Politis consacre ce jeudi un gros dossier critique à la gestion du personnel chez Free (dont le fondateur et principal actionnaire, Xavier Niel, est copropriétaire de l’Obs, dont fait partie Rue89) : « Fichage de salariés, licenciements montés de toutes pièces, répression syndicale... », telles seraient les pratiques chez l’opérateur télécoms selon l’hebdomadaire.
Le dossier porte d’abord sur le plan Marco Polo, nom de code de la fermeture progressive d’un site marseillais. Politis s’appuie sur un listing de 45 salariés, « fichés par les ressources humaines et progressivement poussés vers la sortie ». Ce fichier nominatif répertorie les situations des salariés et les méthodes envisagées, comme « dossier à construire pour faute » ou « clause mobilité ».
Les journalistes ont également vu des mails montrant que les DRH sont conscients du risque de requalification en PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) ; en conséquence ils veulent éviter des ruptures conventionnelles « pour ne pas créer de doutes sur l’hypothèse d’un plan social économique déguisé ».
Harcèlements
La grande majorité des témoignages du dossier de Politis sont anonymes, une des exceptions étant Giorgio Mariani, ancien responsable des ressources humaines du site marseillais. Il a exécuté cette politique de pression sur les salariés pour les pousser au départ, qui parfois s’est soldée par une pseudo-faute commise volontairement par l’employé contre une somme d’argent.
Diverses pratiques de harcèlement ont été utilisées : « Détérioration des conditions de travail, isolement physique et moral, demandes floues et répétées suivies de reproches, jeu sur la mobilité... » Un ancien cadre marseillais raconte que « ils nous faisaient déplacer le dimanche sans nous payer, nous ont fait monter à Paris pour une demi-heure de formation : c’était ridicule ! »
Un ex-responsable RH parle
Giorgio Mariani reconnaît avoir participé à « une machine à broyer » et a fini par craquer après avoir « jeté avec une misère » une ingénieure « qui n’avait rien à se reprocher », « broyée psychologiquement ». Il a alors appelé la CFDT et dévoilé le plan Marco Polo. Après un arrêt maladie, il est à son tour licencié pour faute grave, ne pas avoir déclaré son appartement de fonction – il finit par obtenir gain de cause en appel en mars 2015.
Ce plan marseillais a réussi à obtenir la plupart des départs souhaités, rapporte Politis, qui a aussi eu accès entre autres documents internes de Free à :
« Un tableau extrêmement détaillé, évaluant les pertes aux prud’hommes en comparaison de ce qu’aurait coûté un plan de licenciement conforme à la loi. Le résultat est sans appel : économiquement, mieux vaut harceler, licencier et être condamné que respecter la loi. »
« Carré VIP aux prud’hommes de Marseille »
Un responsable plateau aurait par exemple coûté, selon le groupe, 123 000 euros dans le cas d’un PSE et 48 500 aux prud’hommes.
Le dossier indique qu’un second programme secret, appelé « centralisation », a ensuite été mis en place pour une cinquantaine de salariés marseillais, bordelais et parisiens. « Depuis 2010, affirme Politis, les condamnations pour des faits de licenciements abusifs et de harcèlement moral pleuvent. “ Free a le carré VIP aux prud’hommes de Marseille ! ”, ironise » un témoin.
L’hebdomadaire présente ensuite les conditions de travail dans les centres d’appels, « les Germinal des temps modernes » selon un avocat, Me Lecanet, « qui a eu maille à partir avec le groupe » ; le turn-over y serait particulièrement élevé, 44% du personnel ayant quitté son poste en 2014 dans quatre des cinq centres d’appels du groupe (les chiffres du cinquième, à Marseille, ne sont pas connus), selon les calculs des journalistes.
Syndicalistes mal vus
Politis expose également le traitement des syndicalistes dans le groupe Iliad (maison mère de Free) : filialisation (un classique : pour diminuer le nombre de représentants du personnel et d’heures de délégation, multiplier les filiales) et les pressions variées.
Plusieurs cas sont cités dans le dossier, comme le licenciement de quatre conseillers d’une boutique parisienne, qui ont obtenu le 11 avril 2016 de 9 000 à 13 000 euros de dommages, « une somme rondelette étant donné la faible ancienneté des quatre salariés », ou encore le renvoi d’un manager de centre d’appels, très apprécié, qui se voit convoqué à un entretien préalable de licenciement alors qu’il était sur le point d’être nommé délégué syndical – malgré son statut de ce fait de salarié protégé, selon un courrier de l’inspection du travail vu par Politis.
Nous avons demandé à Iliad une réaction au dossier de l’hebdomadaire, et ses commentaires seront ajoutés ici lorsqu’ils nous parviendront.
Source : http://rue89.nouvelobs.com