Source : https://www.mediapart.fr
La manière dont la Cour de justice de la République a refusé de sanctionner Christine Lagarde tranche fortement avec la condamnation sévère de Jérôme Cahuzac, mais rappelle singulièrement l’affaire Raoul Péret… qui date de 1931.
Quelques beaux esprits parleront de populisme et de lynchage. D’autres se pinceront le nez avec une moue dégoûtée. Mais le succès rare de la pétition visant à obtenir « Un vrai procès pour Christine Lagarde », lancée par un enseignant de l’Éducation nationale, et qui a déjà recueilli plus de 170 000 signatures ce 23 décembre, pose de vraies questions, quand bien même elle n’a aucune chance d’aboutir.
La dispense de peine accordée le 19 décembre à l’ex-ministre de l’économie de Nicolas Sarkozy, malgré sa condamnation pour « détournement de fonds publics commis par un tiers et résultant de la négligence » d'une personne dépositaire de l'autorité publique (délit passible d'un an de prison et 15 000 euros d’amende selon l’article 432-16 du code pénal), dans l’affaire de l’arbitrage truqué à 403 millions d’euros, est majoritairement perçue comme un déni de justice.
Certes, la justice ne se rend pas par sondage ni par pétition, et c’est tant mieux. Mais l'arrêt rendu par la Cour de justice de la République (CJR, on peut le lire ici) n’en reste pas moins calamiteux, cristallisant les ressentiments et les colères du temps. Il contredit le principe de l’égalité des citoyens devant la loi : la dispense de peine n’est accordée que dans moins de 1 % des affaires pénales et seulement si le préjudice a été réparé. Il ne présente pas les garanties d’une justice équitable, neutre et impartiale : les juges de la CJR sont majoritairement des parlementaires, le parquet général n’a pas joué son rôle et aucune partie civile n’a pu se faire entendre. Enfin, cet arrêt n’est pas susceptible de recours: seul un pourvoi en cassation pour des motifs de droit est éventuellement possible (et seul le procureur général de la Cour de cassation pouvant en décider).
Symboliquement dévastateur, ce jugement contribue, malheureusement, à saper une fois encore la foi des citoyens dans les institutions et à affaiblir le faible crédit qu’ils accordent actuellement aux politiques et aux magistrats.
Si le fait de laisser filer 403 millions d’euros d’argent public dans la nature ne mérite aucune sanction, comment justifier qu’un Jérôme Cahuzac écope de trois ans de prison ferme pour une fraude de quelques centaines de milliers d’euros ? Comment exiger des politiques qu’ils soient exemplaires, alors que la ministre Christine Lagarde avait menti (elle aussi) sur le coût de l’arbitrage Tapie, et qu’elle continue, malgré sa culpabilité, à diriger le FMI ? Et quelle peine faudra-t-il oser requérir contre une responsable de bibliothèque ou de service municipal qui serait jugée pour ce même délit de négligence ?
L’effet de souffle de cette décision inique se ressent déjà dans les tribunaux, où les avocats ont beau jeu de demander une dispense de peine pour leurs clients et où les magistrats sont par avance soupçonnés de partialité. Une mécanique infernale...
*Suite de l'article sur mediapart
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