Source : https://blogs.mediapart.fr/agnes-druel/blog
- 20 janv. 2017
- Par Agnès Druel
- Blog : Le blog de Agnès Druel
Je n’arrive pas à structurer ma colère. Mettre de points, des tirets, indiquer et souligner de façon claire là où ça bloque. C’est complètement confus. En ce moment, je trouve qu’on échoue de façon lamentable sur notre capacité à vivre ensemble. Mon incompréhension est totale concernant la politique menée par notre gouvernement qui n’aura eu de cesse que de rater, mépriser, et saboter la cohésion nationale.
J’ai mal pour mon pays. Parfois, j’en ai honte, comme hier matin par exemple. J’ai honte de voir qu’un homme, Cédric Herrou, qui refuse d'abandonner des réfugiés sans ressources, sans aide, sans rien, soit interpellé et jugé pour des raisons obscures telles que « aide au séjour irrégulier en France ».
J’ai honte d’entendre des politiciens, des citoyens dire à qui veut l’entendre qu’il faut privilégier l’entraide envers les SDF, ceux qui sont bien de chez nous, et refouler les migrants, les réfugiés. La bienséance m’oblige à rester polie, mais eux, ces odieuses personnes qui alimentent des messages de haine, je ne les ai jamais vus en maraude, pas même une seule fois, aller discuter avec les SDF. Ce sont juste de minables trolls qui pullulent dans l'unique but d'alimenter un climat déjà bien anxiogène.
J’ai honte de tous ces reportages diffusés par M6 et chaînes consœurs et qui sont visionnés par des millions de français sur le 93 ou toutes autres banlieues en France. J’en ai honte et mal à la fois que tant de mauvaise foi et de misérabilisme puisse être partagée, approuvée, par autant de téléspectateurs. J'ai honte face à tant de médiocrité intellectuelle.
J'ai encore plus honte quand je lis et vois les réactions de beaucoup d'entre nous face à l'Islam. Un tel degré de mépris, d'islamophobie, de haine à l'encontre d'une religion ne peut qu'être un danger pour une soi disant démocratie déjà bien secouée et affaiblie par ses problèmes sociétaux.
J'ai toujours plus honte quand chaque lundi soir je me transforme en professeur de français pour des adultes migrants. C'est à l'état que devrait incomber cette tâche. Pas à moi et mes nombreuses fautes de grammaire, pas à tout ces bénévoles qui agissent au quotidien.
En fait, toute cette haine, ces torrents de violence verbale et physique à l'encontre de ce qui nous est étranger me dégoûte. Devoir lire des sondages où l'on m'explique qu'environ 60% des français sont mal à l'aise face à une femme voilée, que nombre d'entre nous expriment avec fierté leur rejet systématique de l'autre, du réfugié, du migrant, d'anticiper les questions à chaque fois qu'un reportage est diffusé sur Saint-Denis.
Cette hypocrisie me terrifie. Cette violence des relations humaines aussi. Ce consentement que nous avons tous dès lors qu'il s'agit de mépriser une partie de la population en raison d'une soi-disant différence que nous avons normée, nous occidentaux est pire que tout.
On m'impose depuis des années des débats stériles sur l'Islam, sur les réfugiés, sur les assistés. Mais qui sont-ils, ceux dont la parole est emplie de haine, ceux qui ne craignent plus les huées, puisque maintenant ils sont acclamés. De quelle façon pouvons-nous nous satisfaire d'écraser notre prochain de cette façon, le dénuer de toute humanité, lui refuser toute considération, lui rappeler une prétendue faiblesse constamment ? Nous, auto-centré sur notre monde, nos médiocres démocraties, nos valeurs.
Jean Ziegler conclut ainsi son dernier essai, Chemins d'Espérance. Il prend comme exemple la journée du 11 septembre 2001. Il nous rappelle que ce jour-là, dans une tragédie que nous connaissons tous, que nos enfants étudient déjà dans les livres d'histoire, 2973 personnes ont perdu la vie.
Il explique alors que ce même jour, ailleurs dans le monde, là où les caméras ne vont plus ou pas, 35000 enfants de moins de 10 ans sont mort de faim et que 156368 personnes sont mortes de tuberculose, du SIDA, de malaria...
Chez nous, ces 200000 morts n'ont provoqué aucune émotion, aucune indignation, aucun combat des politiques, aucune lutte acharnée dans les médias. Au contraire, des tapis rouges sont déroulés pour les multinationales, pour les firmes pharmaceutiques, pour tout ce qui génère des bénéfices monstres. Pour tout ce qui affaiblit les moins forts.
Voilà cette société que nous sommes en train de construire. Une société où le faible doit se taire, un monde où il est acceptable de fixer le prix des denrées alimentaire en bourse quand des enfants meurent de faim, une société où nous avons accepté qu'une religion soit responsable de tout à l'aide de matraquage médiatique incessant, une société où la vie d'un homme occidental continuera de valoir plus que celle d'un Malien ou d'un Pakistanais, une société maladivement hypocrite.
Alors qui sommes-nous pour aller expliquer à nos voisins ce qu'est une démocratie quand nous laissons mourir nos frères à nos portes ? Qui sommes-nous pour nous nourrir ainsi de la haine et du mépris de l'autre et de s'en satisfaire pleinement ? Cette société me fait tout simplement honte.
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