Source : http://www.marianne.net
Lundi 12 Décembre 2016 à 15:30
En prélude du procès en appel des trois prévenus du procès "Luxleaks" qui débute ce lundi 12 décembre au Luxembourg, une grosse centaine de militants ont participé à un safari d'un genre nouveau dans les rues de la ville. Les grosses bêtes à observer ? Engie, Amazon ou encore la Société générale, rois de la jungle en matière d'évasion fiscale...
Ce qui est bien dans un safari, c'est qu'on voit des grosses bêtes à coup sûr. Le "safari fiscal" de ce lundi 12 décembre dans la ville de Luxembourg ne déroge pas à la règle. Organisé par le CCFD, Action aid - Peuples solidaires et Attac, avant de se rendre au procès en appel des lanceurs d'alerte du Luxleaks, ce petit tour des hauts lieux de l'évasion fiscale au royaume du Grand Duché commence par Engie, le géant français de l'énergie, mieux connu sous son ancien nom de GDF-Suez.
Empêtré dans les petites ruelles de la vieille ville de Luxembourg, le bus du safari fiscal est contraint de s'arrêter à quelques mètres d'un géant : le siège local d'Amazon. Autant ne pas réveiller le monstre, dont on peut admirer le pedigree : au 31-33 Rives de Clausen, Amazon EU s.a.r.l. sert de caisse enregistreuse à toutes les commandes passées sur un site Amazon en Europe. Le but ? Enregistrer ces revenus qui se comptent par milliards là où l'herbe de la défiscalisation est la plus verte.
Anecdote croquignolette sur cette grosse bête : l'astuce du siège social luxembourgeois a été mise en place pour éviter de payer des milliards d'euros d'impôts... au Royaume-Uni, déjà très coulant avec l'imposition des entreprises. Devant la gronde qui monte dans les rangs des citoyens européens mécontents qui sont autant de clients potentiels, Amazon aurait choisi de changer de stratégie en 2015 et de déclarer ses revenus dans les principaux pays de son activité commerciale réelle, Allemagne, Italie, France, etc. À suivre, tant on sait qu'un animal sauvage domestiqué ne perd jamais son instinct.
Au milieu d'une large avenue crevée par les engins de BTP, c'est une autre créature étonnante que rencontrent les participants du safari fiscal. L'un d'eux n'en revient pas, mais si, il est bien devant un specimen de la Société générale. Ou plutôt, car il faut être d'une précision scientifique quand il s'agit de nommer les espèces, devant la Société générale bank and trust, l'une des 27 filiales que la Société générale possédait encore au Luxembourg en 2014. Célèbre pour son rôle central dans le scandale des Panama papers, la "socgen" avait créée 979 sociétés offshore dans le paradis panaméen. Et qui est la maman des deux-tiers de celles-ci ? La Société générale bank and trust, sise au 11, avenue Emile Reuter, à Luxembourg ! Une fertilité gênante, quand on sait que ces sociétés offshore à l'organigramme secret ont pour principal intérêt de dissimuler de l'argent au fisc, mais aussi aux divers organismes de contrôles nationaux et internationaux...
Attention, chuuuut ! Voilà une espèce qui n'aime rien tant que la discrétion et le silence... Ce sont de simples boîtes aux lettres, qui permettent d'accueillir confortablement en leur nid douillet des holdings du monde entier. Une merveille de capacité de dissimulation. Mieux qu'un caméléon. Parmi celles-ci, la filiale du géant américain de la malbouffe, McDonald's Europe franchising SARL, dont les performances feraient rougir le meilleur des traders : avec seulement 15 employés, ce petit bureau invisible des faubourgs de Luxembourg a dégagé plus de 284 milliards d'euros en 2013. Soit le montant des royalties payés par tous les fast-food franchisés européens de la marque à la maison-mère. À raison de 10 à 20 % de chiffre d'affaires par enseigne, on comprend mieux la productivité époustouflante de la filiale luxembourgeoise, exonérée de taxes sur ces recettes. Problème : la migration des petits billets vers le nid du Luxembourg coûterait plusieurs centaines de millions d'impôts non perçus au fisc français.
Pour finir, toute la caravane retient son souffle. Elle arrive devant la tanière du roi de la jungle luxembourgeoise. Celui par qui tout à commencé pour le Luxleaks : le cabinet d'audit Price Waterhouse Coopers (PWC). Des locaux flambants neufs, où les lignes du terrain de basket fraîchement tracées sur le bitume du parvis n'attendent plus que leur panier. L'espèce à laquelle appartient PWC, proliférante, est d'origine américaine. Avec 2.700 salariés, "Price" est le sixième employeur du Luxembourg. Les autorités locales savent être reconnaissantes : "Price entretient des liens très forts avec l'État luxembourgeois, ainsi qu'avec la police judiciaire locale", explique Jean-Sébastien Zippert, représentant du comité de soutien luxembourgeois aux prévenus. PWC et ses trois soeurs, les cabinets Deloitte, KPMG et Ernst & Young, forment la touchante famille des Big four. À eux quatre, à la manières des poissons-pilotes accrochés sur les requins, ces cabinets accompagnent les multinationales dans la mise en place de l'évasion fiscale, l'exercice d'un lobbying de haut niveau au coeur des centres de décision politique et économique, et la création de normes de comptabilité internationale. Bref, tout ce qu'il faut pour permettre aux capitaux de circuler en toute liberté sous les radars de l'imposition. Grrrrrrrrr !
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Source : http://www.marianne.net
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