TAFTA, L'ANSCHLUSS DE L'ONCLE SAM.
Malgré le scandale avéré de l'espionnage démesuré de l'empire paranoïaque nord-américain, révélé par Wikileaks, malgré les presque 3 millions d'européens qui ont signé contre ce qui peut être considéré comme une annexion pure et simple, malgré l'explosion des zones qui se déclarent « hors TAFTA » (y compris dernièrement la ville de Bruxelles (!) - tout un symbole), non seulement les « négociations » (lol) sur ce traité (TAFTA ou TIPP) n'ont pas été suspendues une demi-seconde mais elles ont à contrario continué à marche forcée. On sait notamment que le mécanisme de règlement des litiges entre états et investisseurs aussi appelés « tribunaux d'arbitrages » risque toujours de faire partie du filet garni et que les eurocrates s'en pignolent de joie.
C’est quoi, en fait, ces tribunaux ? Ce RDIE, pour « règlement des différends entre investisseurs et États ».
En gros : je suis une multinationale - disons, au hasard, nord-américaine - implantée dans plusieurs pays européens. J'ai sur le dos du matin au soir un gang d'actionnaires plein aux as qui ont mis des billes dans mon affaire et qui en veulent pour 1000 fois plus que leur pognon. Vite, et par tous les moyens.
Peu importe ce que je produis, mais en bon capitaliste pourri (pléonasme), probable que ce soit des produits de qualité médiocre, à obsolescence programmée, à utilité toujours relative mais dont mon armée marketing va rapidement créer le besoin, dont la fabrication implique des pollutions en tout genre, encore plus de misère, encore plus de pillage d’une ou plusieurs ressources naturelles ici ou à l’autre bout de la planète. Je produis ça là plutôt que là-bas parce que j’y fais plus de profits. Le jour où ce sera encore plus profitable ailleurs, j’y déménagerai aussi sec.
Bref, tout roule. Vu que des sbires à moi ont noyauté la plupart des instances de décision de l’UE, je crains presque rien côté réglementations et contraintes. J’ai quasiment pas d’impôts à casquer, et de toute façon j’optimise grave niveau fiscalité. Mais, comme ces branleurs de la Commission européenne n'ont pas encore complètement bousillé les États et qu’il reste ça et là des miettes de « souveraineté nationale » (à croire que je les paie à rien foutre), il peut arriver qu’une putain de loi écologique (beurk) ou sociale (double beurk) parvienne à être votée dans un de ces pays. Je vous rassure : c’est très rare, et ce sera bientôt terminé.
Mais en attendant, la solution, c’est le tribunal d’arbitrage. Tribunal, c’est juste pour faire croire aux abrutis que ça a un rapport avec la justice. En fait, ça n’a rien à voir. Non, c’est simplement la possibilité qui m’est offerte, à moi, multinationale, d’attaquer un état qui ferait voter ce genre de loi. L’attaquer, dès la seconde où j’estime que son foutu texte nuit à mon business. Or, exception faite bien sûr de celles qui sont taillées sur mesure par mes gars pour le protéger et le faire prospérer, toutes les lois nuisent à mon business.
J’attaque, donc. Et je demande cher en dédommagement des préjudices. Très cher. Parce que j’exige qu’on prenne en compte le préjudice sur mes profits actuels mais aussi mes prévisions de profits. C’est long et compliqué ? Rien à foutre : j’ai le temps, j’ai deux mille avocats et autant d’experts, j’ai une montagne de pognon, des bénéfs supérieur au PIB de dizaines de petits pays de merde. Largement de quoi faire basculer la Pologne dans le tiers monde en deux semaines sans que ça me prive de la moindre louche de caviar supplémentaire.
Alors, concrètement, très vite, les états remballent leurs lois à la con, très vite j’ai plus besoin d’attaquer : la menace suffit.
Détail amusant, aux dernières nouvelles ces fumeux « tribunaux » sont basés à Washington.
Le cauchemar climatisé* continue.
“Entre 2005 et 2015, ce sont plus de 400 plaintes qui ont été déposées dans le monde par des investisseurs étrangers touchant à des domaines de plus en plus sensibles des politiques publiques. L’énergéticien suédois Vattenfall réclamerait ainsi 4,7 milliards d'euros à l’Allemagne, suite à sa décision de sortie du nucléaire. Le cigarettier Philip Morris a attaqué l’Uruguay et l’Australie, s’estimant lésé par les effets des politiques de prévention du tabagisme et exige des compensations dont le montant n’est pas connu. Si la requête n’a pas abouti contre l’Australie, le pays aurait déboursé quelque 50 millions d'euros d’argent public dans la procédure. Quant au pétrolier américain Lone Pine, il demande 250 millions de dollars au Canada, suite au moratoire sur la fracturation hydraulique. Et en janvier, c’est l’entreprise TransCanada qui a annoncé qu’elle poursuivait les États-Unis et exigeait 15 milliards de dollars de compensations après le rejet du projet de pipeline Keystone XL.
De l’aveu de certains lobbyistes, la seule évocation de poursuites peut permettre de décourager les États de renforcer des législations visant à protéger l’environnement, respecter les droits humains ou préserver la stabilité financière.” (Source La Croix, 10.03.2016)
(*Clin d’œil au tire du roman d'Henry Miller, « The air-conditioned nightmare », 1945)