L’ONG française Sherpa de défense des victimes de crimes économiques a déposé plainte, mardi 15 novembre au matin, auprès du doyen des juges d’instruction de Paris contre le cimentier franco-suisse LafargeHolcim pour « financement du terrorisme », « complicité de crimes contre l’humanité », « complicité de crimes de guerre », « mise en danger d’autrui » et d’autres infractions connexes. La plainte, nourrie par un volumineux dossier basé sur des documents de sources diverses et des témoignages d’anciens salariés de la filiale syrienne du groupe, Lafarge Cement Syria, vise des faits qui se sont produits en Syrie en 2013-2014. A cette époque, Lafarge, qui n’avait pas encore fusionné avec le suisse Holcim, avait une cimenterie à Jalabiya, dans le nord de la Syrie, située près de Manbij, Rakka et Kobané, en plein dans une zone où opérait notamment l’organisation Etat islamique (EI).
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Comme l’ont montré plusieurs enquêtes publiées par Le Monde, Lafarge a indirectement financé pendant cette période les djihadistes de l’EI – mais aussi avant eux ceux du Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida –, qui avaient instauré un système de droit de passage pour les ouvriers travaillant à la cimenterie, ainsi que pour les marchands de ciment venant s’y approvisionner. Par ailleurs, la cimenterie de Lafarge, pour pouvoir continuer à opérer, s’est fournie en pétrole lourd et en pouzzolane (une roche utile dans la confection du ciment) auprès d’intermédiaires locaux qui achetaient directement à l’EI ou payaient des taxes au groupe djihadiste.
Pour l’avocat William Bourdon, fondateur de Sherpa, la question de la compétence des juridictions françaises ne se pose pas, bien que les faits se soient produits hors de France, de par la nature – terrorisme et crimes contre l’humanité – des faits visés ainsi que « dès lors que les personnes visées sont françaises ».
Faits « sans précédent »
La plainte – déposée conjointement avec le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme de Berlin – et les faits reprochés sont « sans précédent », selon Me Bourdon, qui souligne « la très grande gravité, mais aussi la complexité des faits, outre qu’ils se sont déroulés dans une zone de guerre ». Elle vise également « les conditions de travail exécrables » dans lesquels ont été amenés à évoluer les employés de Lafarge Syrie, dont certains ont fait l’objet de kidnappings.
Selon l’avocat, « il ne s’agit pas d’imputer à qui que ce soit la responsabilité de la guerre en Syrie et de l’irruption de Daech [acronyme arabe de l’EI] mais de demander que soient tirées les conséquences d’une politique cynique faite d’aveuglement et de surdité ». « Il nous apparaît impensable que les dirigeants de Lafarge puissent nous opposer leur ignorance des crimes commis par Daech pendant cette période », ajoute-t-il, insistant sur « l’obsession d’une entreprise de pérenniser une activité profitable au risque de devoir rendre compte de liaisons pour le moins dangereuses avec ceux qui sont perçus comme les pires ennemis de l’humanité ».
Interrogée par Le Monde, une porte-parole du groupe franco-suisse a mis en avant les engagements éthiques de Lafarge contenus dans son code de conduite des affaires, bien qu’il ne mentionne pas explicitement les questions de terrorisme.
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Une proposition de loi renforçant la responsabilité des maisons mères vis-à-vis de leurs filiales et fournisseurs est en discussion au Parlement français depuis deux ans. « L’issue reste incertaine car les résistances du lobby patronal sont fortes, souligne Me Bourdon. Il s’agissait pourtant d’une promesse de François Hollande. »