une profonde introspection. « Notre époque n’est pas une fête et nous y avons contribué », rappelait un personnage du film Le Pornographe, de Bertrand Bonello.

La fête et la peur ont changé de camp depuis plusieurs décennies, et la gauche ne peut plus guère s’appuyer sur les cadres de pensée et d’action qui ont fait son succès au XXesiècle, dans sa version communiste ou sociale-démocrate : le prolétariat, le sens de l’histoire, le progrès, etc. Son paysage est fragmenté comme jamais, et chacun tente de convoquer ou de révoquer un héritage en miettes, faute d’avoir une vision claire des chemins qu’elle pourrait encore emprunter. Les orphelins d’une gauche combative qui ne s’excuse pas d’être elle-même en sont réduits à la déploration de cette fragmentation ou, pour les plus optimistes, à l’appel à recoller les morceaux.

Pourtant, la fragmentation n’est pas, en soi, rédhibitoire, comme le montre la capacité de Marine Le Pen à accommoder une ligne incarnée par Florian Philippot avec celle dont Marion Maréchal-Le Pen est la principale représentante. Et, dans une certaine mesure, l’éclatement à gauche témoigne d’une effervescence peut-être supérieure à celle des décennies d’hégémonie intellectuelle de la gauche, où régnait une certaine doxa communiste.

Plutôt que de traquer sans cesse les grands écarts bien réels d’une Marine Le Pen ou d’un Donald Trump, la gauche ferait bien de voir comment certaines contradictions sont surmontables et peuvent même engendrer des scores majoritaires, à deux conditions : être arrimées à un projet puissant, susceptible de mobiliser les affects et la raison ; et s’inscrire dans une conception dynamique et non arithmétique de l’espace politique. Pendant cinq ans, François Hollande n’a ainsi cherché qu’à être le barycentre d’une gauche « molle », qu’Emmanuel Macron tente aujourd’hui de dépasser par la droite, Benoît Hamon par la gauche et Jean-Luc Mélenchon par l'extrême gauche. Une dynamique forte à gauche ne se fera pas sans visée inclusive, mais pas non plus par la recherche d’un improbable équilibre en son centre.

Réflexes

Mais une telle alchimie ne peut se contenter d’une mécanique de convergence ou d’une synthèse édulcorée. Elle suppose ainsi d’abord d’abandonner certains réflexes de pensée, dont le premier est cette « pensée tiède » identifiée en son temps par Perry Anderson. Cette « pensée tiède » a fait du socialisme de François Hollande sa terre d’élection et dispose de relais médiatiques et éditoriaux aussi puissants que convenus, ne laissant apparaître les pensées dissidentes qu’en les reléguant dans les marges ou en les enfermant à l’intérieur de « débats », à la fois désactivés sur le fond et artificiels sur la forme.

Cette pensée prétendument tempérée refuse de prendre sa responsabilité dans le marasme, alors que la « raison » n’est pourtant pas du bord de ceux qui font semblant de chercher une voie moyenne, plus juste, plus raisonnable, en réalité seulement plus frileuse. De même qu’une gauche d’antan soi-disant « responsable » avait voulu, hier, disqualifier la gauche altermondialiste – jugée par elle irresponsable, archaïque et tiers-mondiste – sans parvenir pour autant à endiguer la dynamique néolibérale responsable de tant d’inégalités et de violences –, une gauche d’aujourd’hui qui se présente comme « réaliste » doit assumer sa responsabilité historique : celle d’avoir été le meilleur agent de la néolibéralisation des sociétés française et européenne depuis plus de 20 ans, en prétendant emprunter une « troisième voie » qui a, en réalité, pris, sous les traits de Tony Blair ou Gerhard Schröder, la figure du renoncement et de la conversion.

 

La lucidité, désormais, consiste à refuser cette pensée tiède, dont une variante majeure emprunte le visage de l’expertise. On l’a vu lorsque des gouvernement de techniciens ont prétendu, en Italie ou en Grèce, « prendre le relais » du politique et de la démocratie sous la houlette d’institutions supranationales non élues, démonétisées, voire découvrant sur le tard les méfaits des politiques qu’elles avaient fait appliquer à coups de bâton, comme le FMI dans son rapport du printemps 2016.

Ce refus de la pensée tiède ne signifie pas, pour autant, le refus de tout compromis puisque, de même qu’on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis, on ne peut penser d’alliances et de coalitions qu’avec des dissemblables. Aucune chapelle de la gauche ne peut prétendre aujourd’hui l’emporter en demeurant dans un splendide isolement. Le travail d’organisation, de réorganisation et de réarticulation d’une hégémonie culturelle aujourd’hui battue en brèche doit produire une pensée qui rapproche et qui abandonne ces rigidités de posture présentes dans tous les secteurs de la gauche.

Cette rigidité est notamment répandue chez certains contempteurs de la « pensée unique » ayant endossé, dans un contexte intellectuel submergé, après 1989, par une doxa médiatico-intellectuelle convaincue que la révolution et l’idée communiste appartenaient définitivement au passé, le rôle de rappeler la pertinence de la critique anticapitaliste et antilibérale. Leur indéniable lucidité d’antan autorise certains d’entre eux à se croire les « gardiens du temple » de la radicalité et les porte-parole exclusifs d’un radicalisme oscillant entre impasses stratégiques et conformisme sûr de lui, à partir de constats pertinents, mais qui, à force de servir de seule boussole politique, conduisent à des impasses stratégiques les condamnant à rester ultra-minoritaires.

Ces porte-parole se refusent à voir ce qui surgit et se contentent finalement de rabattre les monstres actuels sur les structures qui les ont engendrés, de multiplier les procès en tartufferie envers quiconque ferait un pas vers eux s’il ne les a pas accompagnés depuis le berceau et de s’isoler dans des replis sectaires plutôt que d’affronter la possibilité de causes communes. Cette radicalité-là est victime de son « mono-idéisme », qui peut prendre pour sujet aussi bien l’obsession de la sortie de l’Union européenne, que la question coloniale ou l’impérialisme américain.

On a vu ainsi un économiste de l’EHESS frayer avec le Front national au motif qu’il serait le seul parti prêt à rompre avec l’euro ; des intellectuels « indigénistes » défendre des mariages non mixtes entre « non-Blancs » en révoquant de fait l’histoire des luttes émancipatrices de la gauche, en particulier le féminisme ; des anticapitalistes vomir Mélenchon parce qu’il a été sénateur socialiste et qu’il ne chercherait qu’à « rabattre » des voix pour le PS ; ou encore le candidat de la « France insoumise » renvoyer dos à dos les Mig ultramodernes de l’aviation russe et les roquettes antichar des rebelles d’Alep par réflexe anti-impérialiste et antiaméricain.

Le troisième écueil dans la manière de raisonner se situe à l’exact opposé de la pensée rigide et prend la forme d’une pensée-girouette, dont Manuel Valls, après Arnaud Montebourg, a été l’incarnation, que ce soit sur le 49.3, la Cour de justice de la République ou la prétention bien illusoire à rassembler deux gauches qu’il jugeait incompatibles. Il existe en effet de réelles lignes rouges qui ne permettent ni circulation alternée ni navigation au gré des flux électoralistes ou des tendances médiatiques...

 

*Suite de l'article sur mediapart

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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