Mateusz Kijowski est l’un des fondateurs du KOD (Comité de défense de la démocratie), une organisation citoyenne créée l’an dernier pour réagir au tournant ultraconservateur opéré par le PiS (Droit et Justice), arrivé au pouvoir à l’automne 2015. Cet informaticien, ancien blogueur, activiste dans différents domaines, est l’une des belles surprises de ces derniers mois en Pologne. Face à un pouvoir qui s’enferme dans des positions de plus en plus radicales – il a cherché à interdire totalement l’avortement, projet finalement abandonné cette semaine –, le KOD est à l’origine des plus grandes mobilisations que le pays ait connues depuis la chute du communisme. Mediapart a rencontré Mateusz Kijowski, maintenant président de l'organisation, à l’occasion d’une visite à Paris.
Mediapart : Quel est l’objectif du KOD ? Est-ce que l’organisation a une ambition politique ?
Mateusz Kijowski : Depuis sa naissance, l’an dernier, le KOD est une organisation politique dans le sens où il a l’ambition de changer la politique en Pologne. Mais nous ne voulons pas devenir un parti, car nous sommes un mouvement citoyen, nous voulons être un partenaire de discussion : de cette manière, nous pouvons discuter avec toutes les formations de l’échiquier politique car nous ne concurrençons personne.
Nous sommes par ailleurs convaincus que la Pologne n’a pas besoin aujourd’hui d’un nouveau parti : ils sont en nombre suffisant et représentent l’ensemble du spectre idéologique. Dans un moment où tout le monde se plaint que les partis soient affaiblis, qu’ils n’écoutent pas les citoyens, qu’ils aient des programmes de piètre qualité, nous voulons travailler à ce qu’ils s’améliorent plutôt que de reproduire les mêmes problèmes.
Ne manque-t-il pas une formation de gauche en Pologne ?
Il y a un manque au parlement, certes… mais des partis de gauche, il y en a plusieurs en Pologne. Il y a bien entendu le SLD [Union de la gauche démocrate, parti social-démocrate, postcommuniste – ndlr], le SDPL [Social-démocratie Pologne – ndlr], Razem [Ensemble, parti alternatif se disant proche de Podemos en Espagne – ndlr], les Verts, mais aussi le parti Liberté et Égalité, l’Union du Travail… Ce sont pour la plupart de tout petits partis, qui se sont développés dans l’entourage du SLD et ont traversé des divisions diverses… À l’exception de Razem, qui est complètement nouveau.
Il ne manque pas de parti de gauche en Pologne ; il manque plutôt des idées de gauche. Si elles avaient de bonnes idées, toutes ces formations se rejoindraient aussitôt et trouveraient du soutien, car il existe un électorat de gauche en Pologne. Il faut que les militants se mettent au travail ! Nous, comme citoyens, on essaye de les pousser à cela. Nous avons ainsi invité toutes les organisations pro-démocratiques autour d’une coalition intitulée Liberté, égalité, démocratie : les partis de gauche que je vous ai cités, ainsi que Nowoczesna [Moderne, parti libéral fondé l’an dernier par un ancien banquier – ndlr], les Démocrates européens, qui représentent quelques députés exclus de PO [Plateforme civique, droite libérale, à la tête de la Pologne jusqu’en 2015 – ndlr], l’Union des libertés et l’Union démocratique fondées après la chute du communisme par des figures intellectuelles polonaises, et le PSL [le parti paysan – ndlr]. Chez PO, de nombreuses personnes ont exprimé l’envie de nous rejoindre, nous collaborons avec elles, mais officiellement, le parti ne fait pas partie de notre coalition.
Heureusement, nous n’avons pas d’élections prochainement : ce n’est pas une coalition électorale, et c’est plus facile de collaborer. Nous pouvons apprendre, discuter ; il n’est pas question de places sur des listes électorales, ni d’attribution de budget, ni de répartition des postes ! De toute façon, le KOD n’étant pas un parti politique, nous sommes juste une sorte de parapluie, de modérateur, d’intermédiaire entre les différentes formations.
Concrètement, que faites-vous ?
En ce moment, nous essayons d’organiser avec cette coalition des débats de fond sur des thèmes qui nous semblent incontournables. Le premier aura lieu à la mi-octobre et portera sur l’éducation – le gouvernement est en train de préparer une réforme qui va ruiner notre système éducatif… Le KOD est par ailleurs membre d’une initiative intitulée « Non au chaos à l’école » qui regroupe les principaux syndicats enseignants, des directeurs d’écoles privées, des instituts de recherches spécialisés, des associations pédagogiques… C’est avec ce collectif que nous organisons ce débat. Il nous paraît essentiel, car il n’existe nulle part aujourd’hui en Pologne, ni au parlement, ni dans l’espace public. Des experts, des politiques, les médias seront invités… et ce sera ouvert à tous.
Le débat suivant portera sur l’État de droit, c’est-à-dire le système judiciaire, la Constitution, etc. Ensuite, ce sera les médias et la culture, puis la Pologne dans l’Union européenne, puis les questions environnementales… Et nous aurons probablement un débat sur le patriotisme qui nous permettra de parler de xénophobie, du nationalisme, etc.
Au printemps, nous prévoyons en outre un « congrès de la démocratie » où ces thèmes seront de nouveau débattus, avec d’autres, au sein d’un événement plus grand. J’espère que ce sera l’occasion de montrer que les forces défendant les valeurs démocratiques sont capables de travailler ensemble et que des idées émergeront pour renforcer encore davantage la coopération.
Donner envie aux Polonais de discuter et de s'engager
Le KOD est également à l’origine de nombreuses manifestations…
En effet, bien qu’elles ne soient qu’une partie de notre activité, c’est ce qu’il y a de plus visible. Le KOD est né précisément de la tribune de l’ancien opposant Krzysztof Łoziński, diffusée le 18 novembre 2015, et dont le titre était : « Il faut créer le KOD ». Cet article comparait la situation actuelle à celle des années 1970 en Pologne qui ont vu la naissance du KOR [Comité de défense des ouvriers, premier mouvement d’opposition au régime communiste, né dans les rangs de l’intelligentsia – ndlr]. Il disait qu’il fallait agir de manière similaire, c’est-à-dire de façon ouverte et vigilante… C’est ainsi que nous avons commencé, avec cette différence que le KOR était une petite organisation de trente membres avec tout un tas de personnes qui suivaient de loin, tandis que nous sommes devenus tout de suite un gros mouvement.
Dans son texte, Łoziński indiquait les trois principaux champs sur lesquels le KOD devait se concentrer. Premièrement : observation du pouvoir et commentaire, protestation, quand nécessaire. Deuxièmement : éducation, autrement dit construction d’une conscience sociale autour des questions de démocratie et de société. Troisièmement : entraide. Il s’agit d’aider les gens qui perdent leur travail à cause de leur engagement, en particulier des journalistes, mais aussi des chefs d’entreprises publiques.
Nous avons commencé avec les manifestations car c’était le plus urgent à faire, mais nous nous sommes rapidement mis à organiser des rencontres, des discussions, des débats… Aujourd’hui, il y a des dizaines de débats par semaine en Pologne ! De nombreux journaux sont maintenant à l’origine de ce genre d’événements, notamment des journaux locaux et des sites internet comme demokratio.pl à Gdańsk. Notre objectif, c’est de donner envie aux Polonais de discuter, de s’écouter les uns les autres, de réfléchir, de s’engager… C’est très important, car ces discussions ont manqué ces derniers temps en Pologne.
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