Source : http://www.marianne.net
En 2015, idTGV, la filiale de la SNCF, lançait une offre " illimitée" et révolutionnaire à soixante euros par mois pour fêter ses dix ans : idTGVMAX, réservée aux 10.000 premiers abonnés formant "la communauté des Maxtrotters". Deux ans plus tard, la fin brutale de l’expérience a déclenché une bronca inédite dans l’histoire du rail.
« IDTGVMAX s’arrête, merci pour tout », annonçait le 25 janvier dernier un mail de l’entreprise. Pour beaucoup, c’est un choc : « J’avais organisé ma vie autour de cet abonnement, raconte Mikaël, 29 ans. Je suis pompier professionnel, je travaille à Paris mais toute ma famille et ma fiancée vivent à Marseille. Grâce à idTGVMAX, je peux rentrer chez moi chaque semaine, voire deux fois par semaine, quand mes gardes prennent fin. Même si cette carte oblige à se montrer flexible sur les horaires, à tenir compte d’un nombre de trains et de places limitées pour les abonnés (47 par rame pour les liaisons Paris-Sud-est, une vingtaine pour le Sud-ouest), là, je suis vraiment dégoûté. »
Les témoignages du même cru se comptent par centaines sur la page du groupe Facebook où se rassemblent les mécontents. Ceux-là pensaient que, loin de disparaître, iDTGVMAX se développerait, et nombre d’entre eux avaient convaincu des proches d’y souscrire le moment venu. Intermittents du spectacle, graphistes, pigistes, autoentrepreneurs et autres indépendants ayant pu trouver du travail loin de leur domicile, retraités, père ou mère divorcés comme parents d’enfants hospitalisés à l’autre bout du pays, tous ont déversé un flot de tweets et de commentaires rageurs sur la Toile, parasitant le plan marketing mis en place pour le lancement de « TGV Max », une offre équivalente, mais limitée aux 16-27 ans.
« Nous ne sommes pas des cobayes », tel est le slogan opposé par les maxtrotters à iDTGV, qui se définit comme le « laboratoire à idées de la SNCF ». De fait, les données liées à leur usage du train ont été collectées via l’application qui sert à réserver des voyages. Dès lors, la maison mère a pu calibrer une offre exclusive, dont 70 % des maxtrotters sont exclus en raison de leur âge.
La plupart ne peuvent pas non plus souscrire aux anciens abonnements, offrant de voyager en illimité sur une seule ligne pour huit à dix fois plus cher. Rapidement, une pétition en faveur d’un transfert vers l’offre TGV Max a dépassé les 5.000 signatures. « Et tous les maxtrotters n’ont pas encore reçu le mail de résiliation », précise Raphaël, un des meneurs de la fronde. Dans la foulée, plusieurs avocats membres de la communauté ont planché sur les trente-sept pages des conditions générales de vente et assurent avoir trouvé de multiples failles.
Plutôt réactive, la compagnie nationale a proposé de rencontrer quarante abonnés le 1er février « pour envisager des solutions », selon les termes du mail envoyé aux représentants des maxtrotters par Fabrice Toledano, directeur général d’iDTGV.
« J’ai refusé que les journalistes soient présents, prévient Isabelle Bascou, secrétaire générale de SNCF Voyages. Nous ne communiquerons pas avec l’extérieur, je vous demande d’en faire autant. » Pas de bol, Marianne y était. Et nous avons pu constater que l’opération, confiée aux bons soins de NODA, une « agence d’innovation collaborative », ressemblait fort à de l’enfumage : « iDTGVMAX n’est pas rentable », lâche d’emblée Pierre Matuchet, directeur marketing Voyages SNCF. Alors que ses trains n’affichent pas des taux de remplissage optimaux – améliorés grâce à la vente de ces abonnements qui commercialisent une part des places invendues –, la formule a, il faut le dire, généré 14,4 millions d’euros de chiffre d’affaires, sans compter la croissance des revenus de la voiture bar.
En face, certains sont à cran et les éclats de voix fusent : « Vous nous avez méprisés ! Le 13 janvier, on reçoit un échéancier des prélèvements pour 2017 et un avis de tacite reconduction de l’offre, et vous annulez tout par mail douze jours plus tard. C’est scandaleux ! », lance un abonné, bientôt couvert par d’autres, avides de clamer leur désarroi et leur incompréhension. « On n’avait pas réalisé à quel point vous avez construit vos vie autour de cette carte, tempère Isabelle Bascou. Notre objectif est de trouver une solution à vous tous à partir du 27 avril », date de la fin d’iDTGVMAX.
Les maxtrotters sont alors invités à se joindre à l’un de cinq « ateliers » créés en fonction de leur situation, désignés par des vocables issus d’un intense brainstorming : « Bilocalisation personnelle, bilocalisation professionnelle, etc. » Là, les participants s’épanchent tour à tour auprès d’empathiques animatrices sur la fréquence et la raison de leurs voyages, confient ce que la carte a changé pour eux, les conséquences de sa suppression, sans oublier le montant dont ils seraient prêts à s’acquitter pour jouir d’une offre plus ou moins calquée sur leurs besoins.
« On se demande s’ils ne font pas une étude de marché en vue de l’ouverture du rail à la concurrence », s’interroge un représentant des maxtrotters au terme de quatre heures d’échanges. « Ils vous ont complètement sucré, s’agace un abonné renseigné par internet du déroulement de la soirée. Pour lui, la SNCF ne tardera guère à faire la « bascule sur des abonnements isolés et éparpillés, facilement résiliables par la suite... » Ce que dément Isabelle Bascou. Rendez-vous est pris dans un mois, pour la présentation de « solutions pérennes. »
*L'auteur, journaliste pour Marianne, fait lui-même partie des voyageurs concernés.
Source : http://www.marianne.net
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