La banque suisse UBS est soupçonnée par la justice française d’avoir démarché de façon illégale des clients en France de 2004 à 2011. Illégale, car UBS Suisse ne dispose pas des autorisations nécessaires pour travailler en France, que ce soit pour démarcher des clients ou réaliser des opérations bancaires. Surtout, c’est un système de fraude fiscale généralisée qui était orchestré par la banque suisse, comme le montrent les milliers de documents auxquels Le Monde a eu accès.
Les services du ministère des finances ont collecté 2 800 noms liés à la banque UBS au 31 décembre 2014. Parmi eux, 2 500 correspondent à des fraudeurs qui ont entamé une procédure de régularisation auprès de Bercy. Ces données permettent de dresser un portrait type du fraudeur.
C’est le montant total des avoirs détenus en Suisse par les 2 500 résidents fiscaux français clients de la banque UBS qui avaient engagé une procédure de régularisation au 31 décembre 2014. Pour donner un ordre de grandeur, cela représente la moitié du budget de la région Ile-de-France pour un an. C’est aussi l’équivalent de la somme récupérée par Bercy en 2015 auprès des fraudeurs fiscaux, tous pays et banques confondus.
Des situations patrimoniales très variables
C’est le montant médian (autant au-dessous qu’au-dessus de cette somme) des avoirs cachés en Suisse par les fraudeurs disposant de comptes à UBS. Les situations patrimoniales sont très variables, certains comptes affichant 51 millions d’euros et d’autres 400 euros. En moyenne, chaque fraudeur cache 1,1 million d’euros sur un compte suisse UBS. L’équivalent de soixante-deux ans de salaire minimal net en France.
C’est la proportion des comptes détenus par héritage et qui n’avaient pas été déclarés.
Les contribuables issus du monde médical détiennent un compte illégal sur dix détectés à UBS. Ils devancent les contribuables issus de la finance (courtiers, banquiers), détenteurs de 8 % des comptes illégaux, et ceux issus du monde scientifique (8 % des avoirs illégaux), comme des anciens chercheurs employés auparavant au CERN (l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire) à Genève, mais résidents français à la retraite et désormais soumis à la fiscalité française. Les sportifs constituent environ 4,5 % des profils renseignés. Dans la liste des évadés, on trouve aussi des chefs d’entreprise (avec une forte prédominance des secteurs du commerce de gros et du textile), des avocats, ou encore des commerçants (bouchers, coiffeurs).
Le recours aux structures écrans
Pour dissimuler les avoirs, près d’un client français sur dix d’UBS se cache derrière une structure offshore (trust aux Bahamas, fondation au Liechtenstein, société au Panama).
Légende :
Fondation
Société
Trust
Holding
Inconnu
Classez les 120 structures :
Source : Le Monde
Mais ces structures, coûteuses, sont réservées aux comptes les mieux garnis : les dix plus gros comptes (soit environ 350 millions d’euros au total) sont en majorité détenus grâce à des « écrans » de ce type, et les clients concernés ont une mise de 3,46 millions d’euros en moyenne.
Les comptes actifs ne sont pas forcément les plus riches
Pour autant, ces dix comptes très garnis sont qualifiés de passifs par Bercy, et sont classés parmi les cas jugés les moins graves : ce sont généralement des avoirs constitués lorsque les titulaires n’étaient pas résidents fiscaux français, ou correspondant à un héritage qui n’a pas subi d’opération ou de mouvement financier.
Une situation que le ministère distingue des cas où un résident français cherche explicitement à échapper à l’impôt. On parle alors de comptes actifs. Et ces derniers sont, en moyenne, plus modestes, avec un montant médian de 320 000 euros.
A UBS, cela les classe d’ailleurs le plus souvent dans la catégorie la plus faible distinguée par la division gestion de fortune de la banque : les « coreafluent ». A ces clients étaient surtout proposés des assurances-vie, le « trust des pauvres », par la filiale de la banque UBS Life. Un système qui aide à la dissimulation des avoirs : le titulaire du compte proprement dit étant UBS Life et non le client.
Trois générations de fraudeurs
Concernant l’âge des fraudeurs, on observe la coexistence de trois générations : la première, née dans les premières décennies du XXe siècle ; la deuxième, née pendant ou après la seconde guerre mondiale ; et la troisième, née depuis les années 1970. Les titulaires des dix plus gros comptes cachés à UBS (entre 23 et 51 millions d’euros) étaient nés entre 1919 et 1958.
Parmi les raisons avancées par les fraudeurs, on retrouve un résumé de l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle. Certains expliquent avoir ouvert leur compte après les événements de mai 1968, ou l’arrivée des communistes au gouvernement avec l’élection de François Mitterrand en 1981.
Concernant l’origine sociale, on note pas moins de 89 personnes dont le nom contient une particule (« de », « d’ », « von ») dans les listes, soit 4,5 % des fraudeurs, une surreprésentation par rapport à la proportion de noms aristocratiques dans la population française (moins de 1 %).
Une partie non négligeable des fraudeurs ont une histoire liée à l’exil et aux persécutions. On trouve ainsi beaucoup de familles françaises juives. L’histoire a montré que la détention d’avoirs en Suisse était, dans bien des cas, liée à la Shoah et aux spoliations des années 1940.
Gary Dagorn
Journaliste au Monde Suivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter
Mathilde Damgé
De l'éco, du décryptage et une pincée de data Suivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter