À quinze jours de la consultation sur le projet d’aéroport, la Commission nationale du débat public met en ligne le site officiel d’information pour les électeurs. Mais ses lacunes sont nombreuses et ses données souvent biaisées.
C’est un cas d’école et une épreuve test pour les instances de démocratie participative : une autorité indépendante dont la mission est de faire prendre en compte le point de vue des citoyens peut-elle offrir une information objective sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? C’est la mission que le gouvernement a confiée à la Commission nationale du débat public (CNDP), habituellement chargée d’organiser des débats publics sur les grands projets d’aménagement (Grand Paris Express, centre commercial Europa City…). Cette fois-ci, la tâche est inédite : c’est la première fois que l’État organise en France une consultation locale sur une infrastructure ayant déjà fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique (en 2008). De ce fait, les électeurs de Loire-Atlantique, appelés aux urnes le 26 juin pour dire s’ils approuvent ou rejettent la construction d’un aéroport dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, n’auront pas de pouvoir de décision. Ils auront simplement leur mot à dire. Il ne s’agit pas d’un référendum, et le gouvernement n’a pas indiqué sur quels critères de participation et quels pourcentages de résultat il jugerait l’issue du vote.

Dans ce contexte institutionnel complexe et politiquement sensible, et alors que l’indécision des autorités depuis 2012 a exacerbé la polarisation de l’opinion publique locale, l’information des électeurs devient un fort enjeu démocratique. Mis en ligne à quinze jours du vote, le site d’information de la CNDP sur le projet d’aéroport offre-t-il un tableau objectif, appuyé sur des faits, des raisons de construire ou non un aéroport sur des terres agricoles et la plus grande zone humide de la région ?
Pas vraiment. Pour l’essentiel, la commission reprend les arguments habituels des partisans et des opposants au projet d’aéroport, les juxtapose, mais sans en vérifier les fondements. « On a le sentiment d’avoir donné une vision objective du sujet », affirme Christian Leyrit, son président, lors d’une conférence de presse à Paris, jeudi 9 juin. Mais additionner des points de vue contradictoires ne suffit pas à créer un discours juste. Ainsi, en dernière page, on trouve le document sans doute le plus important du dossier : la liste des six principaux arguments pour voter oui ou non à la question qui sera posée aux électeurs : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? »
En faveur du projet, on lit que l’État risquerait de verser « de lourdes indemnités » au concessionnaire, le groupe Vinci, en cas d’abandon et qu’elles seraient « probablement supérieures » à la participation de l’État à la réalisation de l’aéroport. Pourtant, à aucun moment le document de la CNDP ne chiffre ce coût de résiliation. Au contraire, il indique que ni l’État, ni l’entreprise n’ont fourni d’estimation. « Ce n’est pas l’opinion de la CNDP, ce sont les arguments des uns et des autres », répond Christian Leyrit. « Combien ça coûte ? Nul ne le sait », assure-t-il. Mais pourquoi alors l’avoir repris dans les principaux arguments ? La commission n’a pas produit de nouvelle expertise. « Sur un sujet aussi complexe, on peut le regretter », reconnaît son président.
Parmi les nombreux rapports officiels publiés depuis le débat public de 2003, la CNDP a écarté des arguments défavorables au projet d’aéroport. Par exemple, au sujet des nuisances sonores, elle écrit que pour la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), faire atterrir et décoller les avions à Notre-Dame-des-Landes impacterait beaucoup moins de monde que de conserver l’actuel aéroport de Nantes. Mais elle omet de dire que l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (l’Acnusa), l’autorité administrative indépendante en charge du contrôle des nuisances sonores, ne réclame pas le transfert de l’aérogare. Elle exige (dans son rapport 2014) la révision du plan de gêne sonore actuel car il n’aide pas les personnes les plus gênées par le bruit et proteste contre le retard des autorités à le faire.

Autre exemple : au sujet du lac de Grand Lieu, le plus grand lac naturel de plaine en France, situé près de l’actuel aéroport de Nantes et dont la préservation est invoquée par les partisans du nouveau projet. La CNDP indique que pour de « nombreux naturalistes », le déménagement serait une plus grande menace pour l’environnement car il ouvrirait la voie à l’urbanisation. Mais elle oublie de préciser que c’est également le point de vue de l’ancien directeur de la réserve naturelle, Loïc Marion – qu’elle a pourtant rencontré. Mais aussi des experts de l’État lui-même, par le biais de la Dreal, qui avaient exprimé le même point de vue dans une note oubliée dans un tiroir de la préfecture et révélée par le Canard enchaîné il y a quelques semaines.
Le site de la CNDP n’en dit rien mais un incident s’est produit lors de la visite officielle du lac de Grand Lieu par les membres de la Commission. Un homme s’est fait passer pour un représentant de Bretagne vivante, une importante association naturaliste, et leur a déclaré que le survol des avions nuirait à la faune de la réserve naturelle du fait du bruit et au lac par les largages de kérosène. Sauf que ces faits, invoqués par les partisans du nouvel aéroport, sont contestés par l’association, qui les considère comme infondés. Bretagne vivante a officiellement protesté dans une lettre adressée au président de la Commission. Car selon ses informations, le faux naturaliste est en fait l’adjoint à l’environnement du maire de la commune de Saint-Aignan, engagé dans la campagne pour le oui à l’aéroport, et époux de sa première adjointe. « Nous sommes dans une situation de totale incompréhension face à cette situation », écrit le président de l’association dans sa lettre.

