Jeudi 17 mars, à l'issue de la manifestation organisée en protestation contre la loi sur le travail, plusieurs dizaines d’étudiants s’étaient réunis pour une assemblée générale à Tolbiac alors que le site était fermé. En fin d’après-midi, les CRS les ont évacués avec violence, en brutalisant ceux qui étaient aux abords de l'université, d'après plusieurs témoignages.
Ils auraient bien aimé pouvoir se réunir dans les locaux du centre Pierre-Mendès-France pour échanger sur la mobilisation. Seulement l'université est fermée depuis le 17 mars au matin. Derrière les grilles closes, une affichette annonce : « Le centre Tolbiac PMF est fermé au public, au personnel et aux étudiants du jeudi 17 mars au samedi 19 mars. Cette décision, liée à la manifestation contre la loi ‘Travail’ est motivée par des motifs de sécurité pour les bâtiments, les biens et les personnels. »
Cinq vigiles sont postés dans la cour de l’université pour empêcher toute intrusion. Les étudiants mobilisés contre la loi sur le travail se sont quand même donné rendez-vous devant la fac, rue de Tolbiac, dans le XIIIe arrondissement. Finalement, il est décidé de tenir la réunion du comité de mobilisation, en plein air et au soleil, au parc de Choisy, situé à quelques mètres. Soixante-dix jeunes gens s’installent en cercle sur la petite esplanade. Un mégaphone a été prévu pour faciliter les échanges. Une discussion primordiale pour le groupe puisqu’elle doit leur permettre de réfléchir à comment structurer le mouvement et, surtout, élaborer une stratégie pour le faire durer.
Lors de la deuxième journée de manifestation, entre 69 000 et 150 000 lycéens et étudiants ont défilé, le 17 mars, partout en France pour réclamer le retrait du projet de réforme du Code du travail. Malgré les quelques corrections apportées sur le texte par le gouvernement, il reste contesté par les principaux syndicats de salariés et de jeunes.
Ce vendredi après-midi, dans les têtes et les bouches, tournent les incidents de la veille. En fin de journée, plusieurs dizaines d’étudiants ont été évacués de l'université, avec violence, par des policiers. Dès le début de la journée du 17 mars, ils ont dû composer avec la fermeture de la fac, signifiée par la présidence par mail, la veille à 22h30. De quoi empêcher, de fait, la tenue de l’assemblée générale prévue avant d’aller à la manifestation. Faute de lieu disponible, les manifestants se sont dirigés vers la Sorbonne et le centre René-Cassin, autres sites de Paris 1. Les deux sont également clos. Finalement, une sorte d’AG sauvage est décidée place de la Sorbonne.
Après la manifestation, les étudiants sont toujours déterminés à trouver un moyen de se réunir pour discuter. Deux jours auparavant, ils avaient décidé de la tenue d’une AG réunissant les étudiants de Tolbiac, la coordination regroupant 21 universités et écoles d’Île-de-France ainsi que d’une assemblée inter-lutte indépendante. La coordination régionale a pu se réunir à l’École normale supérieure. Ces espaces de rencontre ont leur importance puisqu’ils permettent de réfléchir à des aspects cruciaux pour l’avenir tels que la représentativité du mouvement, c’est-à-dire savoir qui est légitime pour prendre des décisions au nom des étudiants, ou de manière plus pragmatique de décider des prochaines dates de mobilisation et modes d’actions divers.
Il est 18 heures lorsque les jeunes manifestants convergent vers Tolbiac. Vincent, 18 ans, étudiant en sciences politiques à Paris 1 présent devant l’université, explique que ce rassemblement n’était pas spontané mais le fruit d’une décision prise en assemblée générale le mardi 15 mars.
Là, une soixantaine d'étudiants décide d’entrer dans la fac en empruntant non pas l’entrée principale mais via l’entrée latérale, rue Baudricourt, menant vers l’amphi N, dont les portes sont restées miraculeusement ouvertes, rapportent plusieurs témoins. Certains sous-entendent que le responsable du site les auraient sciemment laissées ouvertes afin de les piéger. Sur ce point précis, Philippe Boutry, le président de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dément formellement sur la base de ce qui lui a été rapporté par les personnels de sécurité présents : « C’est ce qu’on appelle une légende urbaine. Personne ne les a fait rentrer. Une partie des barreaux a été forcée. Il s’agit d’une intrusion pure et simple de 150 personnes remontées par le parking. »
Au même moment, des CRS et policiers en civil se sont positionnés à l’extérieur de l’université, avant de s’y introduire pour déloger les occupants. « Les policiers de la BAC sont entrés avant les CRS. Ils ont défoncé la porte de l’amphi, c’était hyper violent. Ils ont matraqué des gens, nous ont ensuite poussés vers l’extérieur par la sortie de secours. Je n’ai pas été frappé. » Certains ont réussi à fuir en forçant le passage. D’autres, rapportent plusieurs témoins, ont été coincés dans des « nasses ».
Vincent poursuit son récit : « Les vigiles étaient postés devant les entrées de la fac, mais on a remarqué que les portes de l’amphi étaient ouvertes. Il n’y a donc pas effraction. On n’a jamais été violents, toutes nos actions se sont bien passées, sans aucun débordement. »
La centaine d’étudiants qui a réussi à pénétrer dans l’amphi a décidé, comme si de rien n’était, de tenir son AG. Enfin presque, tout juste ont-ils eu le temps de lire l’ordre du jour. Avertis par les SMS des camarades restés à l’extérieur de l’arrivée imminente des forces de l’ordre, ils avaient au préalable dressé des barricades de fortune, avec des chaises ou des tables, pour bloquer les portes de l’amphi. « Ce n’était pas un camp retranché non plus », relativise Brian, 20 ans, qui a participé à cette réunion, dans ces conditions particulières.
