Parkeon, qui équipe les villes en parcmètres et horodateurs, est une machine à cash pour ses actionnaires. Elle vient d’être revendue au fonds d’investissement Astorg. À cette occasion, l’équipe de direction empoche 94 millions d’euros pour un investissement de 300 000 euros effectué il y a trois ans.
Combien de fois encore la société Parkeon devra-t-elle s’épuiser à se racheter ? La question est dans la tête de tous les salariés de la société, spécialiste mondiale des systèmes de parcmètres et d’horodateurs, qui n'en peuvent plus de voir leur entreprise réduite à une machine à cash pour les actionnaires et les banquiers. Vendredi 15 avril, le fonds de private equity, Astorg Partners, a annoncé s’être porté acquéreur de l’entreprise pour 510 millions d’euros, soit deux fois le chiffre d’affaires (238 millions en 2015), 11,5 fois le résultat brut d’exploitation (Ebitda).
Une belle opération, comme les aiment les fonds d’investissement. Pour réaliser cette acquisition, Astorg Partners engage 246 millions d’euros, le management – une quinzaine de personnes – investit 34 millions. Et le reste… sera payé grâce à de la dette : 230 millions d’euros, qui seront remboursés à nouveau en prélevant sur les capacités financières de l’entreprise. Une partie de la trésorerie de l’entreprise – une vingtaine de millions – a déjà été mobilisée dans l’opération.
C’est la troisième fois en treize ans que Parkeon, qui équipe quasiment toutes les villes de France en parcmètres, est revendu sous forme de LBO (leveraged buy out). En 2003, Schlumberger a décidé de se séparer de cette filiale centenaire, spécialisée à l’origine dans les compteurs d’eau, et l’a cédée au fonds Apax pour 80 millions d’euros. En 2008, Parkeon a été revendu par Apax à un autre fonds, Barclays, pour 260 millions d’euros. Sept ans plus tard, la voici revendue à nouveau pour le double.

Les actionnaires précédents se frottent les mains. Rarement opération financière est si profitable. L’actionnaire majoritaire IGC, un fonds spécialisé dans les dettes mezzanines [dette considérée comme du quasi-capital, remboursée après les prêts bancaires mais donnant lieu à des intérêts plus élevés – ndlr] qui s’est substitué à Barclays en 2013 à la suite des difficultés financières rencontrées par Parkeon, empoche 224 millions d’euros. Les banques vont toucher 144 millions d’euros. Mais c’est surtout le management de Parkeon qui touche le jackpot. Alors qu’ils avaient investi 300 000 euros au moment de la restructuration du capital en 2013, ils ressortent avec 94 millions d’euros trois ans après, selon les chiffres dévoilés par la CFDT. 93,7 millions d’euros de plus-values ! Qui dit mieux ? Même s’ils réinvestissent 34 millions dans le nouveau tour de table, ils conservent 60 millions d’euros à se partager à quinze. De quoi assurer les vieux jours.
Les réjouissances ne se sont pas arrêtées là. 27 millions d’euros ont été versés en commissions et honoraires aux banquiers conseils, aux avocats et autres intermédiaires qui ont participé à la vente et au montage du nouveau LBO. C’est plus que la masse salariale annuelle totale de Parkeon en France.
« Nous ne sommes pas des mercenaires », s’est défendu le PDG de Parkeon, Bertrand Barthélémy, qui s’est dit « personnellement blessé », dans un entretien à L’Est républicain en réponse à la contestation des salariés de Parkeon quand ils ont découvert en décembre le montant qu’allaient toucher les dirigeants de leur entreprise. Pour calmer les esprits, les dirigeants ont accepté de verser une prime de 2 millions d’euros aux seuls salariés français, ce qui représente 3 800 euros par personne.
Mais l’opération passe toujours aussi mal auprès des salariés. D’autant plus mal que ceux-ci ont le sentiment d’être les grands perdants de l’histoire. Eux aussi étaient devenus actionnaires de leur entreprise. En 2008, au moment de la deuxième opération de revente, 260 salariés sur un peu plus de 1 000 avaient accepté de participer à un fonds salarial avec le management, qui avait déjà fait une pelote de plusieurs millions grâce à la première revente. Les salariés investissaient alors 400 000 euros pour devenir actionnaires de leur société. Cela leur donnait environ 1,2 % du capital.
Puis la crise est venue et Parkeon s’est retrouvé étranglé par une dette de plus 170 millions d’euros, liée à son rachat. En 2009, une première restructuration intervient. Et là, dans l’opacité la plus totale, alors qu’aucune opération de réduction de capital ne semble avoir touché les autres actionnaires, les actionnaires salariés, eux, sont forcés d’abandonner leurs actions. On leur rachète le total de leurs 792 000 actions pour la somme mirifique de 14 euros !
En dépit de vagues promesses faites par la suite soit par l’actionnaire principal, soit par les dirigeants devant le comité d’entreprise, aucune compensation ne leur sera proposée. Pas même aujourd’hui alors que tous les autres empochent le gros lot. Tout cela s’est passé avant leur prise de fonction, arguent les nouveaux dirigeants. Ils n’ont pas trouvé « la solution légale » qui leur permette d’offrir à ces salariés un dédommagement.
