Qui est pauvre en France, en 2016 ? Il y a la pauvreté monétaire, facile à mesurer quantitativement. Le seuil de pauvreté fixé par l’Insee à 60% du revenu médian – les personnes percevant un revenu inférieur à 1 000 euros par mois – concerne 8,6 millions de personnes. Près de 5 millions d’entre elles touchent moins de 840 euros mensuels. Mais la pauvreté ne se limite pas à la faiblesse des revenus disponibles. Être en situation précaire, c’est aussi cumuler plusieurs insécurités : celle de l’emploi et du logement, la possibilité de se nourrir convenablement,d’assurer ses obligations familiales, de se chauffer correctement... Ces aspects sont plus complexes à estimer quantitativement.
Quelle que soit la manière dont on la mesure, la pauvreté et les personnes qui les subissent font l’objet de bien des clichés, en particulier lors des campagnes électorales. La « pauvrophobie » s’installe, sous diverses formes : de la culpabilisation des chômeurs qui se complairaient dans l’assistanat sur le dos de ceux qui travaillent, aux arrêtés anti-mendicité édictés par plusieurs villes, jusqu’aux incendies volontaires qui visent des centres d’hébergement. Non contents de frauder et de ne pas payer d’impôts, les pauvres seraient en plus davantage réactionnaires et racistes que les autres, explique-t-on à chaque nouvelle élection surprise.
« Qui aime vivre en étant traité "d’assisté", de "cas social" ? Qui souhaite connaître la honte de pousser la porte d’un service social ou d’une association caritative pour une aide, quand on doit nourrir ses enfants ? », interpelle Marie-France Zimmer, militante de d’ATD Quart-Monde, association qui compte 18 000 adhérents et qui vient d’éditer l’ouvrage « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté ». Basta ! s’est inspiré de cet ouvrage pour battre en brèche quelques-uns de ces préjugés, parmi les plus répandus.
Préjugé n°1 : les pauvres pourraient travailler s’ils le voulaient
Près des deux tiers des Français seraient convaincus que « si l’on veut travailler, on trouve » [1]. Comme plusieurs ministres d’ailleurs : l’ancien ministre du Travail François Rebsamen et Myriam El Khomri qui lui a succédé ont déclaré que plusieurs centaines de milliers de postes – 400 000 pour le premier, 300 000 pour la seconde – étaient « abandonnés » chaque année faute de candidats [2].
« Ce qui freine la reprise d’emploi, c’est le manque de moyens de transport, de formations adaptées, de modes de garde accessibles pour les enfants, les problèmes de santé et surtout le manque d’emplois décents et suffisamment rémunérés », explique Jean-Christophe Sarrot, co-auteur de l’ouvrage publié par ATD quart monde. Les personnes pauvres sont aussi victimes de discrimination à l’embauche : à qualification égale, un français perçu comme étant « d’origine immigré », postulant pour un emploi, a cinq fois moins de chances qu’un autre d’obtenir un entretien [3]. Une personne qui fait apparaître sur son CV un emploi en insertion ou un foyer d’hébergement comme domicile a également moins de chance de décrocher un rendez-vous. Par ailleurs, entre 2007 et 2011, un demi million de personnes ont renoncé à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée. Il y a enfin des offres d’emploi farfelues : par exemple une heure de ménage par semaine, en pleine campagne, le dimanche.
Préjugé n°2 : les pauvres ne paient pas d’impôts
Combien de fois entend-on que la moitié des Français ne paient pas l’impôt sur les revenus, tandis que les classes moyennes aisées seraient « matraquées » par le fisc ? Oui, les personnes en situation de pauvreté « échappent » à l’impôt sur le revenu. Elles paient cependant comme tout le monde le principal impôt, la TVA perçue sur tous les produits et service qu’elles achètent, qui constituent 50% des recettes fiscales de l’État. Les personnes célibataires qui gagnent plus de 10 700 euros par an – soit plus de 892 euros par mois – paient aussi la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Ces deux impôts contribuent au financement de la sécurité sociale.
Résultat : les 10% de la population française qui ont les revenus les plus bas paient en moyenne 40 % d’impôts – le taux moyen d’imposition – quand les 0,1% les plus riches en paient environ 35%. Si « matraquage fiscal » il y a, ce sont les pauvres qui le subissent. Comment s’explique cette inégalité flagrante ? Même avec des revenus mensuels d’environ 1 000 euros, une personne va contribuer aux cotisations sociales, aux impôts sur la consommation, à l’impôt sur le revenu, qui mobilisent une proportion beaucoup plus grande de ses maigres revenus que les 0,1% les plus aisés qui touchent plus de 250 000 euros par an. Et ces données ne prennent pas en compte les niches fiscales, grâce auxquelles une partie des plus hauts revenus diminue encore davantage leur taux d’imposition.
Préjugé n°3 : les pauvres touchent des aides indûment ou fraudent massivement
Si elle est bien réelle, la fraude aux prestations sociales est très faible par rapport aux autres types de fraudes, notamment la fraude fiscale. En 2016, la fraude au RSA a coûté 100 millions d’euros à l’État, soit 30 fois moins que la fraude fiscale qui a a amputé le budget de la France de plus de trois milliards d’euros. Et 168 fois moins que la fraude patronale aux cotisations sociales, estimée par la Cour des comptes à 16,8 milliards en 2012 (lire ici). La fraude douanière coûte, elle, plus de 400 millions d’euros.
Reste la question des fraudes aux prestations familiales, estimée à un milliard d’euros. « En face du milliard d’euros de fraudes estimées aux prestations familiales, alignons les montants estimés des non-recours à ces mêmes prestations, propose Jean-Christophe Sarrot : 5,3 milliards pour le RSA, 4,7 milliards pour les prestations familiales et le logement, 828 millions pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), soit, au total, environ 11 milliards « économisés » chaque année par l’État. » La complexité des démarches et leur dématérialisation croissante, la volonté de ne pas dépendre de l’aide publique, le manque d’information, le souhait de ne pas être contrôlé ou la crainte de la stigmatisation expliquent cette proportion importante de personnes qui renoncent aux aux aides sociales auxquelles elles ont pourtant droit. En 2015, la Caisse nationale d’allocations familiales a détecté 40 000 fraudes, pour un montant total avoisinant 250 millions d’euros (soit 6250 euros par fraude avérée).
Préjugé n°4 : les pauvres profitent des logements HLM et du RSA
65 % des familles vivant dans la pauvreté sont logées dans le parc privé, le plus souvent dans des situations de logement dégradé et surpeuplé. Cette situation n’est pas prête de s’inverser, vu le coût sans cesse croissant des logements HLM : la part du loyer et des charges sur les revenus des locataires HLM est passé de 16% en 1984 à 23% en 2011. Résultat : les bailleurs sociaux accueillent de plus en plus de classes moyennes.