La publication en avril 2016 des Panama papers, et la démission du premier ministre conservateur qui s’est ensuivie, ont rouvert en Islande une fenêtre d’opportunité : le projet de constitution que 25 citoyens de l’île avaient rédigé en 2011, longtemps bloqué par la droite, pourrait bien finir par être ratifié.
C’est en tout cas ce que veut croire Katrín Oddsdóttir, une avocate islandaise de 39 ans qui fut l’un des membres de cette expérience inédite, devenue un modèle de démocratie participative aux yeux du monde entier (lire notre reportage à Reykjavík en 2011 ici et le décryptage du texte final là).
À l’approche des élections législatives anticipées du 29 octobre sur l’île, l’activiste revient, dans un entretien à Mediapart, sur l’héritage de la « révolution des casseroles » de 2008, l’ascension du parti pirate emmené par la poétesse Birgitta Jónsdóttir, mais aussi sur la pertinence des batailles constitutionnelles, de la Catalogne à l’Écosse, pour sortir l’Europe du marasme.
La constitution que vous avez corédigée en 2011 a-t-elle encore une chance d’être adoptée ?
Elle a bien plus qu’une chance. Je suis sûre à 99 % qu’elle va finir par être adoptée. Je n’ai pas toujours été aussi optimiste, mais là, avec la réaction citoyenne déclenchée par la publication des Panama papers, et l’exigence d’une démocratie plus forte en Islande qui s’est exprimée, j’ai repris espoir.
La grande nouveauté, à l’approche des législatives, c’est que les partis d’opposition actuels, qui avaient un peu abandonné le combat constitutionnel, reprennent de la force. Et ils sont unis sur le sujet de la constitution. Ils disent désormais : quel que soit le parti au pouvoir après les législatives, nous nous engageons à finir le boulot au sein du parlement [c’est-à-dire une ratification parlementaire – ndlr]. La leçon, c’est qu’on ne peut pas bloquer indéfiniment la démocratie.
Faites-vous un lien entre la « révolution des casseroles » après le krach de 2008, les mobilisations autour du processus d'adhésion de l’Islande à l’UE ces dernières années et, enfin, les manifestations d'avril 2016, en réaction à la publication des Panama papers ?
Oui, tout cela est relié. C’est l’histoire d’un réveil. Comme lorsque vous êtes longtemps resté endormi, et que vous vous réveillez progressivement. Quand vous comprenez, en tant que nation, que vous pouvez obtenir des choses – par exemple des élections anticipées – lorsque vous vous mobilisez, on ne peut plus vous le retirer. La nation islandaise a changé à jamais, il y a un avant et un après le krach [de 2008 – ndlr]. Nous avons pris l’habitude de nous retrouver sur la place [face au parlement – ndlr] pour exiger des changements immédiats.
Les mobilisations après les Panama papers ont rassemblé 26 000 personnes en 24 heures [sur une population de 320 000 habitants – ndlr]. Pour certains observateurs, cela en fait la protestation la plus massive à l’échelle du monde entier, si on la rapporte à la population totale. Quoi qu’il en soit, cette mobilisation s’est faite sur des enjeux éthiques, et c’était nouveau.
Ces mobilisations ont-elles été déclenchées parce que le premier ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson ne payait pas l’intégralité de ses impôts en Islande ou parce qu’il a menti à la télévision sur la réalité de ses avoirs à l’étranger ?
Les deux. Mais dans les deux cas, ce sont des questions éthiques. Auparavant, les gens se mobilisaient parce qu’ils avaient faim, ou alors parce qu’ils voulaient des logements sociaux pour les étudiants, pour défendre leurs propres intérêts. Bref, quelque chose de concret, en réaction à une injustice flagrante. Cette fois, l’injustice est toujours présente, mais les choses se posent de manière plus complexe. Les manifestants, en avril dernier, disaient : on ne veut plus de ces comportements, même s’ils ne sont pas en soi illégaux.
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