Sur le coût financier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la Commission du débat public opère un découpage discutable. Elle ne prend pas en compte le coût de la ligne ferroviaire à grande vitesse exigée par la Bretagne pour relier Rennes à Notre-Dame-des-Landes. Elle n’intègre pas non plus celui du pont sur la Loire pourtant réclamé par le président de la région Pays de la Loire en échange de son soutien au projet. Elle affiche une contribution de l’État de 130,5 millions d’euros mais oublie d’ajouter les 115,5 millions d’euros payés par les collectivités locales. Cela sous-estime d’autant le montant total que devra payer chaque habitant du département de Loire-Atlantique, contribuable national mais aussi local. Ce chiffre n’a d’ailleurs même pas été calculé par la CNDP.
Quant à l’impact du projet d’aéroport sur l’agriculture locale, il semble lui aussi minimisé. Le document se contente de chiffrer les dommages : neuf exploitations menacées, perte de 3,4 % de la surface cultivée et de 2,3 % du cheptel de vaches laitières. Ces effets peuvent sembler dérisoires, alors que tout le monde paysan local, y compris la FNSEA, est opposé au nouvel aéroport. Rien n’est dit des projets agricoles aujourd’hui en développement sur la ZAD occupée par des opposants. La Commission ne s’y est pas rendue et n’a rencontré aucun de ses habitants.
Plus généralement, la sémantique du rapport est lourde de sens : il parle de « saturation » de l’actuel aéroport alors que ses salariés dénoncent son défaut d’entretien. Le fermer permettrait de « libérer » de l’espace. Parmi les adresses de sites internet opposés au projet figure celui du Front national mais pas celui du Modem, ni celui des habitants de la ZAD. De son côté, l'Atelier citoyen regroupant des dizaines d'experts opposés au nouvel aéroport, publie une lettre ouverte à la CNDP mardi 14 juin et propose une vingtaine de corrections à son site d'informations. Ils dénoncent « plusieurs erreurs et lacunes » : le coût de la construction de l'aérogare de Notre-Dame-des-Landes est estimé pour 4 millions de passagers alors que celui du réaménagement du site actuel est chiffré pour 9 millions d'utilisateurs; les chiffres de la DGAC (favorable au projet) ne sont pas contrebalancés par celui des experts du ministère de l'environnement; il n'est pas précisé que les emprunts du concessionnaire, AGO, sont cautionnés par les collectivités locales.
Accusé de défaut d’impartialité pour ses liens professionnels anciens avec le paysagiste de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, une des personnes clés du projet, Christian Leyrit s’est défendu en expliquant que les 25 membres de la CNDP avaient été nommés par 19 instances différentes, et que le document d’information n’avait été envoyé à aucun ministère avant sa publication, jeudi 9 juin.
Qu’en pensent les autres représentants de la commission du débat public ? Ont-ils tous voté le document d’information ? Impossible de le savoir car cette information est couverte par une curieuse règle du secret des délibérations. Mais au vu du communiqué publié par France nature environnement, qui siège à la CNDP, début juin, dénonçant les « zones d’ombre » qui persistent, il est aisé d’en déduire qu’au moins un membre n’en est pas satisfait.
Plusieurs associations, locales et nationales, ont déposé vendredi 3 juin une requête en référé devant le Conseil d'État pour suspendre le vote du 26 juin : les deux collectifs historiques des opposants au projet, l'Acipa et le Cédpa, ainsi qu’Attac 44 et trois couples installés sur les terres prévues pour accueillir le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, expulsables depuis le 25 janvier. Ils contestent le périmètre de la consultation, réservée au département de Loire-Atlantique, et la question posée aux électeurs, qui porte sur le projet d’aéroport déclaré d’utilité publique en 2008, et non sur la version réduite qu’appelaient de leurs voeux les experts du ministère de l’environnement dans un rapport commandé par Ségolène Royal et publié en mars. L'audience en référé se tient lundi 13 juin au Conseil d'Etat.
Source : https://www.mediapart.fr