Aujourd’hui s’ouvre au tribunal de grande instance de Paris un nouveau procès de l’application UberPop. Un outil qui a déstructuré des métiers, mettant des travailleurs en concurrence, pour le seul profit d’Uber.
"Nous sommes engagés dans une bataille politique. Notre adversaire est un connard, qui s’appelle Taxi. » Tout le projet d’Uber tient en ces deux phrases de son fondateur et PDG, Travis Kalanick, prononcées le 28 mai 2014 lors d’une conférence en Californie. Uber a engagé un combat à mort pour s’assurer une position ultradominante sur le secteur des transports. Il entend détruire toute forme de concurrence, mais aussi combattre le salariat et la protection sociale. Le procès qui s’ouvre aujourd’hui, celui de l’application UberPop, application controversée de transports payants entre chauffeurs amateurs et particuliers, en est l’illustration. Pratiques commerciales trompeuses, complicité d’exercice illégal de la profession de taxi… Malgré toutes ces charges qui pèsent sur eux, les dirigeants d’Uber se rendent aujourd’hui à la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris avec la conviction des croisés : ils défendent une idée, une cause.
«La désobéissance civile est nécessaire pour défendre les bonnes causes », se permet de dire Travis Kalanick, PDG d’Uber. Une attitude qui a le don d’agacer passablement les juges, qui depuis plus d’un an supportent les bravades du groupe. Pour le tribunal correctionnel de Paris, qui a condamné UberPop pour la première fois en 2014, l’entreprise a démontré son « intention manifeste de (...) contourner » la législation, qu’elle connaît « parfaitement ». « Ce comportement caractérise une parfaite mauvaise foi dissimulée derrière un discours qui se veut progressiste », selon le jugement. Pour « pratique commerciale trompeuse », Uber comme entreprise a ainsi déjà été condamnée à 100 000 euros d’amende, aggravés à 150 000 par un arrêt de la cour en décembre dernier.
Uber France encourt jusqu’à 1,5 million d’euros d’amende
Aujourd’hui et demain, ce sont les patrons d’Uber France, Thibaud Simphal, et d’Europe de l’Ouest, Pierre-Dimitri Gore-Coty, qui sont poursuivis pour pratique commerciale trompeuse et complicité d’exercice illégal de la profession de taxi. Ils comparaîtront également pour « organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent au transport routier de personnes à titre onéreux », infraction prévue dans la loi Thévenoud du 1er octobre 2014, texte qui avait justement pour but de mieux encadrer les périmètres de la profession des taxis et des chauffeurs de VTC. Ils risquent jusqu’à cinq ans de prison et 300 000 euros d’amende. Uber France encourt quant à elle jusqu’à 1,5 million d’euros d’amende.
UberPop est une application à ne pas confondre avec Uber. Cette dernière, légale, met en relation via un smartphone un client et une voiture de transport avec chauffeur (VTC), donc un conducteur professionnel, le plus souvent au statut d’autoentrepreneur. UberPop de son côté se présentait sous les atours d’une application de covoiturage. Mais plutôt que de partager les frais, le client, car c’en est bien un, payait une course comme il l’aurait fait avec n’importe quel chauffeur professionnel. Pourtant le conducteur, qui utilise son propre véhicule, est un « amateur » qui travaille pour Uber sur son temps libre. Déclaré illégale, UberPop a été suspendue en juillet 2015, décision confirmée par le Conseil constitutionnel deux mois plus tard. Derrière ce faux covoiturage, le groupe dissimulait de fait une activité professionnelle d’appoint et captait, comme à son habitude, 20 % du prix des courses. Ces conducteurs ne disposaient d’aucun statut ni droit et ne payaient pas de cotisations sociales. Ils ne suivaient pas non plus la formation de chauffeur de taxi, ni même les 250 heures de cours nécessaires pour obtenir un agrément VTC. « Uber, c’est la démonstration vivante de la pertinence de la campagne de la CGT sur le coût du capital : ils n’amènent rien et prélèvent 20 % sur la valeur produite », déplore Jérôme Vérité, secrétaire général de la fédération transports de la CGT.
