Stéphane Lardy, l’homme de FO sur les questions d’emploi et de travail, devrait rejoindre l’Inspection générale des affaires sociales et Thierry Lepaon, l'ex-secrétaire général de la CGT, la lutte contre l’illettrisme.
Quand en 2013, François Chérèque, l’ancien secrétaire général de la CFDT, fraîchement nommé inspecteur à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), était chargé par le gouvernement de superviser le plan national de lutte contre la pauvreté, les syndicats avaient grincé des dents. La CGT et Force ouvrière (FO) en tête trouvaient là une nouvelle et belle occasion de critiquer la maison d’en face, régulièrement attaquée pour sa proximité avec le pouvoir socialiste. « Cela ne donne pas une image d'indépendance syndicale », avait notamment asséné le leader de FO Jean-Claude Mailly. Trois ans plus tard, ces deux syndicats doivent balayer devant leur porte. En pleine mobilisation contre la loi sur le travail et alors que les syndicats sont débordés par leurs bases et par des mouvements citoyens rejetant « le système », y compris syndical, le gouvernement s’apprête à nommer deux des leurs à des postes à haute responsabilité.
Stéphane Lardy, l’homme fort de FO (et de la scène syndicale) sur les questions d’emploi et de travail, qui a toujours été pressenti pour succéder à Jean-Claude Mailly (en poste depuis douze ans), devrait rejoindre l’IGAS en qualité d'Inspecteur général des affaires sociales, l'un des corps administratifs les plus prestigieux (et parmi les mieux rémunérés) à l’instar du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de l'Inspection générale des finances. « C’est lui qui l’a souhaité et qui a postulé, il y a des mois. Sa candidature a été retenue. C’est bien pour lui, c’est bien pour l’IGAS, qui récupère un homme très compétent bardé de diplômes et d’expérience », réagit Jean-Claude Mailly.
Le numéro un de FO réfute tout mauvais procès : « Les chiens aboient, la caravane passe. Comme quand on dit : “Mailly a sa carte au PS mais il cartonne en permanence le gouvernement.” Lorsque j’ai critiqué la nomination de Chérèque, ce n’est pas parce qu’il rejoignait l’IGAS mais parce qu’il devenait le Monsieur Pauvreté du gouvernement. » Un proche de François Hollande, très infiltré dans le monde syndical, croit connaître la vraie raison du départ de Stéphane Lardy, « un syndicaliste incontestable, extrêmement pointu et brillant », réformiste convaincu : « Il en avait marre de FO et s’est rendu compte que les anciens trotskards tenaient tout. » Contacté, Stéphane Lardy n’a pas retourné nos appels.
Mais sa très prochaine nomination suscite bien moins de gêne et de remous que celle à venir de Thierry Lepaon. L’ancien secrétaire général de la CGT n’a pas fini d’empoisonner la vie du syndicat. Et l’information tombe au plus mauvais des moments, à l’heure où s’ouvre le congrès de la centrale de Montreuil, ce lundi 18 avril à Marseille. Contraint à la démission en janvier 2015, après la cascade de révélations sur la rénovation de son bureau, son appartement de fonction ou encore ses 26 500 euros d’indemnités de départ lorsqu’il a quitté la CGT Basse-Normandie pour rejoindre le siège à Montreuil, Thierry Lepaon devrait être recasé par Matignon à la tête de l’Agence de la langue française pour la cohésion sociale, une fonction rémunérée. La structure n’existe pas encore. Elle est en cours de création. Manuel Valls l’a présentée à l’issue d’un « comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté », mercredi 13 avril à Vaulx-en-Velin dans la banlieue lyonnaise, ainsi qu’une batterie d’autres mesures (notamment la création d’un Haut-Commissariat à l’engagement, présidé par un autre ancien syndicaliste, l’ancien leader de la CFDT, François Chérèque, qui restera président de l’Agence du service civique).

L’Agence de la langue française pour la cohésion sociale aura pour principale mission la lutte contre l’illettrisme. Comme sa jumelle, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) qui rassemble collectivités territoriales, partenaires sociaux et pouvoirs publics. L’ANLCI existe depuis des années, emploie une douzaine de personnes (pour un budget annuel de 1,2 million d'euros, dont 600 000 euros de subvention d'État), satisfait tout le monde même la Cour des comptes et la fonction de président y est bénévole. Il y a un an, en avril 2015, l’Élysée avait proposé à Thierry Lepaon d’en assurer la destinée, mais ce dernier avait refusé, le poste n’étant pas rémunéré, raconte ici Le Parisien. Le gouvernement semble aujourd’hui avoir trouvé la solution… La présidente de l’ANLCI, Marie-Thérèse Geoffroy, elle, a vu rouge en apprenant qu’une deuxième structure, visant les même objectifs, allait voir le jour, assortie d’une présidence rémunérée confiée à Thierry Lepaon.
