Un colloque réunit, ce week-end à Paris, Jean-Luc Mélenchon et d'autres représentants des gauches européennes en rupture avec la social-démocratie et ne se satisfaisant pas de l'issue grecque. Avec l'objectif, pour le héraut du Front de gauche, d'être aussi fructueux que les sommets de São Paulo, ayant contribué au réveil des gauches latino-américaines. Yanis Varoufakis, lui, a déclaré forfait.
Après la claque grecque de l’été 2015, des formations d’une gauche critique encore groggy un peu partout en Europe essaient de se remettre en mouvement. Des élus, des activistes et des économistes, venus du continent et d'ailleurs, tenteront d'apporter un peu de chair à un « plan B » pour l’Europe, lors d’une conférence à Paris, samedi 23 et dimanche 24 janvier.
À l’origine de ce « sommet du plan B », il y a l’appel lancé en septembre à la Fête de l’Humanité, relayé par une tribune sur Mediapart signée par Jean-Luc Mélenchon et quatre autres figures de la gauche européenne (Yanis Varoufakis, Zoï Konstantopoulou, Oskar Lafontaine et Stefano Fassina). À l’époque, les déclarations d’intention tournaient plutôt autour d’un plan "A" et restaient vagues. Les ateliers parisiens organisés à la Maison de la chimie sont censés tirer des leçons plus précises des cinq mois de négociations électriques entre le gouvernement d’Alexis Tsipras et l’Eurogroupe.
La réunion devait dans un premier temps se tenir les 14 et 15 novembre derniers. Mais les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 au soir, ont obligé les organisateurs à reporter le colloque. L'esprit reste identique, avec l'objectif affiché – mais qui s'annonce déjà difficile à tenir – de se réunir tous les six mois, en même temps que les sommets des chefs de gouvernement de l’UE. « L’objectif est de créer un espace alternatif de pensée, un émetteur capable de dessiner un autre chemin », explique Jean-Luc Mélenchon, pour contrer « la dictature de la pensée unique quand il s’agit d’envisager l’Europe, pour ne pas la résumer à une dialectique entre Merkel et Cameron, soit l’ordolibéralisme, soit le repli nationaliste ».
À ses yeux, ce sommet du plan B est un moyen « d’avancer avec ceux qui ont envie d’avancer, la suite se débloquera forcément ». Et d’être prêt pour 2017. L’ancien candidat à la présidentielle, prêt à repartir, prévient : « Outre les deux élections en France et en Allemagne, il y aura le référendum britannique et “l’achèvement de l’union économique et monétaire” proposée par “l’initiative des présidents” des institutions européennes. On entre donc dans une phase d’agitation extrême, il convient de s’y préparer. » Il cite en exemple le Forum de São Paulo (lire ici), qui a réuni les gauches latino-américaines au début des années 1990. « Un courant intellectuel coordonné, qui crée une ambiance et renforce chacun d’entre nous quand il rentre dans son pays. » Sur son blog, il conclut : « D’une réunion sans aucun écho médiatique sortirent dix gouvernements… Qui sait ? »
Le contexte, depuis novembre, a tout de même fortement évolué. Le sommet du « plan B » se trouve concurrencé par d'autres initiatives, à l'image du mouvement que s'apprête à lancer Varoufakis à Berlin, le 9 février, que l'ex-ministre grec présente comme un « rassemblement de personnes pour essayer de trouver une solution » à la crise européenne. Quelques jours plus tard, le même Varoufakis va participer à Madrid à de nouvelles journées du « plan B », aux côtés de plusieurs maires « indignés », dont la maire de Barcelone Ada Colau. Sauf changement de dernière minute, il n'est pas prévu que Mélenchon se rende à Berlin. Un autre colloque autour du « plan B » est aussi annoncé en Allemagne, en juin.
Quant à Varoufakis, il a déclaré forfait pour Paris en milieu de semaine. L'ex-ministre grec a fait valoir, auprès des organisateurs du sommet, des soucis logistiques (le sommet a été reprogrammé il y a quelques semaines à peine), et a assuré qu'il n'avait pas de désaccords de fond sur la dynamique engagée. Mais l'absence de Varoufakis devrait limiter la portée du sommet parisien. Surtout, le mouvement semble déjà confronté à un éparpillement des initiatives qui pourrait brouiller la lisibilité du projet. Sur le papier, les démarches diffèrent. Celle du plan B veut remettre en scène certains débats centraux et très clivants au sein de la gauche européenne, comme l'avenir de l'euro, quand la démarche initiée par Varoufakis veut davantage répondre au déficit démocratique de l'UE, en repensant, semble-t-il, les bases d'un fédéralisme européen.