« Dans ce capitalisme, ce sont les travailleurs qui fournissent le capital et les outils de travail, dénonce Yann Le Pollotec, responsable révolution numérique du PCF. L’entreprise se contente de fournir l’application. Dans ce contexte, UberPop est la quintessence de la logique Uber : on ne paye rien, on prend tout et on met en concurrence les pauvres avec les pauvres. » Pour boucler les fins de mois, jusque 400 000 Français (selon Uber) ont conduit ainsi la nuit et le week-end, la moitié des courses d’Uberpop étant après minuit… Cette application a déstructuré autant le métier des taxis que celui des chauffeurs de VTC. « Cette logique profite de la misère pour rendre les gens encore plus misérables, renchérit Jérôme Vérité. Cela déstructure complètement les métiers existants. C’est vrai aujourd’hui à propos des taxis et des VTC, mais ce sera vrai demain aussi du transport de colis par exemple, où on proposera aux gens de déposer des colis en allant au boulot en échange d’une petite pièce d’Amazon… »
Les chauffeurs sont incités à travailler toujours plus
Le but d’Uber est de payer les travailleurs à la tâche, selon la simple loi de l’offre et de la demande, sans se soucier de protection sociale. Son algorithme qui détermine le prix de la course en est l’exemple : plus il y a de la demande, plus les prix sont chers. C’est ainsi que les clients d’Uber ont plus de 200 euros à payer pour traverser Paris la nuit du Nouvel An… Les chauffeurs sont incités à travailler toujours plus, aux heures de pointe comme la nuit, complètement dépendants pour leur revenu des aléas, parfois arbitraires, de l’application Uber. « Pour les protéger, soit on requalifie ce travail en salariat, soit les travailleurs s’organisent en coopérative, analyse Yann Le Pollotec. Ces métiers d’indépendants peuvent êtres mutualisés, la plateforme cogérée par les utilisateurs et des chauffeurs, mais il faut qu’il y ait des droits sociaux et c’est à l’État et à la justice de s’en saisir. » Cette confrontation politique, Uber la souhaite et accepte de la porter devant les tribunaux. Cynique et sûr de son fait, Travis Kalanick transforme les procès en plans de communication et les prépare avec son armée d’avocats et conseillers, parmi lesquels David Plouffe, ancien directeur de campagne de Barack Obama. Le patron du groupe pour la France, Thibaud Simphal, déclarait à la Tribune qu’« on peut avoir un débat juridique infini, pour moi, ce n’est pas le cœur du débat. Le cœur du débat, ce sont les idées ». En devenant quasiment un nom commun pour désigner les VTC, Uber a réussi en très peu de temps une captation du marché dans de nombreux pays encore plus violente que celle de Google sur Internet. « Uberisation » est aussi en passe de devenir un nom commun, synonyme de destruction.
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Et si UBER n'était qu'une bulle financière
Uber, ce n’est qu’une application de téléphonie mobile pensée par deux Californiens lors d’une nuit de beuverie parisienne. Cinq ans plus tard, la petite start-up vaut plus de 40 milliards d’euros, soit autant que tout le groupe EADS-Airbus. Une masse financière disproportionnée, d’autant qu’Uber n’a que quelques centaines d’employés : des communicants, juristes et quelques techniciens… Et comme les clients notent les chauffeurs indépendants, qui notent en retour les clients, nul besoin de personnel d’encadrement. Le numéro un des VTC ne salarie pas de chauffeurs. Mais une décision de justice pourrait changer la donne. 150 000 chauffeurs de Californie ont lancé une class action pour obtenir le statut de salarié. La capitalisation boursière d’Uber pourrait bien se dégonfler d’un coup.
Source : http://www.humanite.fr