De nombreux contre-exemples existent. Ainsi, une bonne partie de la période sur laquelle portent les soupçons d’emplois fictifs visant Penelope Fillon remonte à plus de douze ans (1986-2004). Ce délai de prescription aurait également pu poser des problèmes pour judiciariser certaines grandes affaires des dernières décennies, comme l’affaire de Karachi.
L’ancienne magistrate financière Eva Joly, aujourd’hui eurodéputée écologiste, cite trois exemples d’affaires qui peuvent éclater très tardivement :
- « Beaucoup d’abus de biens sociaux dans les mairies ou les grandes entreprises ne sont généralement découverts qu’en cas d’alternance politique ou de changement d’actionnaire – ce qui n’intervient pas tous les quatre matins. »
- « Certains abus de faiblesse sur des personnes âgées ne sont découverts par les héritiers que longtemps après les faits. »
- « Et si on découvrait aujourd’hui d’énormes malversations sur des rétrocommissions en marge d’un contrat de vente d’armes en 2004, ou des flux libyens, pourquoi se priverait-on de les poursuivre ? »
Il faut toutefois noter que plusieurs outils juridiques permettent à la justice de « rattraper » des faits déjà prescrits. Le droit français considère par exemple qu’un recel ou une fraude fiscale continuent de produire leurs effets longtemps après l’infraction originelle, car l’argent qui en est issu est toujours dans les mains du coupable. La prescription est donc décalée. En revanche, un abus de bien social est d’effet immédiat.
- « Douze ans après les faits, un certain nombre d’éléments de preuve sont difficiles à rapporter, les délais de conservation pour la plupart des documents n’étant que de dix ans. »
C’est trompeur
Ce problème peut en effet compliquer le travail des enquêteurs. Mais Eva Joly, qui a passé douze ans au pôle financier du palais de justice de Paris, rappelle que « les flux financiers laissent des traces » et que, contrairement à la mémoire des témoins, « leur qualité ne diminue pas avec le temps ». « Les banques ont très souvent des historiques et des dossiers qui remontent au-delà de dix ans, ajoute Mme Joly. Et si le parquet ne rassemble pas assez d’éléments, il peut classer l’affaire. » On voit donc mal ce qui justifierait ce renoncement de la justice devant la difficulté.
- « S’opposer à cette disposition sur la délinquance financière, c’était prendre le risque de faire échouer l’ensemble de la réforme. »
C’est faux
LCP assure que si les députés ne se sont pas opposés à la date butoir introduite par le Sénat, c’est par manque de temps : une modification du texte par l’Assemblée nationale aurait provoqué une nouvelle navette au Sénat, et fait courir le risque que la réforme ne soit pas adoptée définitivement avant la suspension de la session parlementaire, le 22 février – renvoyant le dossier à la prochaine mandature, après les législatives de juin 2017. « Il n’y avait pas d’autres solutions, il fallait faire preuve de sagesse, a expliqué le député PRG Alain Tourret à la chaîne parlementaire. Mon obsession, c’était d’arriver à un accord avec le Sénat. Il fallait y parvenir et le délai était court… »
Sauf que la date butoir de douze ans a été introduite en octobre 2016, et qu’il y a eu entre-temps cinq autres lectures du texte (trois à l’Assemblée et deux au Sénat). Si cette disposition n’a pas bougé, c’est donc davantage pour préserver le consensus fragile entre députés, sénateurs et gouvernement, que par manque de temps.
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