Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Alors que le cinquième anniversaire de la catastrophe de Fukushima ravive l'attention internationale sur les dégâts de l’un des pires accidents nucléaires de l’histoire, la préférence française pour l’atome ne va plus de soi en Europe.
Le système nucléaire français provoque une controverse européenne. En quelques semaines, plusieurs demandes d’arrêts de réacteurs sont venues de pays frontaliers : la ministre allemande de l’environnement, Barbara Hendricks, a publiquement souhaité la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Quelques jours plus tard, la maire de Genève, Esther Alder, a exigé celle du Bugey (Ain). Et le Luxembourg a saisi la Commission européenne du cas de la centrale de Cattenom (Moselle).
Situées à quelques kilomètres des frontières, ces trois centrales nucléaires sont mises en cause par des rapports critiquant leur niveau de sûreté insuffisant – ce que conteste l’Autorité de sûreté du nucléaire française. Alors que le cinquième anniversaire de la catastrophe de Fukushima ravive l’attention internationale sur les dégâts de l’un des pires accidents nucléaires de l’histoire, la préférence française pour l’atome ne semble plus aller de soi en Europe.
« Je ne crois pas du tout à un grand complot contre la France », réagit Corinne Lepage, avocate de la ville et du canton de Genève dans leur action contre la centrale du Bugey. Aucun lien, insiste-t-elle, entre le dépôt de leur plainte contre X auprès du tribunal de grande instance de Paris et le rapport de l’expert en ingénierie nucléaire Manfred Mertins sur Cattenom, ni avec les articles parus dans la presse allemande sur Fessenheim. « Je ne sais pas si le nucléaire est un sujet de discorde au niveau européen mais c’est un sujet d’inquiétude. Les Européens voient les centrales vieillir et leur exploitant avoir de moins en mois de moyens financiers. »
Déjà en 2015, lors d’une visite de François Hollande, le premier ministre du Luxembourg lui avait demandé la fermeture de la centrale mosellane. Le Grand-Duché s’est aussi joint à l’Autriche pour attaquer la décision de la Commission européenne autorisant le gouvernement britannique à garantir à EDF un tarif d’achat de 92,5 livres (113 euros) par mégawattheure (MWh) pendant 35 ans pour le projet d’EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni.
« En autorisant un tarif d’achat garanti pendant 35 ans pour Hinkley Point, la Commission européenne crée un précédent dans toute l’Europe, explique à Mediapart Carole Dieschbourg, ministre luxembourgeoise de l’environnement. C’est de l’argent bloqué pour des décennies alors qu’il faut investir dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Les investissements dans le nucléaire ne vont pas dans le bon sens. Ils créent une distorsion de marché et ne sont pas une réponse au changement climatique. Le nucléaire n’est pas sûr, il n’existe pas de solution pour les déchets du nucléaire. » Le mémoire de la plainte doit être déposé le 24 mars devant le tribunal de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).
Pour la ministre luxembourgeoise, membre des Verts, « ce n’est pas une critique du système nucléaire français. Les choix énergétiques relèvent des décisions nationales ». Mais « s’il y a un accident à Cattenom, à huit kilomètres de notre frontière, c’est un désastre pour le Luxembourg. Le Luxembourg s’engage depuis des années pour plus de sécurité à Cattenom, alors que ce réacteur n’est pas si jeune et connaît des problèmes. Nous investissons beaucoup pour la sécurité de notre pays.
«Nous nous sommes réjouis du vote en France de la loi de transition énergétique, et de voir que la France voulait arrêter une partie de sa production nucléaire. Nous sommes aussi en discussion avec la Belgique au sujet du réacteur de Tihange. Ces centrales nucléaires posent des problèmes de sécurité. Nous souhaitons le plus possible qu’elles ferment à partir d’un certain âge. Ce problème ne s’arrête pas aux frontières. Les États voisins doivent pouvoir en débattre, dans une relation respectueuse des uns et des autres ».
Au sein de l’Union européenne, l’énergie reste une compétence nationale. Mais la directive issue du traité Euratom (2009) crée un cadre communautaire pour assurer la sûreté nucléaire. Deux Länder allemands (Rhénanie-Palatinat et Rhénanie du Nord-Westphalie) vont déposer une plainte devant la Commission européenne – et l’Onu – pour obtenir la fermeture de trois réacteurs nucléaires belges (Doel 1, Doel 2 et Tihange 1), jugés défaillants.
La Commission enquête par ailleurs sur la décision du gouvernement belge de prolonger la durée de vie des réacteurs, soupçonnant une aide d’État déguisée. Et elle vient de mettre en cause le manque de provisions financières en France pour le démantèlement des centrales et la gestion des déchets radioactifs. Son taux de couverture n’est que de 31 %, selon le calcul de la Commission, bien en dessous de la moyenne européenne (56 %).
La France n’est donc pas la seule visée. Mais son système énergétique, unique en Europe par sa concentration verticale puisque EDF est à la fois le principal producteur et fournisseur d’électricité, mais aussi son transporteur (via RTE, filiale à 100 %) et son distributeur (via ERDF), génère une grande opacité de fonctionnement et ne laisse aucune place aux autres acteurs industriels. Alors que le secteur de l’énergie traverse une crise sans précédent, due en grande partie à la surcapacité de production, plusieurs contentieux européens sont en cours. De gros industriels voudraient y gagner des parts de marché. Mais ils ne sont pas les seuls à passer par l’échelon communautaire pour mettre en cause le modèle hexagonal. Des PME produisant des biens et des services liés à la transition énergétique comptent sur Bruxelles pour sécuriser leurs activités.
