Depuis le début de la contestation contre la loi travail, des grappes de caméras et de smartphones fleurissent dans les cortèges. Dans le no man’s land qui sépare la ligne des CRS et les premiers manifestants, les preneurs d’images sont toujours plus nombreux et forment désormais une sphère aux profils divers. Certains sont de toutes les manifestations, casques sur la tête parfois surmonté d’une petite caméra GoPro, avec lunettes et masques à gaz. La plupart sont jeunes, certains sont photographes ou vidéastes pour des agences ou des sites indépendants, certains ont été militants, d’autres ont des liens avec les médias traditionnels.
En première ligne, ils se sont imposés au fil du mouvement. Et revendiquent l’immersion comme méthode de travail. Chez Taranis News, un site d’information centré sur les mouvements sociaux, on ne produit que des reportages longs, parfois jusqu’à 20 ou 30 minutes. Depuis le début de la mobilisation, Taranis News a dépassé les 4 millions de vues sur la plateforme Youtube. Pour Gaspard Glanz, le fondateur, âgé de 29 ans, le format long s’impose : « J’en ai tellement marre de ces sujets de télé ou tout est verrouillé politiquement : en une minute trente, il y a une seule analyse, s’agace-t-il. Nous, on montre ce qui s’est passé, en plans longs, sans commenter. Ce sont vos yeux et vos oreilles qui vous donnent l’info. »
Et de là, rien de plus simple pour Gaspard Glanz que de balayer d’un revers de main les accusations de « militantisme » qui lui collent à la peau, notamment en raison de ses engagements passés contre le contrat première embauche, en 2006, puis à l’université Rennes-2. Lui se place en « journaliste ». « Je fais mon maximum pour montrer les violences des deux côtés, précise son complice de terrain Alexis Kraland, fondateur de la chaîne Youtube Street Politics. Et finalement, à part les syndicats policiers, il y a peu de gens pour me traiter de propagandistes d’extrême gauche. »
Dans une manifestation contre la « haine anti-flic » organisée par le syndicat policier Alliance le 18 mai dernier, le secrétaire général de l’UNSA-police Philippe Capon a dénoncé les « pseudo-reporters, ennemis déclarés du camp de la paix publique qui relaieront outrancièrement le geste malheureux d’un collègue excédé ». En retour, les concernés assurent que la police les « vise » délibérément.
Les journalistes, « des cibles identifiées » ?
Les actions des forces de l’ordre touchent d’ailleurs tous types de preneurs d’images, qu’ils soient amateurs, indépendants ou affiliés à des grands médias. « On a aujourd’hui atteint un degré de violence inédit envers les journalistes », regrette Olivier Laban-Mattei, photographe qui a travaillé sur le mouvement pour Le Monde. « Notre matériel ne se distingue pas de celui des autres. Difficile de faire la différence entre un observateur qui travaille pour un média ou un blog et un manifestant qui est dans une démarche d’activisme », raconte-t-il. Tout en soulevant cette question : « Les policiers confondent-ils les journalistes avec les manifestants qui filment ou sommes-nous devenus des cibles identifiées ? »