Armes dangereuses, techniques d'immobilisation mortelles : l'ACAT a étudié 89 cas de violences policières. Conclusion : l'opacité règne, et les enquêtes se terminent souvent sans condamnation ni sanction.
Les violences policières sont, à de rares exceptions près, peu médiatisées et rarement sanctionnées. C’est la conclusion d’une « enquête sur l’usage de la force par les représentants de la loi en France » menée par une association de défense des droits de l’homme, l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture).
Le rapport de l’ACAT (108 pages), dont Mediapart a pris connaissance, sera mis en ligne ce lundi matin (on peut le lire intégralement ici). L’étude a été menée pendant 18 mois par une juriste, Aline Daillère, qui a effectué un gros travail documentaire puis une analyse détaillée de 89 cas précis, avec entretiens à la clef.
La conclusion est sans appel. « On ne peut que constater un manque de volonté des autorités françaises à être transparentes sur les faits allégués d’usage illégal de la force et à débattre du sujet », écrit l’ACAT. L’association, qui va lancer une campagne au long cours sur ce thème – la première qu’elle consacre au cas français –, estime que des « modifications doivent de toute évidence être apportées ». « Des réformes législatives devraient ainsi encadrer plus strictement l’usage de certaines armes », écrit-elle, alors que l’air du temps est au tout-sécuritaire, et que les nouvelles lois visant à lutter contre le terrorisme permettront d’assouplir les conditions de la légitime défense pour les policiers et les gendarmes.
L’ACAT juge par ailleurs que certaines armes ainsi que des « techniques d’immobilisation » dangereuses devraient être interdites. Pour finir, l’association pointe « l’existence de graves défaillances dans les enquêtes administratives et judiciaires effectuées à la suite de plaintes pour violences policières ». Ces enquêtes étant menées par des services de police (comme dans l’affaire Ali Ziri, où des policiers ont enquêté sur d’autres policiers) ou de gendarmerie (comme dans l’affaire Rémi Fraisse, ou des gendarmes enquêtent sur d’autres gendarmes), l’indépendance et la neutralité ne sont pas entièrement garanties.
« Les exigences d’impartialité, d’effectivité et de célérité imposées par le droit international rendent nécessaire la création d’un organe d’enquête indépendant chargé d’examiner les plaintes mettant en cause un usage illégal de la force par les policiers et les gendarmes », lit-on dans le rapport.
L’ACAT demande également la publication du nombre d’enquête ouvertes et de sanctions prononcées dans ces affaires. Demander justice, pour une victime de violences policières, s’assimile en effet à un « parcours du combattant », déplore l’ACAT. La justice se montre pour le moins frileuse quand les forces de l'ordre sont mises en cause… alors qu’elle poursuit rapidement les victimes de violences policières pour “outrage” et “rébellion”. Et de fait, sur 89 affaires de violences policières suivies par l’association, seules 7 ont donné lieu à des condamnations de policiers.
L’opacité qui entoure le plus souvent les violences policières est également pointée par l’ACAT. Si le nombre de décès causés est assez faible, un par mois en moyenne pour la France, le nombre de blessés graves est élevé. Et ce sont surtout les jeunes et les personnes « issues de minorités visibles » qui sont victimes de ces violences.
Un chapitre du rapport est, par ailleurs, consacré aux armes « banalisées » mais dangereuses, comme le Flash-Ball et le lanceur de balles de défense (LBD) dont sont dotés policiers et gendarmes, et qui provoquent de graves blessures. L’ACAT recense ainsi 39 blessés graves (dont 21 éborgnés ou ayant perdu la vue) et un mort causés par l’usage de ce type d’armes légères.
Conclusion de l’ACAT : « Ces armes ne sont pas adaptées aux situations pour lesquelles elles sont prévues », et elles ne sont en outre pas indispensables. L’usage du Taser est également critiqué, ses conditions d’usage étant beaucoup trop souples, et sa non-létalité n’étant pas démontrée.
Un chapitre est également consacré aux grenades. Si les grenades offensives ont enfin été interdites depuis la mort de Rémi Fraisse, en octobre 2014 à Sivens, les grenades de désencerclement et les grenades lacrymogènes instantanées ont provoqué des blessures importantes, leur usage n’étant pas assez encadré et paraissant exagéré.
Enfin, les gestes d’immobilisation enseignés et pratiqués par les policiers sont aussi abordés, comme la technique dite du « pliage » et celle du « décubitus ventral », dangereuses, et qui devraient être « explicitement interdites ».
La longue liste des recommandations que publie l’ACAT en conclusion de son rapport retiendra, peut-être, l’attention des ministres de l’intérieur et de la justice…
Source : https://www.mediapart.fr
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