Voilà des mois que l’ancien numéro un de la CGT attend d’être reclassé professionnellement et qu’il planche au sein d’une « mission d’évaluation et de proposition » initiée par le gouvernement pour dessiner les contours de cette « agence de la langue française ». Si personne ne conteste son expertise en matière d’illettrisme (il a lui-même été affecté dans son parcours personnel par ce fléau qui touche des millions de Français et il avait rédigé un rapport remarqué à ce sujet en 1996 pour le Conseil économique et social régional de Basse-Normandie), les conditions de son reclassement ne passent pas dans les rangs de nombreux militants CGT. Dans un communiqué, la CGT Goodyear pointe « le spectacle honteux du reclassement de Thierry Lepaon par Francois Hollande ». « Une récompense pour service rendu ? Le même François Hollande qui, par ailleurs, demande à ses procureurs de nous jeter en prison », raille-t-elle. Pour autant, en interne, au siège de la CGT à Montreuil, devant l’entrée duquel des trublions ont tagué au sol la blague qui colle traditionnellement à la CFDT – « du temps de l’esclavage, les syndicats négociaient la longueur de nos chaînes » –, « on est content de voir partir Lepaon, de tourner la page », souffle un membre de la commission exécutive, sous couvert d’anonymat.
Payé 4 200 euros net par mois (13) « à rien faire », selon les termes d’un haut responsable de la CGT (Thierry Lepaon militait dans sa région, sans affectation et responsabilités particulières), il a lâché seulement en février le trois pièces de fonction à Vincennes qui lui avait coûté son fauteuil (et qui coûte plus de 2 200 euros de loyer à la CGT auxquels il faut ajouter un véhicule de fonction). Et « il a fallu batailler pour qu’il quitte l’appartement », poursuit ce même cadre de la CGT. Dans un grand entretien à Mediapart à lire ici, Philippe Martinez, qui a pris en catastrophe la tête de la CGT après le scandale Lepaon, refuse de s’étendre sur la polémique : « Vous pensez que Hollande m’a appelé pour me dire : je te laisse construire une agence et définir le poste et le salaire de Lepaon ? »
Il s’étonne néanmoins que « cela se précise à quelques jours du congrès de la CGT », assure que « des règles de vie interne claires et précises ont été fixées depuis l’affaire Lepaon », et assume « de veiller à ce que tous ces militants qui changent de responsabilité, des syndicats à la confédération, retrouvent une activité professionnelle et ne perdent pas leur salaire dans l’attente ». « Ce qu’on ne peut contester à Thierry, poursuit-il, c’est son expertise dans le domaine de l’illettrisme. Il est l’un des experts de ce fléau dans les milieux du travail. Et ça tombe à pic car le gouvernement travaille à la création d’une agence pour la langue française incluant cette problématique. L’idée remonte au temps où Rebsamen était ministre du travail. J’ai dit : “Tiens il y a quelqu’un chez nous qui connaît bien ces questions, là, c’est Thierry.” Et c’est ainsi que cela s’est construit. »
Depuis sa Normandie où il réside une partie de la semaine, l’ancien soudeur-chaudronnier de Moulinex, qui a gravi les échelons du syndicalisme, attend avec impatience sa nomination et suit la polémique à très grande distance. Comme les mobilisations contre la loi sur le travail ou encore le mouvement « Nuit Debout », « ça, c’est un truc de Parisiens, de journalistes ». « Le gouvernement ne crée pas cette agence pour me faire plaisir mais bien parce qu’il y a un défi colossal à relever. Il y a plus de Français en situation d’illettrisme que de syndiqués dans ce pays. Cette agence aura des fonctions plus larges que celle qui existe déjà. Tout le monde sait que ma passion, c’est l’illettrisme, je ne suis pas illégitime. »
Thierry Lepaon se défend aussi d’avoir été payé par la CGT pendant un an « à ne rien faire ». Il rappelle qu’il n’est « pas un syndicaliste de base mais un ancien secrétaire général », qu’il a été blanchi par une enquête interne de la CGT, qu’il a vécu « l’enfer », au point même de vouloir mettre fin à ses jours. « Tout est dans mon livre », répète-t-il. Dans La vie continue, publié en septembre dernier aux éditions du Cherche Midi, sa « thérapie », il raconte avoir été victime d'une cabale, orchestrée selon lui par neuf cadres de la CGT (sans donner de noms) qui voulaient non pas le déstabiliser lui, mais la CGT, cette « maison impossible à rassembler ». Et de lancer : « Ce sont ces mêmes traîtres qui ont balancé des documents à la presse patronale qui sont contents aujourd’hui de me voir partir de la CGT, mais suivez-moi au congrès. Je suis un de ceux qui serrent le plus de mains et les militants sont contents que je retrouve une activité professionnelle. »
Source : https://www.mediapart.fr