Les salariés partagés
Les salariés sont partagés sur leurs conditions de travail. Si tous reconnaissent qu’ils travaillent dans des environnements agréables et modernes, la plupart se disent plus fatigués qu’avant. Les raisons de cette fatigue :
- La difficulté à se concentrer dans des espaces qui peuvent accueillir jusqu'à 70 personnes
- Les déménagements répétés
Les adeptes du « Sans Bureau Fixe » travaillent souvent à l’extérieur et sont plutôt jeunes. Partager un bureau ou en changer ne leur pose aucun problème. Delphine Olawaiye, une jeune salariée du pôle communication digitale chez Sanofi, est séduite par le brassage de population :
"Les relations hiérarchiques entre les personnes sont plus assouplies. C'est plus simple parce qu'on est tous au même bureau. Qu'on soit manager, stagiaire ou collaborateur, cadre, ce qui est intéressant c'est de trouver une aide insoupçonnée chez des collègues qui font partie d'une autre équipe".
Les salariés les plus critiques sont les sédentaires - rarement amenés à travailler à l’extérieur - et les plus âgés. Ils disent avoir perdu leurs repères et regrettent de ne plus pouvoir personnaliser leur bureau avec la photo de leurs enfants. Patrick Parisi, élu CGT de Sanofi, affirme, que ces espaces de travail isolent, « parce qu’on ne sait plus où trouver un collègue ». D’autres ont peur que la perte de leur bureau ne préfigure la perte de leur emploi.
Le travail devient une épreuve
Pour la sociologue du travail, Danièle Linhart, ce sentiment est le résultat d'une stratégie de management :
"Les gens sont mis dans une situation d'apprentissage permanent. Il y a cette idée que chaque journée est une épreuve. Il faut être au top de sa forme, confiant, serein, arriver en forme pour s'imposer."
L’alerte de l’inspection du travail
Ce risque de stress supplémentaire était déjà pointé dans une lettre de l’inspection du travail envoyée à Sanofi en 2014 avant la mise en place du système. Selon l’inspection du travail, ce changement permanent de bureau est contraire aux principes généraux de prévention du code du travail… Il fera subir en permanence aux salariés une "charge mentale additionnelle conséquente". Autrement dit, un stress supplémentaire, potentiellement grave pour la santé des salariés.
Aucune étude ne permet de connaître les conséquences de cette organisation pour le moment, faute de recul. Mais des chercheurs suédois ont constaté en 2013 qu’il y a plus d’arrêts maladies chez ceux qui travaillent en open-space que chez ceux qui ont un bureau fixe. En moyenne on passerait, selon ces scientifiques, de 5 à 8 jours d’arrêts par an.
D’autres bouleversements à venir
Les outils numériques permettent déjà de travailler de n'importe où, de chez soi en télétravail, d'un café ou d'un bureau partagé, ces lieux de "co-working" pour les travailleurs indépendants ou les salariés nomades. Un concept plus radical émerge aux Etats-Unis, "l'hôtel de travail", que précise Patrick Cingolani, professeur de sociologie à l’université Paris Diderot : "Ces hôtels peuvent proposer à la fois un lieu de vie, et la wifi, dans l'objectif de créer un espace de travail qui est aussi un espace d'habitat."
Le moment où une personne va prendre du loisir sera beaucoup plus incertain et flottant.
Cette tendance à vouloir effacer la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle vient des géants de la Silicon Valley. Cette logique y est poussée à l’extrême. Elisabeth Pélegrin-Genel, architecte et psychologue du travail, en décrit les ressorts :
"Le mouvement de fond c'est d'enchanter le travail par un tour de passe-passe, de ne jamais le montrer. Dans ces entreprises, on ne voit jamais une personne travailler mais on voit des trottinettes, des vélos, des murs d'escalade, des piscines… On avait connu ça dans les corons du nord, mais là on se croirait dans un village de vacances."
Les travailleurs de demain seront-ils des salariés hyperflexibles ou des auto-entrepreneurs qui travailleront n'importe où et à toute heure dans les nouveaux corons connectés ? Les bases d'une telle société semblent posées.
►► Enquête intégrale samedi 11 février à 13h20 sur France Inter.
Références bibliographiques :
- Comment (se) sauver (de) l’open space ? de Elisabeth Pélegrin-Genel, Editions Parenthèses
- La Comédie humaine du travail de Danièle Linhart, Editions Erès.