Manuel Valls annonce l’organisation pour le mois de juin d'une consultation limitée au département de la Loire-Atlantique. Mais le gouvernement va devoir bricoler une nouvelle ordonnance en détournant sa propre loi, et alimente les désaccords entre acteurs locaux.
Manuel Valls a créé la surprise en annonçant, mardi matin sur RMC, l’organisation d’un référendum sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes « avant l’été, au mois de juin », et dans le seul département de la Loire-Atlantique « parce que c’est le département qui est le plus concerné par l’impact écologique » et car « l’enquête publique a eu lieu sur le département ». Le premier ministre a ajouté qu'à ses yeux « il faut faire simple. Le département de la Loire-Atlantique est le plus à même de pouvoir se prononcer sur le transfert [de l'aéroport – ndlr] vers Notre-Dame-des-Landes ».
C’est François Hollande qui le premier avait déclaré, le 11 février, lors du remaniement ministériel et quelques semaines après une importante manifestation à Nantes contre le projet qui avait réuni entre 7 200 et 20 000 participants, souhaiter la tenue d’un référendum « pour savoir ce que veut la population » d’ici octobre.
Depuis, il est apparu que l’annonce présidentielle était impossible à mettre en œuvre en l’état actuel du droit. Depuis 2003, la loi permet d’organiser des référendums locaux à caractère décisionnel. Mais il est juridiquement impossible de demander à des populations locales de prendre des décisions sur des mesures de niveau national. Or la déclaration d’utilité publique de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été émise par l’État, également signataire du contrat de concession avec Aéroport du Grand Ouest (AGO), la filiale du groupe Vinci qui a remporté l’appel d’offres.
Tous les regards se sont alors tournés vers la loi Macron, qui offre la possibilité à l’État de recourir à des ordonnances pour « réformer les procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de projets » (en son article 106). Cette disposition doit permettre la tenue de consultations des citoyens pour avis sur des dossiers relevant de la compétence de l’État, et à impact environnemental (lignes à grande vitesse, lignes à haute tension, centres commerciaux…). Le problème, c’est que la loi pour la croissance ne prévoit que des situations de « concertation préalable ».
Or l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a fait l’objet de plusieurs décisions administratives, à commencer par sa DUP en 2008. La loi Macron ne le concerne donc pas a priori. Le 16 février, un projet d’ordonnance de « démocratisation du dialogue environnemental » a été adopté par le Conseil national de la transition écologique (CNTE), un organe consultatif réunissant ONG, syndicats, collectivités territoriales et représentants de l’État, sans mention du cas de l’aéroport du Grand Ouest.
Dans ces conditions, quel type de consultation le gouvernement pense-t-il pouvoir organiser d’ici trois mois ? Selon nos informations, il prépare une nouvelle ordonnance afin de créer le cadre juridique qui lui manque. En toute logique, elle devrait s’appuyer sur la loi Macron, puisqu’il ne semble pas possible de faire voter une nouvelle loi ad hoc avant l’été. Mais comment faire pour qu’une ordonnance concerne un projet déjà autorisé, alors que la loi qui la justifie restreint son champ d’application aux projets non encore décidés ?
« Cela supposerait d’interpréter la loi Macron de manière extrêmement large », analyse l’avocat Arnaud Gossement, spécialisé en droit de l’environnement. L’ordonnance pourrait être contestée devant le Conseil d’État. Mais les recours ne sont pas suspensifs, et pourraient ne pas être jugés avant un an, soit bien après la tenue du référendum. « Les ordonnances privent le Parlement d’un débat, ajoute Arnaud Gossement, elles limitent la démocratie. »
S’il choisit cette voie, il suffit au gouvernement de soumettre le projet d’ordonnance au Conseil d’État – dont l’avis est consultatif – et au CNTE - elle est à l'odre du jour de la séance du 24 mars- , puis d’ouvrir une consultation publique. Dès qu’elle sera publiée au Journal officiel, elle aura un effet en droit, précise Arnaud Gossement. Le Parlement devra in fine la ratifier, mais rien n'empêche de le solliciter après la tenue du référendum. Ce serait peu démocratique, mais parfaitement légal.
