Source : http://reporterre.net
10 mars 2016 / Barnabé Binctin (Reporterre)
Site d’une grande richesse géologique, le domaine de Grignon (Yvelines) est un lieu de recherche historique agronomique, poumon vert de bonnes terres. Mais l’Etat veut vendre le terrain, sans doute au club de football Paris-Saint-Germain. La résistance grandit contre ce nouveau gaspillage de terres.
Thiverval-Grignon (Yvelines), reportage
Que vaut un château du XVIIe siècle face à la promesse d’un vestiaire pour stars du football ? Combien de fossiles du lutétien pour une place de parking où rivaliseront les grosses cylindrées ? À Thiverval-Grignon (Yvelines), la terre pourrait bientôt se changer en pelouses synthétiques, et les tubes à essai en crampons.
C’est sur ce site, en grande partie consacrée à l’enseignement agricole depuis la création de l’Institution royale agronomique en 1826, que le club de football Paris Saint-Germain (PSG) nourrirait son prochain rêve de grandeur : après avoir constitué l’une des meilleures équipes de football du monde, le Qatar, propriétaire du PSG depuis 2011, veut désormais investir dans un nouveau centre d’entraînement.
- Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG, en 2013, au Qatar.
18 terrains de football, un stade de 5.000 places et le parking correspondant, des boutiques, peut-être même un hôtel et des restaurants… Après avoir vu son rival lyonnais inaugurer « OL Land », son nouveau stade, il y a quelques semaines, le PSG compte faire démonstration de sa toute-puissance dans le championnat français : une enveloppe de 300 millions d’euros serait consacrée à ce projet, selon les informations du journal Le Parisien en décembre dernier. Soit 15 fois plus que le centre d’entraînement lillois, le dernier-né en la matière.
À l’étroit dans son cocon de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), où l’agrandissement est rendu impossible par la présence d’un camp militaire, le PSG aurait donc jeté son dévolu sur Grignon. L’information reste, pour l’heure, au conditionnel, tant les parties prenantes se font discrètes sur le sujet. Si le club parisien n’a pas répondu à nos sollicitations, le ministère de l’Agriculture se contente de confirmer que « le PSG est intéressé et a consulté le dossier », et qu’aucun autre acquéreur ne s’est manifesté. L’entourage du ministre, joint par Reporterre, l’assure : « Il n’y a pour l’heure aucune offre ni aucun compromis de vente signé. » Le site de France Domaine, service de l’État chargé de la gestion de ses biens immobiliers, n’indique aucune « cession en cours » ni « cession à venir » dans les Yvelines, où se trouve le domaine de Grignon.
Contacté par Reporterre, le député de la circonscription, David Douillet (LR), souligne le silence des autorités sur le sujet : « Il n’y a aucune information, je n’en peux plus ! » Proche du maire de Poissy, Karl Olive, il soutient une solution dans cette ville située dans le nord du département. Mais, pour la commune de Thiverval-Grignon, le match est déjà plié : « Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que ce choix semble ne plus faire de doute , était-il écrit dans le journal municipal de décembre, reste à savoir quand l’annonce sera faite. »
- Le château du XVIIe siècle (arrière-plan) et ses dépendances.
Le maire, Rémi Lucet, qui se dote actuellement d’un golf contesté, y prépare déjà ses administrés : « Acceptons-le sans crainte, sans nous fermer », exhorte-t-il dans son édito du même mois. « C’est un jeu à plusieurs bandes entre élus locaux, avec une grosse lutte d’influence pour récupérer le pactole du PSG », commente un élu d’une commune voisine.
Dans les rues de cette bourgade rurale d’un millier d’habitants située à l’ouest de la plaine de Versailles, on reste dans l’expectative. « Il faudrait pouvoir peser le pour et le contre, mais nous n’avons pas trop d’informations sur le sujet pour l’instant », explique Stéphane, qui habite la commune depuis 1995. Habituée du centre équestre que le domaine héberge, Audrey se dit inquiète : « Selon ce que j’ai pu en lire, je ne vois pas comment le site garderait son charme ouvert sur la nature. »
Une seule chose paraît acquise actuellement : le départ du site des centres de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et d’AgroParisTech. Des générations d’ingénieurs ont pourtant fait leurs études et mené des recherches à Grignon. « J’y ai passé de belles années en tant qu’ancien de l’Agro », dit le directeur de cabinet de Stéphane Le Foll. Mais aucune de ces institutions ne figure dans le célèbre classement des universités dit de Shangaï. C’est dans ce contexte qu’est né il y a une dizaine d’années le projet de cluster scientifique et technologique de Saclay, qui vise à regrouper jusqu’à 25 % de la recherche scientifique en une seule entité, à 20 kilomètres au sud de Paris.
Créée officiellement en décembre 2014, l’université Paris-Saclay « paraît offrir les meilleures chances de figurer rapidement au sommet de cette élite mondiale, notamment par la somme de ses performances en termes de publications scientifiques », argumente Jean-Claude Thoenig, directeur de recherche émérite. De cette motivation découle donc le déplacement des instituts agronomiques, validé par un vote en conseil d’administration d’AgroParisTech en mars 2015. « Le déménagement est prévu pour septembre 2020 », dit-on au cabinet de M. Le Foll. Mais le projet est fortement contesté.
