Source : https://www.mediapart.fr
Une manifestation était organisée, vendredi 25 mars au matin, pour protester contre des violences policières sur un lycéen de Bergson à Paris. Des incidents ont éclaté : les lycéens ont jeté des projectiles sur deux commissariats dans les XIXe et Xe arrondissements.
À la suite de la diffusion d'une vidéo de violences policières contre un élève du lycée Bergson, situé dans le XIXe arrondissement de Paris, des lycéens s'étaient donné rendez-vous, vendredi 25 mars, devant l'établissement. Ils entendaient apporter leur soutien à leur camarade violenté par les forces de police. Peu après 8 heures, une cinquantaine de jeunes gens se sont rassemblés sous le crachin, certains ayant des capuches pour se protéger de la pluie, d’autres s’abritant sous le porche de la piscine/patinoire Pailleron située sur le trottoir d’en face. Au fur et à mesure de la matinée, d’autres sont arrivés pour finir à 150 environ.
Tous ne parlent que de cette vidéo qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux depuis la veille. On y voit distinctement les violences infligées par un policier à leur camarade, âgé de 15 ans et élève en seconde. Ces images montrent le jeune homme retenu par deux policiers alors qu’un troisième lui assène un violent coup de poing en pleine face. « Il est tombé KO, il ne pouvait plus se lever. Il saignait du nez », rapporte Ayoub, 15 ans, l’un des jeunes qui disent avoir assisté à la scène. Un autre, qui est dans la même classe que la victime, raconte que son condisciple a été « bien amoché ». Plusieurs témoins interrogés corroborent cette version.
Le film des événements de la veille est raconté avec précision par Gabriel, élève de terminale. Tout a commencé selon lui lors du blocage du lycée jeudi matin, réalisé afin de protester contre la loi sur le travail. Il est « pacifique » au départ, assure-t-il. Ils ont disposé des poubelles devant les grilles de l’établissement. Lassé de la mauvaise image que les jeunes ont, en particulier lorsqu’ils sont issus de ce quartier populaire parisien, il veut insister sur le fait que cette mobilisation s’est réellement bâtie sur une opposition à la réforme El Khomri. « Beaucoup se sont renseignés. On a peur pour notre avenir. On vient du XIXe et évidemment il y a plein de clichés sur nous. Même si on se fait violenter, on a tort. Ce sont des petits qui se sont fait bastonner quand même », déplore-t-il.
Un peu avant 9 h 30, « des policiers armés de boucliers et de gazeuses sont arrivés. Comme toujours dans ces cas-là, il y a deux ou trois éléments perturbateurs. Ils ont jeté des œufs et de la farine sur les forces de l’ordre. Ça a commencé à chauffer des deux côtés. Ils se sont mis en ligne. Il y avait de la méfiance chez tout le monde », détaille-t-il. Plusieurs lycéens présents assurent que des élèves d’autres établissements de l’arrondissement se sont greffés aux protestataires de Bergson pour faire dégénérer la manifestation. Un feu de poubelle a démarré, vite éteint par les pompiers dépêchés sur place.
Gabriel explique que les insultes ont fusé de part et d’autre mais que les charges des policiers étaient démesurées au regard des jeunes, qui n’avaient rien de plus que des aliments comme projectiles, voire rien du tout : « Ce n’était pas justifié. » Beaucoup ont couru. Lyes, 16 ans, qui se vante de courir « très vite », a pu échapper aux coups de matraque et aux gaz lacrymogènes. D’autres n’ont pas eu la même chance. Léo, 17 ans, montre sa cuisse et assure avoir reçu un douloureux coup de matraque à cet endroit. « Les policiers nous hurlaient dessus et nous disaient d’avancer. On obéissait mais malgré tout ils nous frappaient. »
Azvan a eu le réflexe de sortir son téléphone pour filmer la scène de violence policière dont il a été directement témoin. Il était de l’autre côté de l’avenue Secrétan, où s’est déroulé l’incident, devant le restaurant « La Table » d’Hugo Desnoyer. Il montre la vidéo sur son téléphone, prise à 9 h 47. Un ami le félicite pour le nombre impressionnant de vues réalisées. Il ajoute que plusieurs camarades étaient menottés, ont reçu coups de pied et insultes. D’autres images auraient été tournées, mais des policiers auraient forcé des lycéens à effacer les vidéos et photos les incriminant.
