Source : http://www.marianne.net
Asli Erdogan ici en France, en 2006 - SIPA
>> Cet article a été publié une première fois ce 29 décembre au matin.
Elle risque la prison à vie. Comme des milliers de Turcs depuis la tentative de putsch du 15 juillet contre le président Erdogan, la physicienne et romancière engagée pour la défense des minorités de son pays, Asli Erdogan, est la cible d'une chasse aux sorcières. Son procès, ainsi que celui de huit autres personnes, s'ouvre ce jeudi 29 décembre à Istanbul. Elle est accusée de soutenir la rébellion pro-kurde du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). C'est le chef d'accusation d'"appartenance à une organisation terroriste" qui peut lui valoir une peine d'emprisonnement à perpétuité.
Mi-août, elle était arrêtée pour ses écrits dans un journal d'opposition pro-kurde, Özgür Gündem, tout comme une vingtaine de journalistes du média, fermé de force depuis. Avec elle sur le banc des accusés ce jeudi, des journalistes mais également Necmiye Alpay, linguiste et philosophe.
Fin novembre, et face à la forte mobilisation internationale, Asli Erdogan, 49 ans, avait brièvement été libérée par un tribunal turc. De la prison des femmes de Bakirköy, la romancière avait lancé un appel fier et déchirant à l'Europe :
"La situation est très grave, terrifiante. Je suis convaincue que le régime totalitaire en Turquie s'étendra inévitablement sur toute l'Europe. Une Europe qui est focalisée sur la crise des réfugiés et ne semble pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Nous, auteurs, journalistes, Kurdes, alevis et, bien sûr, les femmes, payons le prix lourd de la crise de démocratie. L'Europe doit prendre ses responsabilités..."
Le cri d'Asli Erdogan a été relayé en France et en Europe par les écrivains, les journalistes, le Centre national du livre à Paris et plusieurs grandes associations littéraires. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont signé une pétition appelant à sa libération.
Cette brune aux yeux inquiets sous des boucles batailleuses vit une tragédie qu'elle a décrite dans l'un de ses ouvrages, le Bâtiment de pierre, traduit et publié par Actes Sud, son éditeur français. La prison était alors au cœur de son texte.
Car Asli est l'enfant du malheur turc toujours recommencé. Elle a vu son père, un militant syndicaliste, arrêté lors du coup d'Etat militaire de 1980. Elle est hantée par l'enfermement et les tortures du passé. Exactement comme Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature en 2006, décrivait, à la génération précédente, l'angoisse qui habitait les écrivains face à la démocratie impossible. Dans toute son œuvre, Asli reprend le fil du conte de bruit et de fureur craché par l'idiotie totalitaire : "J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur la branche, comme on arrache une racine." Elle dit encore : "Je ne me sens chez moi qu'en écrivant."
Des dizaines de milliers de voix l'ont entendue mais les portes de la prison se sont à nouveau refermées sur elle fin novembre, le jour même, quelques heures à peine après l'annonce à la télévision turque de sa libération. Plus de libération conditionnelle pour la durée du procès à cause du chef d'accusation d'"appartenance à une organisation terroriste". C'est dans un état de santé inquiétant - la romancière souffre d'asthme et de diabète - que son incarcération s'est poursuivie jusqu'à l'ouverture de son procès, ce jeudi.
Source : http://www.marianne.net