Comment revitaliser la vie politique française, lutter contre la dérive autoritaire du pouvoir et reprendre la main ? C’est pour répondre à ces questions que se construit le mouvement des « conseils d’urgence citoyenne », lancé il y a un mois. Avec une idée phare pour faire entendre son opposition : la grève citoyenne.
À Nice, Carpentras, Douai ou Caen, ils appellent à la « grève citoyenne ». Ils, ce sont des artistes, des avocats, des responsables associatifs, des universitaires ou des élus, mais toujours et avant tout des citoyens. « Au sens de celui qui affirme sa liberté politique », dit l’historienne Sophie Wahnich, directrice de recherche au CNRS et membre fondatrice de ces « conseils d’urgence citoyenne ». Depuis un mois que le mouvement a été lancé à Paris, plus de vingt conseils se seraient déjà formés dans le pays.
Alors que le texte de prolongation de l’état d’urgence et de réforme du code de procédure pénale a été adopté en Conseil des ministres mercredi 3 février, les conseils d’urgence citoyenne expriment leur opposition à ces mesures. Ce « déploiement de l’état d’urgence a conduit sans délai et conduira à une confiscation des libertés publiques politiques », affirme son manifeste de création.
- L’historienne Sophie Wahnich, directrice de recherche au CNRS et membre fondatrice des conseils d’urgence citoyenne.
Comment faire entendre son opposition ? Par une « grève citoyenne », donc. Du message sur les réseaux sociaux au jeûne, il est fait appel à la créativité de chacun pour mener « une grève perlée », dans la durée. Un logo avec une colombe en forme de V – comme vigilance – a été créé et pourra être utilisé sur n’importe quel insigne, à la façon des grèves à la japonaise – lorsque les ouvriers nippons interdits de grève utilisaient un brassard pour exprimer leur mécontentement. Il n’est pas prévu de cessation de travail, mais plutôt des formes de boycott : « Cela peut consister à refuser de consommer pendant un certain temps, propose Séverine Tessier, fondatrice d’Anticor, également à l’initiative de cette démarche. Chacun est libre d’agir comme il le sent, c’est aux esprits libres et volontaires que l’on fait appel. »
« Unir la population autour de valeurs communes »
« Cela peut paraître flou, mais le principal est d’oser dire son opposition à l’état d’urgence », insiste Isabelle Attard. En tant que députée, l’une des six à avoir refusé de voter pour l’état d’urgence en novembre, elle ne pourra pas porter le brassard dans l’hémicycle mais compte sur la diffusion des visuels libres de droits. « C’est une approche finalement plus poétique de la grève, s’amuse Nicolas Lambert, auteur et acteur de pièces de théâtre sur le pétrole ou le nucléaire. On improvise, mais ni plus ni moins que le gouvernement, en somme ! »
L’objectif est de rassembler un certain nombre d’opposants pour mieux faire corps. « On instrumentalise la division du peuple, sur de multiples sujets. Avec cette grève citoyenne, nous cherchons l’effet inverse : unir la population autour de valeurs communes, en partant de la première d’entre elles, la démocratie », résume Séverine Tessier.
- Séverine Tessier, fondatrice d’Anticor et à l’origine des conseils d’urgence citoyenne.
La contestation du régime d’exception recouvre un autre enjeu : « Sonner la riposte démocratique », selon l’expression de Sophie Wahnich. « Comment entrer en résistance, comment reprendre la main, comment reparticiper au débat… L’état d’urgence nous pose des questions au cœur d’une problématique politique beaucoup plus large. C’est un élément déclencheur », dit Isabelle Attard.
La dynamique s’est enclenchée bien avant les attentats du 13 novembre. Depuis plusieurs mois, différentes structures se retrouvaient pour réfléchir à la revitalisation politique de la société française. Il y a eu une réunion à la fin de l’été 2015 à Jarnac, organisée par le mouvement de la Convention pour la VIe République, il y a eu les assises citoyennes d’Anticor à Nancy, à l’automne, et plus récemment une journée de travail à l’appel du conseil municipal de Saillans, expérience-pilote sur le sujet.
« L’urgence de refaire État »
À chaque fois a été constaté le basculement du système politique vers un régime autoritaire, ce que Sophie Wahnich appelle, après Colin Crouch et Chantal Mouffe, « une politique post-démocratique » : « Des politiques qui ne sont plus pensées en faveur du bien commun tandis que les décisions ne dépendent plus du contrôle démocratique. » Face à cette évolution et hors des partis politiques assimilés à la Ve République, « une volonté citoyenne s’affirme pour lutter contre la confiscation du pouvoir », assure Séverine Tessier. Rejet des pratiques politiques actuelles et recherche d’une meilleure éthique en politique sont « les deux plus petits dénominateurs communs à ces mouvements », selon Isabelle Attard, qui a successivement quitté EELV et Nouvelle Donne pour se tourner vers ces autres milieux politiques.
- Lors de la manifestation contre l’état d’urgence, samedi 30 janvier, à Paris.
À l’état d’urgence, Nicolas Lambert oppose « l’urgence de refaire État ». L’artiste compte parmi les pionniers du processus, bien sûr par opposition à l’état d’urgence – « supprimer les libertés publiques jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de méchants, ça ne peut pas marcher » – mais aussi parce qu’« on ne peut plus se sentir à ce point dépossédé de la chose publique ; et la vraie question que l’on se pose est : comment réintéresser les citoyens à la vie de la Cité ? »...
*Suite de l'article sur reporterre
Source : http://reporterre.net