Le choix de limiter la consultation aux habitants de Loire-Atlantique fait l’objet de multiples contestations. Pour Ronan Dantec, sénateur EELV, qui prône depuis des mois la solution d’un référendum local : « Six présidents de département avaient demandé à être associés à cette consultation, l'ancien président socialiste de la région avait lui-même défendu le périmètre des deux régions Bretagne – Pays de la Loire. Manuel Valls a donc choisi le périmètre de la Loire-Atlantique au mépris des demandes des élus concernés, le déni démocratique est manifeste. Le périmètre n'étant pas pertinent, le résultat ne le sera guère plus. » À ses yeux : « En annonçant ce matin une consultation en juin, limitée à la Loire-Atlantique, alors que le président de la République a évoqué un projet “vital pour le Grand Ouest”, le premier ministre vient de saborder cette démarche, la seule pourtant probablement à même d'éviter un désastre humain et politique. »
À la tête du département du Morbihan, François Goulard propose aux conseils départementaux voisins d’organiser leur propre consultation en même temps que le référendum officiel. La Bretagne contribue à hauteur de 25 % des financements du projet d’aéroport. Le syndicat mixte du projet regroupe 22 collectivités territoriales et établissements publics, dont les régions Bretagne et Pays de la Loire, les départements d’Ille-et-Vilaine, Morbihan, Mayenne, et Maine-et-Loire, en plus de la Loire-Atlantique.
« C’est le degré zéro de la démocratie participative ! C’est scandaleux », proteste Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement, ONG à laquelle appartenait Rémi Fraisse, le jeune homme tué par les gendarmes lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens (Tarn) en octobre 2014. C’est à la suite de ce drame que l’exécutif avait annoncé une réforme de la démocratie environnementale, qui a débouché sur une commission et un rapport, dont les recommandations sont très partiellement mises en œuvre par les ordonnances de la loi Macron.
Florence Denis-Pasquier, juriste de FNE, pointe une erreur dans le discours de Manuel Valls : les enquêtes publiques ne sont pas restreintes aux riverains. « Tous les citoyens français et même de l’Union européenne ont le droit d’y participer. Il est faux de prétendre qu’elles ne concernent que les voisins des projets étudiés. Or Notre-Dame-des-Landes est un problème au minimum de niveau national. »
Autre problème : la consultation sur l’aéroport pourrait s’entrechoquer avec l’enquête publique que l’État va devoir ouvrir au sujet du schéma de cohérence territoriale sur Nantes et Saint-Nazaire. La France a décidé de présenter ce document d’urbanisme à l’Union européenne pour tenter de se sortir du pré-contentieux initié sur Notre-Dame-des-Landes, comme l’a révélé le Canard enchaîné. Or il doit faire l’objet d’une consultation obligatoire du public. Pour FNE, « la consultation citoyenne risque de fragiliser l’enquête publique sur le SCOT. C’est un tel bricolage que cela peut tourner à la catastrophe démocratique et environnementale ».
Qui pourrait organiser la consultation, si elle avait quand même lieu, malgré ce bricolage juridique ? D’après la loi, l’organisation en reviendrait au ministère compétent. Mais tout le monde sait que la ministre de l’environnement et des transports, Ségolène Royal, n’est pas favorable au projet d’aéroport et sceptique sur la pertinence d’une consultation de ce type. La Commission nationale du débat public (CNDP), opératrice habituelle des débats publics, n’avait pas été saisie du dossier Notre-Dame-des-Landes mardi soir. « Nous n’avons reçu aucune demande du gouvernement au sujet de Notre-Dame-des-Landes », déclare son président, Christian Leyrit.
Conçue pour apaiser les discordes et trouver des voies de sortie pacifiques aux conflits locaux, la démocratie environnementale revue par Manuel Valls attise au contraire l’exaspération des acteurs du dossier. Pendant toute la journée, entre pro et anti-aéroports, les insultes ont fusé sur les réseaux sociaux.
Source : https://www.mediapart.fr