« Le regroupement n’a aucun intérêt, cela a été maintes fois prouvé que ce n’était en aucun cas un facteur de meilleure collaboration », souligne François Demichelis, membre du Costif, une association mobilisée contre le projet de Saclay. Les institutions visées connaissent également une opposition en interne : « C’est une vision digne des années 1970. S’il peut y avoir, pour les hautes technologies, un intérêt à rapprocher les entreprises des laboratoires – au bénéfice de qui, d’ailleurs ? – ce n’est pas le cas pour nos sciences agronomiques », détaille Cyril Girardin, ingénieur syndiqué à la CGT de l’Inra-Grignon.
- Le château de Grignon.
De centaines d’hectares de terres agricoles qui existent à Grignon, l’espace disponible pour les expérimentations se réduirait à quatre hectares à Saclay : « Nous n’aurons pas du tout les mêmes conditions de travail », insiste Cyrille Barrier, assistant à l’animation du pôle pédagogique de l’AgroParisTech-Grignon. Le PSG n’est que le moindre des soucis. « Le cœur de la lutte, c’est le déménagement à Saclay », observe Therry Dolléans, membre du conseil politique d’EELV 78. « C’est comme si vous demandiez à un zadiste si Bouygues serait préférable à Vinci. On ne discute pas de la couleur du tarmac ou de la hauteur de la tour de contrôle », résume Cyril Girardin.
Car c’est ce déménagement qui justifie, dans les discours officiels, la vente du site de Grignon. « On en a besoin pour boucler le financement de l’ensemble du projet de déménagement à Saclay », explique le cabinet du ministre. 35 millions d’euros, c’est le prix fixé par une évaluation récente du site. « Un prix-plancher, il ne pourra pas être acheté en-dessous, se fait-on rassurant au ministère de l’Agriculture. Il s’agit de le céder dans des conditions correctes, nous ne sommes pas aux abois. Mais c’est un site difficile à vendre du fait de ses contraintes. »
Une manière de confirmer que le domaine risque fort de quitter le giron public. Le risque de privatisation cristallise les résistances : « En tant qu’élue en milieu rural, je suis très attachée à cette notion de patrimoine, surtout lorsqu’il est aussi riche. Si l’État est prêt à vendre Grignon, que gardera-t-il à la fin ? » interroge Sophie Sauteur, conseillère municipale dans la commune voisine de Beynes.
En jeu, 300 ha d’un parc où se mêlent bois, jardins et terres agricoles. La partie forestière abrite une zone humide classée Znieff (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique, floristique). Un arboretum daté de 1873 et des jardins anglais font la réputation horticole du lieu : « C’est un patrimoine botanique séculaire », dit Michel Chartier, qui travaille aujourd’hui avec l’association L’Arbre de fer à l’entretien de ces espaces. Ancien ingénieur en bioclimatologie à l’Inra, il a travaillé pendant 23 ans sur ce lieu « remarquable » : « C’est un site agronomique très particulier qu’on ne retrouvera pas ailleurs, et sûrement pas à Saclay, où la terre est beaucoup plus uniforme. »
- L’arboretum d’AgroParisTech à Thiverval-Grignon.
Ancien professeur à l’Agro, Jean Vincent précise de son côté la caractéristique du sol : « Une terre plutôt calcaire, à des endroits plus argileuse, à d’autres plutôt limoneuse. Son hétérogénéité fait toute sa richesse. » Et explique notamment qu’elle ait servi depuis si longtemps à tant d’expérimentations, sur les parcelles Dehérain, indique Olivier Rechauchère, ancien élève à l’Agro : « Ces essais patrimoniaux engagés à la fin du XIXe siècle visent à analyser et à comparer des processus lents de minéralisation de matières organiques sur le long terme. Vouloir transférer ailleurs cette base de données est un non-sens complet. On ne pourra pas la refaire aujourd’hui en six mois ! »
- La Ferme de Grignon, qui commercialise sa production agricole.
Plus d’une centaine d’hectares de ces terres sont par ailleurs dédiées à la production agricole de la Ferme de Grignon, située en face du domaine. Leur vente serait « un acte supplémentaire dans le mitage des terres agricoles en Ile-de-France », déplore Xavier Morize, paysan installé à quelques kilomètres de Thiverval-Grignon. Avec la Confédération paysanne, il appelle à défendre « un bien commun de notre territoire ».
Outre tout ce patrimoine vivant, le site est mondialement connu pour la Falunière, une carrière géologique de 500 m2 riche en fossiles comptant plus de 800 espèces de coquillages, dont le cérithe géant, ou Campanilopa (Cerithium) giganteum (lire ici, page 13). « Ce lieu abrite un très grand nombre d’espèces particulièrement bien conservées », explique Didier Merle, paléoclimatologue au Muséum, qui énumère les géologues qui y ont travaillé depuis qu’un congrès international de géologie s’y est tenu en 1900. M. Merle rappelle l’importance d’« étudier le passé pour comprendre le présent » : « Ce n’est pas du patrimoine mort, bien au contraire, c’est un outil de travail indispensable. Les sciences virtuelles, ça n’existe pas, il faut toucher le fossile ! » L’arrivée du PSG est une menace évidente : « C’est une autre forme d’urbanisation. Jusqu’où vont-ils raser ? Aurons-nous encore un accès au site ? Si c’est pour faire un bunker à milliardaires… »
*Suite de l'article sur reporterre
Source : http://reporterre.net
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