Mais, au-delà du sort des salariés actionnaires, ce sont tous les salariés qui s’inquiètent. Depuis le temps, ils ont appris à mesurer les effets délétères des montages LBO et leur montagne de dettes. Car après la première restructuration en 2009, rien ne s’est arrangé dans l’entreprise. Complètement asphyxié par les frais financiers – alors plus de 16 millions par an –, Parkeon a le plus grand mal à tenir la tête hors de l’eau. Aux difficultés financières s’ajoutent les querelles entre les actionnaires et la direction. Fin 2010, Yves Chambeau, le patron historique, est débarqué. Il est remplacé par Bertrand Barthélémy (X-Mines), ancien conseiller économique de Jacques Barrot, alors ministre du travail et des affaires sociales, devenu par la suite un des dirigeants de Capgemini.

Son arrivée est brutale. « Il ne cessait de dénigrer Parkeon. En tant qu’ancien de Capgemini, il ne jurait que par l’externalisation, les services, ne voulait rien savoir de la recherche et développement ou des activités industrielles. Puis, il en est revenu », se rappelle un salarié. Des salariés le soupçonnent d’avoir « tout fait pour amener la boîte en rupture de convenance [garanties attachées à un prêt – ndlr] ». En 2009, lors de la première restructuration de la dette, un accord avait été passé entre Barclays Capital, alors actionnaire majoritaire, et IGC, qui finançait en grande partie la dette mezzanine : si Parkeon ne respectait pas certains ratios, IGC se substituerait à Barclays comme premier actionnaire de la société.
C’est ce qui est advenu en 2013. L’arrivée d’IGC comme premier actionnaire se double d’une nouvelle restructuration de l’endettement. Elle est menée cette fois directement sous l’égide de Bercy, et du ministre des finances, Pierre Moscovici. Ce dernier est alors très concerné par le sort de l’entreprise qui a son principal site à Besançon – Parkeon est le premier employeur de la ville –, à proximité de son fief de Montbéliard. Sous l’amicale intervention de Bercy, les dix-sept banques créancières, emmenées par BNP Paribas, Crédit agricole, Crédit lyonnais, Bred, Axa, acceptent donc une restructuration de la dette, afin de ramener l’endettement à 80 millions d’euros. En contrepartie, elles sont directement intéressées à la revente. Ce qui leur permet aujourd’hui d’empocher 144 millions d’euros. C’est à l’occasion de cette nouvelle restructuration que le management fait une entrée discrète au capital en apportant 300 000 euros.
Pendant toutes ces années, Parkeon s’est vidé de ses ressources financières mais aussi de ses capacités techniques et d’innovation, pour faire face à sa dette de rachat. Toutes les finances de l’entreprise ont été mobilisées pour honorer les échéances des prêts : plus de 130 millions ont été versés en frais financiers entre 2008 et 2013. Tout le reste a été mis au régime sec : les investissements, le développement, la recherche et le développement. Alors que l’entreprise menaçait de crouler, les salariés ont accepté un gel des salaires pendant trois ans. Des postes ont été supprimés. Les salariés en France coûtant trop cher, forcément trop cher, une partie des projets ont été délocalisés en Pologne, tellement plus accueillante. Les salariés de Besançon ont été priés de leur transmettre leur savoir-faire. Cinq millions d’euros d’économie supplémentaires ont encore été réalisés, après la dernière renégociation de dette.
Avec le nouveau montage, Parkeon repart avec une dette de 230 millions d’euros, supérieure au montant de la dette qui a failli couler l’entreprise en 2008. « Le taux d’endettement rapporté à notre rentabilité est deux fois inférieur au taux de l’opération précédente », a affirmé le PDG de Parkeon, en annonçant le rachat de l’entreprise par Astorg.
Néanmoins, l’entreprise part fortement lestée, pouvant vaciller au moindre coup dur. Selon les accords signés avec les créanciers et l’actionnaire, l’entreprise s’est engagée à réaliser un “ebitda” entre 35 et 39 millions. Il est de 44 millions d’euros en 2015. Chaque année, les frais financiers vont représenter entre 12 et 14 millions d’euros, soit trois fois le montant de ses investissements. Et encore elle n’aura pas remboursé le capital de sa dette qui sera seulement payé à la fin de ce troisième LBO.
Tout cela répond-il encore à l'intérêt social de l'entreprise ? Cherchant à rassurer salariés et élus, Bertrand Barthélémy a pris des engagements. « Nous sommes convaincus que nous allons amener notre entreprise encore plus haut, tout en conservant notre ancrage sur le territoire national. Comme vous, je sais que les pouvoirs publics et nos clients français sont sensibles à cet ancrage (…). Cet engagement comprend un fort attachement à notre présence en France et en particulier sur notre site de Besançon », écrit-il dans sa lettre aux salariés pour expliquer le nouveau LBO. En trois ans, les effectifs en CDI de Besançon ont diminué de 9 %.
Source : https://www.mediapart.fr
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