Traditionnellement, les policiers ne pénètrent jamais dans les facs, en vertu de la franchise universitaire, inscrite dans le code de l’éducation. Sauf sur « réquisition du président ». Phillipe Boutry assume sa décision, prise pour des raisons de sécurité, justifie-t-il. Il explique que le bâtiment, « un immeuble de très grande hauteur », renferme de nombreux livres et matériel informatique. Constitué de béton et d’acier, l’immeuble haut de 23 étages demeure très fragile, ajoute-t-il. Hors de question pour lui de laisser les étudiants investir les lieux ou y passer la nuit. La crainte d’une occupation qui pourrait mettre en danger les étudiants s’ils décidaient de s’aventurer dans les étages et causer des dégâts matériels coûteux prévaut. Selon lui, « cette intrusion justifiait ce choix. Je suis garant de la sécurité des étudiants, mon unique considération ».
« Un dispositif policier très important »
Dans les rangs du comité de mobilisation, les jeunes présents apportent « leur soutien inconditionnel » à leurs camarades arrêtés ou frappés par les policiers. Cet événement est qualifié d’« extrêmement grave ». Salomé, 19 ans, a assisté à la scène à l’extérieur : « Les lumières bleues des camions de police étaient impressionnantes. J’ai vu des gens tomber par terre. Certains ont été gazés. Des policiers donnaient des coups de pied. Je n’avais jamais vu ça. Heureusement, un copain m’a attrapée et m’a dit de courir avec lui. Je craignais de tomber comme ça peut arriver lors de ces mouvements de foule. Le mot n’est pas trop fort : je suis traumatisée. » Plusieurs autres étudiants tiennent à souligner la violence de l’opération, comme le montrent par exemple ces images diffusées par le site Streetpress.
L’un des étudiants analyse cette opération policière comme une volonté d’empêcher le mouvement de se renforcer et grandir. Gaël poursuit et fait référence aux incidents qui ont eu lieu à Rennes, Bordeaux ou à Strasbourg : « Il y a une volonté politique de répression administrative et policière. La mobilisation grossit. »
Les jeunes réunis s’accordent pour créer aussi un dispositif juridique spécifique, « une legal team » dit une jeune fille, avec des avocats à contacter en cas d’interpellation par exemple.
Un autre participant tient à souligner que les étudiants violentés la veille sont « normaux », pas des « totos fêlés ». Il explique que la réponse policière a été disproportionnée au regard du calme des manifestants en face : « Certains ont été chargés alors qu’il n’y avait pas de réelle provocation. Tout juste des invectives. Mais j’imagine que les boucliers protègent contre ça. J’ai vu des jeunes traînés sur le sol, une fille pleurer après avoir été gazée. Il y avait aussi un vieux qui passait par là et qui a pris du gaz. Ces violences sont graves et exceptionnelles. On voit bien que le mouvement contre la loi El Khomri doit s’accompagner par la lutte contre l’état d’urgence qui permet cela. »
Pendant une heure, les policiers ont aussi poursuivi ceux qui essayaient de s’échapper sur la dalle des Olympiades, juste en face de l’université.
Denis Merklen, professeur de sociologie à Paris 3, confirme ces récits. Il a assisté à ces scènes qu’il qualifie de « répression violente » alors qu’il passait juste aux abords de l’université. Il décrit un dispositif policier très important et raconte avoir vu un jeune homme se faire tabasser à coup de genoux ou parle encore de cette fille qui saignait abondamment de la tête et qui criait. Il raconte aussi les insultes proférées par certains policiers. L’universitaire précise que ce déchaînement de violences l’a surpris car de l’autre côté, dit-il, « à aucun moment il n’y a eu de comportements agressifs contre la fac, les policiers ou le mobilier urbain. On n’avait pas l’impression d’avoir affaire à des militants aguerris. Certains criaient juste “police partout, justice nulle part”. Rien de bien méchant ».
À la suite de ces affrontements, cinq interpellations pour dégradations, menaces et jet de projectiles ont eu lieu. La présidence de l’université a pour le moment décidé de rouvrir l’établissement, dès le samedi 19 mars.
Plusieurs organisations syndicales comme l'Unef, l'Union des jeunes communistes ou Solidaires étudiant-e-s ont diffusé vendredi et samedi des communiqués condamnant ces fermetures administratives et ces répressions. Dans celui de cette dernière organisation, on peut lire : « Nous condamnons ces fermetures administratives et la répression policière. La communauté universitaire doit pouvoir s’organiser, se rassembler et manifester comme elle le veut ! La répression ne nous arrêtera pas, nous continuons dès demain la mobilisation. »
Sur le mur d’un renfoncement près de l’université, un tag : « Ici on gaze les étudiants ». En allant vers le parc, le comité de mobilisation nous montre aussi, dans une rue adjacente, un stigmate de ces débordements. Au sol, une tache de sang séché entourée, avec cette légende : « Ceci est le sang d’une personne matraquée par la police ».
Note perso : A voir aussi : http://www.anti-k.org/2016/03/20/anti-k-direct-mobilisation-des-jeunes-mettre-infos-dans-les-commentaires/
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