Mediapart publie le détail des moyens alloués aux anciens présidents pour 6,2 millions d’euros par an. D’après nos informations, un rapport confidentiel recommande à François Hollande de revoir ce régime de faveur pour les prochains sortants. Nous révélons aussi que les anciens premiers ministres ont coûté, de leur côté, plus de 3 millions d’euros à l’État entre 2011 et 2014.
Avant de sortir la calculette et d’évaluer la masse d’argent public bazardé, quelques détails suffisent à démontrer le gâchis. Est-il normal que Matignon ait dépensé 89 000 euros en 2014 pour renouveler les berlines de François Fillon, Édouard Balladur et Michel Rocard ? Que la République rémunère sans relâche une collaboratrice d’Édith Cresson (35 000 euros par an) ? Que le contribuable paye le chauffeur de Dominique de Villepin alors que celui-ci voyage aux quatre coins du monde pour son business (40 000 euros en 2014) ? Que l’État fournisse vingt-six lignes de téléphone portable à Nicolas Sarkozy et son cabinet, bien qu’il préside un parti d’opposition ? Que Valéry Giscard d’Estaing, un tiers de siècle après avoir quitté l’Élysée à pied, n’assume toujours pas son carburant (5 000 euros annuels) ? Additionnés, ces chiffres inédits donnent le tournis.
![Les trois anciens présidents coûtent environ 6,2 millions d'euros chaque année à l'Etat © Reuters Les trois anciens présidents coûtent environ 6,2 millions d'euros chaque année à l'Etat © Reuters](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2016/02/08/sarkozy-vge-chirac.png?width=661&height=437&width_format=pixel&height_format=pixel)
Grâce aux travaux du député René Dosière (PS), les citoyens savaient déjà que Valéry Giscard d’Estaing coûtait environ 2,5 millions d’euros par an à l’État français, Nicolas Sarkozy 2,2 millions, Jacques Chirac 1,5 million. Il est ainsi loisible d'affirmer que la mise sous perfusion des anciens présidents a mobilisé des dizaines et des dizaines de millions d’euros d’argent public depuis les années 1980. Accablant.
Aujourd'hui, Mediapart dévoile la nature exacte de leurs frais sur les années 2011 à 2014, bénéficiaire par bénéficiaire. Car non seulement les trois « ex » touchent environ 6 000 euros par mois d’allocation (à laquelle s’ajoutent 12 000 euros du Conseil constitutionnel pour VGE), mais ils sont littéralement « entretenus » par la République, qui paye timbres, conseillers ou blanchisserie.
En actionnant le droit d’accès aux documents administratifs (garanti à tous les citoyens par une loi de 1978), Mediapart a obtenu les données du secrétariat général du gouvernement, ce service de Matignon qui gère les moyens dévolus par la République à tous ses « ex » – à l’exception des salaires de certains fonctionnaires mis à disposition par les ministères de l’intérieur ou de la défense. Alors que nous avions demandé ces pièces dès janvier 2015, il aura fallu attendre qu’une commission indépendante (la Cada) nous donne raison pour que les services de Matignon s’exécutent, un an plus tard. Dans d’autres démocraties, ces chiffres feraient l’objet d’un rapport annuel.
Au nom de la transparence, nous publions ainsi le détail des crédits engagés par l’État, ligne par ligne, afin que les citoyens puissent s’y plonger, depuis la location des bureaux (276 683 euros pour VGE contre 226 290 pour Sarkozy en 2014) jusqu’à l’achat de journaux (10 571 euros pour VGE contre zéro pour Sarkozy), en passant par les rémunérations de certains personnels, et même la liste des tableaux fournis par le Mobilier national (Sarkozy a emprunté une seule œuvre contre dix-neuf pour Chirac, dont une estampe de Poliakoff et une gravure de Max Ernst).
Nous révélons également le montant des dépenses liées aux anciens premiers ministres, moins lourdes, mais qui ont tout de même dépassé 2,9 millions d’euros entre 2011 et 2014 (hors leurs frais de sécurité difficilement discutables), et 860 000 euros rien qu’en 2014.
Tous les ex-locataires de Matignon ont en effet droit à une voiture (avec essence), un chauffeur et un assistant, que la plupart utilisent bien qu’ils aient repris un mandat électif ou une activité privée (voire les deux, à l’image de Jean-Pierre Raffarin et François Fillon). Seul Laurent Fabius, jusqu’à son retour au gouvernement en 2012, semblait se passer de chauffeur comme de collaborateur – tout en usant de « sa » voiture, acquise pour 39 000 euros en 2006. Économe ? N’oublions pas qu’il a aussi bénéficié plusieurs années durant des moyens matériels mis à sa disposition par l’Assemblée nationale, en tant qu’ancien patron du Palais-Bourbon…
On découvre ici que Matignon a encore déboursé 102 000 euros en 2014 pour rémunérer le personnel affecté à Alain Juppé (maire de Bordeaux désormais candidat à la primaire des Républicains), 97 000 pour Dominique de Villepin (dont la société réalisait cette année-là 1,8 millions d’euros de chiffre d’affaires), 89 000 euros pour Jean-Pierre Raffarin (sénateur avec toutes les indemnités afférentes), 82 000 euros pour Lionel Jospin (retraité jusqu’à sa nomination au Conseil constitutionnel en 2015), 79 000 euros pour Michel Rocard (ambassadeur « chargé de la négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique »), 75 000 euros pour Jean-Marc Ayrault (député), 66 000 euros pour François Fillon (député aujourd’hui candidat à la primaire), 45 000 euros pour Édouard Balladur (retraité) et 33 000 euros pour Édith Cresson (retraitée). Il est permis de douter que ce bataillon d’assistants serve exclusivement à traiter des courriers d’admirateurs.
Boîte noire : Mediapart a reçu l’ensemble des documents sur les moyens alloués aux anciens présidents et premiers ministres le 6 février, adressés par le secrétariat général du gouvernement.
Nous avions demandé communication de toutes ces pièces en janvier 2015, sur la base de la loi de 1978 qui garantit à tout citoyen l’accès aux documents reçus et produits par les administrations – à quelques exceptions près liées au secret défense par exemple, au secret en matière industrielle et commerciale, ou à la vie privée.
Sans réponse de Matignon dans un premier temps, nous avons saisi la Cada (la Commission d’accès aux documents administratifs) pour faire respecter la loi. Elle a rendu un avis favorable à Mediapart le 22 octobre 2015 (à condition que certaines informations soient anonymisées), décision finalement communiquée à la rédaction le 31 décembre 2015. Nous nous sommes donc retournés vers Matignon, qui a ensuite transmis rapidement ces documents. Un long cheminement, tout de même, pour faire respecter le droit de savoir.
Source : https://www.mediapart.fr
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