Vendredi matin, le rassemblement en soutien se veut pacifique. Les jeunes discutent, écoutent de la musique, mauvaise qualité sonore incluse, sur leurs téléphones en haut-parleur. Certains chantent par-dessus. L’ambiance est plutôt festive, malgré les incidents de la veille. Ce n’est qu’après 11 heures que certains décident d’organiser une manifestation sauvage. Le groupe se scinde en deux, l’un se rend au commissariat du XIXe arrondissement, l’autre se dirige vers Louis-Blanc dans le Xe arrondissement. Une vidéo (à voir ici), tournée avec l’application Periscope, montre les heurts. Des pierres ont été lancées sur les façades des deux commissariats. Une épicerie a été dévalisée sur le chemin. La nourriture devant être distribuée à des sans-abris et des réfugiés non loin, rapporte l’AFP.
Le Huffington Post décrit ainsi la scène : « Au bout d'une dizaine de minutes, les jeunes ont quitté les lieux, et une trentaine de policiers en tenue anti-émeute ont pris place devant le bâtiment, dont plusieurs vitres sont fendillées, et sur la façade duquel a été tagué "Mort aux flics". Le sol était jonché de débris et d'amas de barrières métalliques et de planches en bois. Le commissariat a fermé après ces incidents. »
Une vidéo d'une dizaine de minutes sur la manifestation sauvage prise par l'antenne française de Russia Today
Ce vendredi toujours, une délégation regroupant sept représentants des lycéens, un représentant des professeurs, le proviseur et la proviseure adjointe, quatre membres du rectorat, le représentant du syndicat lycéen la FIDL et l’adjoint du préfet de police de Paris, s'est réunie au lycée. Ilyes et Belhassen, au nom des élèves, sont ressortis de cette réunion soulagés d’avoir pu s’exprimer et d’avoir entendu le sous-préfet condamner ces actes.
Stéphanie Durand y a assisté en tant que parent d’élève au nom de la FCPE. Sa propre fille a été insultée lors du blocage par un policier, alors qu’elle tombait par terre et qu’une crise d’asthme se déclenchait chez elle. Elle résume la teneur de la réunion du jour : « Il y a eu consensus sur les violences exercées et ça c’est important que les élèves l’aient entendu. Ce n’étaient pas vraiment des excuses formelles. Mais personne n’a pu expliquer pourquoi ça a dégénéré. Ça reste des enfants et c’est inadmissible que les forces de l’ordre se comportent ainsi. Jamais cette violence n’aurait dû se déchaîner. Un élève a bien résumé la chose en disant qu’entre une matraque et un œuf il y avait une légère différence. »
Par ailleurs, des jeunes ont relevé des plaques d’immatriculation de policiers, un autre élève aurait été pris à partie par cinq policiers mais, d’après Stéphanie Durand, personne ne sait dans quel état il se trouve. Autant de points supplémentaires à éclaircir. La représentante de la FCPE explique qu’ils vont essayer de lancer une action judiciaire commune via un avocat.
La majorité des jeunes présents dénoncent « un abus d’autorité », « des violences gratuites ». Dans la foulée des incidents du 24 mars, le préfet de police a saisi l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Le parquet de Paris a aussi ouvert une enquête judiciaire pour « violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique ». Le lycéen a été auditionné jeudi. Le fonctionnaire de police sera auditionné ce vendredi après-midi. Malgré tout, plusieurs groupes d’adolescents racontent ne pas croire en la possibilité de voir un policier condamné pour un tel motif. En attendant, ils entendent continuer la mobilisation contre la loi sur le travail.