Propos recueillis par Arnaud Gonzague
Source : http://tempsreel.nouvelobs.com
Ce mardi, ces perturbateurs hormonaux auraient enfin pu être définis par la Commission européenne. Et donc limités… Mais les lobbys ont gagné.
Ce mardi 28 février aurait pu figurer comme une date importante dans l’histoire de l’écologie européenne : c'est ce jour qu’une définition satisfaisante des perturbateurs endocriniens aurait pu être donnée.
Et s’il est si crucial de définir sur le plan réglementaire ce qu’est une molécule qui, comme son nom l’indique, perturbe les hormones humaines ("endocrinien" est un synonyme d’"hormonal"), c’est que cela aurait pu conduire à leur limitation, voire à leur interdiction totale, d’abord dans les pesticides chimiques, ensuite dans notre quotidien (plastique, cosmétiques, détergents...). Et ils y sont nombreux !
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Mais une fois de plus, cette définition n’a pas été retenue par les pays, alors que les dangers de ces produits sont scientifiquement documentés. Pourquoi cet immobilisme ? Nous avons posé la question à Stéphane Horel, journaliste indépendante et auteure d’"Intoxication" (La Découverte), enquête édifiante sur le poids du lobbying dans ce dossier.
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Pourquoi ce mardi était-il une échéance importante dans le dossier des perturbateurs ?
- C’est aujourd’hui que la Commission européenne a soumis aux Etats-membres un acte d’exécution, c’est-à-dire un texte qui aménage un règlement – en l’occurrence, le règlement de 2009 sur la mise sur le marché des pesticides. Derrière cette démarche technique, se cachait une décision cruciale : la définition réglementaire de ce qu’est un perturbateur. Rappelons que cette définition aurait dû être donnée en décembre 2013 par la Commission, que la Cour de justice européenne a d’ailleurs condamné ce retard, que c’était aujourd'hui la quatrième version de ce texte… et qu’il n’est toujours pas satisfaisant.
Pourquoi pas satisfaisant ?
- Parce que la Commission a une fois de plus soumis un texte inapplicable : les critères pour définir la nocivité d’un perturbateur exigent un niveau de preuve impossible à atteindre. Evidemment, ceci n’est pas fortuit : les lobbys agricoles et industriels européens, notamment l’industrie chimique, ne désirent pas que des directives soient passées pour limiter, voire interdire ces molécules dont la dangerosité a été pourtant établie de longue date.
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Les enjeux économiques sont trop lourds ?
- C’est un faux argument brandi par les lobbys et leurs représentants. Un seul exemple : l’industrie des pesticides agricoles européenne pèse 7 milliards d'euros. C’est faible à la dimension de l’Europe. Mais savez-vous combien coûtent aux sociétés les conséquences sanitaires de ces molécules ? 157 milliards ! En raison de leur rôle de perturbation hormonale, elles sont en effet reliées à un grand nombre de pathologies : cancers du sein, de la prostate, du sein, diabète, obésité, autisme, hyperactivité, infertilité, baisse du QI… Les études scientifiques sont nombreuses, concordantes et accablantes. Et naturellement, le coût économique de ces fléaux n’est pas l’essentiel : leur coût humain est désastreux.
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Mais interdire les perturbateurs en Europe n’avantagerait-il pas automatiquement nos rivaux, les industries américaines ou asiatiques ?
- Pas du tout. Pour pénétrer sur le marché européen, ces produits, d’où qu’ils viennent, devront évidemment respecter les réglementations européennes, donc être soumis aux mêmes "contraintes" sanitaires.
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Dans ce qui ressemble à une démission des élites européennes, quel rôle joue la France ?
- Elle n’a cessé de se montrer ambitieuse sur ce dossier. C’est la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal qui, en 2014, a tiré cette problématique du fossé d’indifférence dans laquelle l’Union européenne l’avait jetée. Et, même si l’on ne sait pas tout de ce qui se trame en coulisses, la France compte parmi les pays (avec la Belgique, la Suède et le Danemark) qui exigent que la définition donnée par la Commission européenne soit sérieuse et applicable. Hélas, l’Allemagne est depuis toujours ambiguë, à cause de la puissance de son industrie chimique, Bayer et BASF en tête.
Le fait que Benoît Hamon ait fait des perturbateurs endocriniens l’un de ses chevaux de bataille dans la présidentielle est-il révélateur d’un changement de mentalité ?
- C’est très surprenant en effet ! Voilà longtemps que je me bats, en tant que journaliste, pour que cette question sorte des pages "Conso" et rejoigne les pages "Politique". C’est chose faite, me semble-t-il, depuis que Benoît Hamon en a parlé en prime time dans une émission politique. Ne pas donner une définition satisfaisante de la nocivité des perturbateurs n’est pas un choix scientifique ou technique : c’est un choix politique, dont nous devrons répondre devant nos enfants.
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