Parmi les sujets de discorde, on trouve le marché de capacité. Soutenu par la France, mais rejeté par l’Allemagne, ce dispositif consiste à rémunérer des centrales électriques (à gaz par exemple) quand elles ne produisent pas d’énergie pour qu’elles restent disponibles au cas où la demande augmenterait. Pour ses détracteurs, c’est une manière d’aider les énergéticiens qui ont investi dans des installations qui ne sont plus rentables en raison de la surcapacité d’offre d’électricité en Europe. « Il faut fermer ces centrales et non les rémunérer pour leur éviter de s’arrêter », explique Joël Vormus, chef de projet au CLER, qui représente des professionnels de la transition énergétique.
Les fournisseurs alternatifs ont attaqué le décret d’application sur le marché de capacité devant le Conseil d’État, qui a renvoyé le dossier devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Pour Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie et environnement à UFC-Que Choisir, « c’est un moyen pour les énergéticiens de ne pas dévaloriser leur capacité de production. Mais ce sont les consommateurs et les contribuables qui vont en assumer le coût ».
L’association a aussi saisi le Cordis, le comité de règlement des différends de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) au sujet de l’insuffisante séparation des activités d’EDF et d’ERDF, qui crée une distorsion de concurrence. Ce contentieux pourrait lui aussi finir devant la Cour de justice de l'Union européenne. Bruxelles a par ailleurs été saisi du cas des certificats d’économie d’énergie (CEE), qui rémunèrent les énergéticiens qui réduisent la consommation de leurs clients, mais surestiment la réalité des économies réalisées selon des spécialistes.
À Bruxelles, les responsables de la direction de la concurrence reçoivent régulièrement les représentants des uns et des autres. Une véritable bataille de lobbies, aux forces inégales, se livre dans les couloirs de la Commission. « Si personne ne frappe à la porte de la Commission, il ne se passera pas grand-chose », explique un habitué de ce type de rendez-vous, qui évoque une véritable « omerta » sur les petits arrangements du monde de l’énergie.
Ainsi, selon un autre de ces visiteurs, la fusion entre EDF et Dalkia, un des principaux acteurs des services énergétiques en France, a été acceptée par Bruxelles malgré la situation de concentration qu’elle crée, en échange d’un engagement de Paris à ouvrir ses concessions hydroélectriques. Mais le gouvernement français n’a pas touché à ce dossier sensible et depuis, la Commission l’a mis en demeure d’ouvrir ses barrages à la concurrence. Sollicitée par Mediapart, la direction de la concurrence répond que « [ses] décisions sont indépendantes les unes des autres. Il n'y a pas d'accords “en échange” entre différents cas ». La réponse de la France à ce contentieux est en cours d’examen.
Mais d’autres problèmes surgissent. Confronté à des difficultés financières gravissimes, EDF est en discussion avec la Commission européenne pour obtenir une hausse du tarif auquel elle doit vendre son électricité aux fournisseurs alternatifs (voir ici à ce sujet). Pour l’UFC-Que Choisir toutefois, « s’il est beaucoup plus élevé que le marché, il s’apparente à une subvention ». Et peut donc être contesté au nom de l’interdiction des aides d’État déguisées. « Les consommateurs français méconnaissent le marché et restent très majoritairement abonnés à EDF, explique Nicolas Mouchnino. Les fournisseurs alternatifs indexent leurs tarifs sur ceux d’EDF : même s’ils sont plus bas, ils augmentent si ceux d’EDF s’accroissent, même si leurs coûts de production baissent. »
Pour l’association, les consommateurs sont de ce fait lésés : le rôle très majoritaire d’EDF sur le secteur de l’électricité revient à internaliser les risques et à en faire assumer les coûts financiers aux consommateurs et aux contribuables. « La structure d’EDF ne garantit pas un marché concurrentiel, explique Nicolas Mouchnino. Or la Commission souhaite un marché unique et concurrentiel au bénéfice des consommateurs. Des règles ont été édictées à partir de la fin des années 1990 pour libéraliser le secteur de l’énergie. La production et la fourniture d’électricité ont été ouvertes à la concurrence – globalement, les réseaux de transport et de distribution ont été maintenus hors-marché. Le problème avec le système français, c’est que, comme le nucléaire représente l’essentiel de la production d’électricité et qu’EDF détient ces moyens de production, il était difficile à un acteur extérieur d’y développer son offre d’électrons. »
Cette situation se referme aujourd’hui comme un piège sur l’acteur historique de l’électricité en France. Le groupe a tout misé sur le nucléaire, sans voir arriver la révolution des renouvelables et le plafonnement de la consommation d’énergie. La constitution progressive d’un marché unique lui a bénéficié tant qu’il pouvait en profiter pour vendre à bon prix ses électrons à ses clients européens. Cela se retourne contre lui aujourd’hui alors que la surcapacité de production fait s’effondrer les prix sans filet de protection national. L’échelon européen devient ainsi une caisse de résonance de toutes les failles internes et erreurs stratégiques du groupe français.
Source : https://www.mediapart.fr