Source : https://www.mediapart.fr
C’était un des plans de licenciement les plus violents et médiatiques du quinquennat Hollande, qui donnera naissance à un mouvement social improbable : les Bonnets rouges. L’abattoir porcin de Gad dans le Finistère était liquidé, laissant sur le carreau 900 ouvriers dans une Bretagne ébranlée par la crise de l’agroalimentaire. Trois ans plus tard, la majorité a été reclassée dans la précarité.
C’était une journée aux frontières de la dépression, une de plus. La semaine de ses 37 ans. Il faisait froid, déjà l’hiver, elle avait marché une heure sous le crachin pour conduire sa fille à l’école. De retour dans le pavillon, seule, trempée, elle s’était résolue à allumer le chauffage tout en redoutant la facture. La télé en fond sonore, les bottines encore aux pieds, elle tombait de sommeil sur le canapé en faux cuir acheté à crédit avec Sofinco. « Fatiguée de tout. » Et la perspective de fermer les yeux – elle qui ne dort plus la nuit – la soulageait un peu. Elle allait ne plus penser. Ne plus ressasser : le papier peint qui se décolle, le frigo vide, le découvert, les 20 euros pour finir le mois, le loyer qu’elle ne sait plus payer en une fois, l’ex qui n’a versé aucune pension alimentaire depuis la séparation, les Restos du Cœur qui disent qu’elle n’est pas éligible aux colis alimentaires, l’assistante sociale aux abonnés absents, l’aîné qui fait son caïd, sèche le collège et ce permis de conduire qui ne vient toujours pas « alors qu’[elle] n’est pas plus con qu’un autre ».
Trois ans que Christelle Becam mise son avenir sur ce passeport pour l’emploi dans une contrée rurale où « sans voiture, sans permis, tu n’as aucune chance ». En vain. Elle a claqué plus de 2 000 euros dans une cinquantaine d’heures de conduite et dans cinq examens qu’elle a ratés à chaque fois. « À cause du stress, du chômage qui m’a fait perdre toute la confiance en moi », dit-elle en détournant son regard cerné par les tourments. Trois ans qu’elle n’a pas repris le chemin du travail. Trois ans qu’elle sent « la société » s’éloigner d’elle. Trois ans qu’elle se réduit à un numéro d’allocataire, une étiquette sur le front : chômeuse longue durée. Depuis que Gad, l’abattoir de cochons, fleuron de Lampaul-Guimiliau, sur la route des enclos paroissiaux dans le Nord-Finistère, a fermé, la laissant sous le calvaire, elle et 888 salariés. C’était le 11 octobre 2013, leur « 11-Septembre ». Un nouveau drame social après les “Doux”, “Tilly-Sabco” dans cet extrême Ouest ébranlé par la fin du « miracle agricole breton » – où l’agroalimentaire, le principal employeur, dévisse et plonge dans l’angoisse du lendemain des milliers de familles dans un rayon de quelques kilomètres.
Après huit mois de procédure devant les tribunaux, l’abattoir était liquidé sur l’autel de la crise porcine, du dumping social allemand et de la mauvaise gestion de l’actionnaire majoritaire, la coopérative légumière Cecab. Pas de repreneur. Celui de Josselin, dans le Morbihan, 755 CDI, où une centaine d'intérimaires roumains travaillaient pour moins de 600 euros, était préservé. Le début de trois semaines à haute tension où la France découvrait l'exaspération qui monte autour des travailleurs européens low-cost et assistait à cette séquence terrible, dix jours plus tard, lorsque la classe ouvrière et ses syndicats s’entredéchiraient à coups de poing. C'était à la sortie de l'abattoir de Josselin, bastion de la CFDT. Les Gad de Lampaul-Guimiliau, citadelle acquise à FO comme beaucoup d'abattoirs bretons, qui réclamaient de meilleures indemnités de licenciement, étaient venus bloquer le site. « En représailles », la direction du site a envoyé 400 Gad Josselin au front forcer le barrage… Les Gad du Finistère étaient venus « ouvrir les yeux » de leurs camarades du Morbihan, « les prochains sur le trapèze », assuraient-ils. Et ils ne se sont pas trompés. Un an plus tard, l’abattoir du Morbihan était sur la sellette, placé en liquidation. Contraint et forcé par l’État qui le menaçait d’une très grosse amende pour pratiques illicites auprès de ses fournisseurs, le groupe Intermarché reprendra le site pour l'euro symbolique mais pas tous les salariés : 225 prendront la porte, les autres garderont leur emploi mais au prix de conditions de travail devenues encore plus infernales…
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