Il aura fallu attendre neuf mois. Neuf mois pour que la justice commence à suivre son cours après qu’un étudiant manifestant contre la loi Travail a été éborgné par un projectile, à Rennes, le 28 avril 2016. Les deux policiers soupçonnés d’être responsables du tir de flash-ball ont été entendus pour la première fois ce 24 janvier. Les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) disposent pourtant depuis les faits de photos : elles montrent l’un des policiers pointant son arme en direction du groupe où se trouvait le jeune homme blessé (voir ci-dessous). Après six heures d’audition, aucun des deux policiers n’a été mis en examen.
Une enquête préliminaire avait pourtant été ouverte dès le lendemain des faits, suivie d’une information judiciaire quelques semaines plus tard. Pourquoi alors l’audition de ces policiers, rapidement identifiés, a-t-elle tant tardé ? La procureur de Rennes n’a pas souhaité livrer d’explications. « Les enquêteurs ont voulu laisser le débat se dépassionner », avance de son côté l’avocat des policiers, Frédéric Birrien. « Il fallait peut-être aussi attendre que le mouvement de protestation des policiers se termine. » Des policiers avaient manifesté par centaines à l’automne 2016.
Le principal intéressé, Jean-François Martin, qui a définitivement perdu l’usage de son œil gauche, ne s’est exprimé que deux fois dans les médias, par prudence [1]. Son avocate refuse également de s’exprimer.
Que s’est-il exactement passé ce 28 avril 2016 ? Ce jour-là, l’appel à manifester contre la loi travail est national. À Rennes, une partie du cortège veut accéder au centre historique, et à la place du Parlement. Depuis fin mars, le centre est bloqué par les forces de l’ordre à chaque manifestation, sur ordre du préfet. Jean-François Martin, étudiant en géographie, s’écarte d’une charge de policiers. Avec plusieurs autres manifestants, il emprunte une étroite passerelle piétonne qui enjambe la Vilaine. Une fois le pont franchi, il se retourne et est alors percuté par un projectile. Son œil gauche est détruit, son visage fracturé à cinq endroits.
L’IGPN est saisie et les parents de l’étudiant portent plainte au pénal. Un mois et demi plus tard, un rapport d’expertise remis à l’IGPN établit que « la lésion majeure avait probablement été provoquée par un impact de lanceur de balle de défense (LBD) ». Une arme plus précise mais aussi plus puissante que le flash-ball. À la suite de ce rapport, le procureur de Rennes ouvre une information judiciaire. Deux magistrats instructeurs sont chargés de l’affaire.