Il a manqué deux signataires aux députés de gauche (PS, EELV et PCF) opposés au texte pour pouvoir déposer une motion de censure contre le gouvernement. Les députés aubrystes, pourtant opposés, étaient aux abonnés absents.
À deux voix près. Après une journée d’intenses discussions, les « frondeurs » du PS, emmenés par les députés Christian Paul (Nièvre) et Laurent Baumel (Indre-et-Loire), ne sont pas parvenus à réunir les 58 signatures de députés nécessaires pour déposer une motion de censure « de gauche » contre le gouvernement. Ils avaient jusqu’à 16 h 36 ce mercredi 11 mai, soit 24 heures après que Manuel Valls, le premier ministre, a officiellement dégainé l’article 49-3 pour faire passer sans vote la loi sur le travail.
Une première motion de censure, signée par les députés LR, avait été déposée dès mardi après-midi. Mais depuis, une intense pression pesait sur les épaules des réfractaires socialistes : pouvaient-ils voter une motion de droite, qui revendique clairement son libéralisme, au risque de se faire exclure du groupe à l’Assemblée, voire du PS ? En clair : la fin justifie-t-elle le moyen ? « Les frondeurs doivent savoir que (...) c’est une ligne rouge que de déposer ou voter une censure contre le gouvernement », a fait savoir Bruno Le Roux, le patron des députés PS. Myriam El Khomri avait de son côté jugé « inconcevable » que les députés socialistes puissent « dérouler le tapis rouge à la droite ».
La motion de censure, qui interviendra jeudi à 15 heures, doit en effet recueillir la majorité absolue des voix pour être adoptée. Sachant que trois sièges sont vacants à l’Assemblée, il faut 288 voix pour – les voix contre ne sont pas comptées. Les groupes LR et UDI au complet représentent 226 députés. Il manque 62 voix PS, écolo, Front de gauche et non-inscrits pour faire tomber le gouvernement.
À cette heure, il est fort peu probable que cela se produise. Certes, les communistes ont déjà annoncé qu’ils voteraient pour le texte de la droite. Certes, Pouria Amirshahi, député ex-PS désormais non inscrit, et Isabelle Attard, députée écolo, ont annoncé vouloir faire de même. Mais les grandes figures des « frondeurs » ont fait savoir qu’ils ne voteraient pas la motion déposée par LR. « Une des difficultés, c’est que la motion de censure de la droite, elle a un contenu. La droite dit : “On n’est pas d’accord avec cette loi parce qu’elle n’est pas assez libérale.” Nous, on pense le contraire », a déclaré Laurent Baumel dans la journée. « Je ne voterai pas la motion de censure de droite parce que j’ai une cohérence politique », annonçait de son côté le député de Paris Pascal Cherki.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Dès hier soir, une réunion, rarissime, avait mis autour d’une même table André Chassaigne, député PCF et président du groupe Front de gauche, quelques frondeurs, l’ex-ministre EELV Cécile Duflot, ainsi que Pouria Amirshahi. Une ébauche de texte a même été rédigée. La course aux signataires s’est poursuivie tout ce mardi. En fin de matinée, une réunion organisée par les frondeurs avait confirmé le principe d’une motion de gauche. En l’absence de plusieurs députés aubrystes, pourtant très remontés contre la loi El Khomri. « Nous recherchons toutes les possibilités pour déposer une motion de censure des gauches et des écologistes », avait déclaré Christian Paul à la mi-journée. La course contre la montre s’est arrêtée net peu après 16 h 30. Il manque deux députés pour passer le cap des 58.
Interrogée par Mediapart, la députée de Paris Fanélie Carrey-Conte, « frondeuse », voit le bon côté de la chose. « Nous avons créé une dynamique qui ne s’arrêtera pas », dit-elle. « C’est tout de même un événement politique que 56 parlementaires de gauche aient signé le texte. Cette dynamique est porteuse d’espoir, et notre démarche n’est pas finie », ajoute-t-elle. Surtout, insiste Carrey-Conte, « la mobilisation va continuer, il y aura une deuxième lecture à l’Assemblée, le gouvernement Valls est fragilisé ».
Dans le détail, 25 députés PS et trois apparentés sont signataires ; 13 députés Front de gauche sur les 15 du groupe, 10 écolos sur 16, 4 non inscrits et un radical. La liste a été rendue publique en fin de journée, ainsi que le texte de la motion (à lire ici (pdf, 106.7 kB)). Celui-ci qualifie d’une « extrême gravité » l’utilisation « par un gouvernement issu de la gauche, de l’article 49-3 ». « Ce projet de loi, et la philosophie qui a présidé à sa conception, participent à l’idée fausse selon laquelle la diminution des protections des salariés favoriserait la création d’emplois », poursuit le texte. Qui conclut : « À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Le gouvernement doit accepter le débat de fond sur sa politique et cesser d’empêcher le Parlement de jouer pleinement son rôle d’assemblée délibérante. »
De fait, ce sont bien les députés proches de Martine Aubry qui manquent à l’appel, parmi lesquels Jean-Marc Germain, pourtant en pointe contre le texte depuis des semaines. François Lamy a tenté un début d’explication dans les couloirs de l’Assemblée : « Martine Aubry n’est ni pour la scission du PS, ni pour la politique du pire. » Hier encore, Germain twittait sur la légitimité des frondeurs à s’opposer au texte, il semble que cette légitimité n’ait pas encore été assez forte.
74% ds Français trouvent normal que ls "frondeurs" expriment publiquement leurs désaccords comme sur la #loi travail
« C’est toujours dans la culture des députés, et en particulier des socialistes, de rentrer dans le rang », soupire un député socialiste. « Il est vrai que la transgression était cette fois-ci beaucoup plus importante que ce qu’on a eu [à relever] jusqu’à présent », ajoute-t-il. L’ultime transgression, voter le texte de la droite, est encore plus loin.
Source : https://www.mediapart.fr