Quoi qu'il en soit, l'initiative parisienne compte sur le soutien de formations plutôt traditionnelles, des Allemands de Die Linke aux Espagnols d’Izquierda Unida. Ces partis travaillent déjà ensemble au sein de la GUE, leur groupe parlementaire à Strasbourg, ou encore au sein du Parti de la gauche européenne (PGE). Mais ces deux structures ne sont pas les enceintes les plus adaptées pour lancer un débat sur un éventuel plan B européen, en particulier parce qu’elles intègrent aussi les Grecs de Syriza au pouvoir. Aucun élu de la coalition d'Alexis Tsipras ne prendra la parole à Paris, mais une eurodéputée de Podemos (parti espagnol qui soutient officiellement la ligne Tsipras), Lola Sanchez, interviendra dimanche sur les questions climatiques.
« Pierre Laurent [président du PGE et du PCF – ndlr] m’a fait savoir que le Plan B n’était pas un objectif, évacue Mélenchon. De toute façon, on n’a pas intérêt à agglomérer des forces politiques, les discussions sont surchargées de contextes locaux, et on se mettrait dans des situations d’équilibres intenables. » À ses yeux, Pablo Iglesias et Podemos ont évité de se positionner sur la Grèce, et ont soutenu Tsipras pour ne pas être réduits à cette question pendant la campagne jusqu'aux élections du 20 décembre. « Mais je ne crois pas qu’on puisse éviter les problèmes indéfiniment, dit-il, c’est perdre du temps à tourner autour du pot. »
Pour un sommet du plan B en Europe © Parti de Gauche
Le casting très masculin (36 intervenants, 10 intervenantes) du « plan B » inclut des figures du débat hexagonal (Frédéric Lordon, Cédric Durand, Olivier Besancenot, etc.), mais aussi des élus européens (un jeune député slovène, des eurodéputés allemand ou espagnol, un élu de la plateforme « indignée » Ahora Madrid), des universitaires de renom (les économistes grec Costas Lapavitsas, italien Massimo Amato, etc.), ou encore des figures de la société civile internationale (venues d'Équateur ou de Tunisie).
« L’oligarchie européenne avait son plan B : éjecter la Grèce de la zone euro [si Tsipras n’acceptait pas un nouveau mémorandum – ndlr]. Face à cela, nous devons réfléchir à notre propre plan B », estime l’eurodéputée Die Linke Sabine Lösing. Même approche pour l'eurodéputé espagnol Javier Couso, membre d'IU (les écolo-communistes), qui voit dans ce colloque une « opportunité magnifique » : « En plus de notre plan A, que l'on appliquerait si l'Europe fonctionnait normalement, il nous faut travailler à un plan B, pour éviter que ne se reproduise ce qu'ils ont fait à la Grèce. » Couso débattra en particulier, samedi, avec l'universitaire belge Paul Jorion.
Se mettre au clair
Lors du week-end, il sera question exclusivement d'économie. L’immigration n’est abordée qu’au travers d’un seul atelier, sur la coopération avec le Sud. « Il faut d’abord se mettre d’accord sur un cadre global économique, car la question migratoire en dépend directement », estime Mélenchon, qui continue à juger les décisions d'Angela Merkel sur le sujet « dramatiques ».
L’économie, donc, autour de trois piliers attendus : l'euro, la dette publique et le commerce. L'eurodéputé allemand de Die Linke Fabio de Masi, qui participera à l’un des ateliers samedi, estime que « tout le monde doit désormais avoir la réponse à la question suivante : si des élections se déroulent en Europe, que l’on se retrouve avec dix ou douze gouvernements de gauche, mais que la BCE, qui imprime notre monnaie, nous dit : peu importe ce qu’ont voté les citoyens, peu importe que vous aimiez ou pas l’austérité, si vous n’obéissez pas, on vous sort de l’euro… On fait quoi ? C’est exactement ce qu’ils ont fait à la Grèce, avec la complicité du ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble ».
Ce premier colloque parisien pourrait confirmer le durcissement en cours du discours de nombre de formations de gauche à l’égard de l’UE, et de l'euro en particulier. Les dirigeants de ces formations ont parfois l'impression d'être dépassés par une base militante plus critique, notamment envers l'euro. « Après l’accord de juillet, une approche un peu naïve de l’Europe est tombée. La vraie nature de l’UE a été dévoilée. Au milieu du malheur de cette crise grecque, c’est au moins une bonne chose de voir que plus de monde a compris cela : changer des points-virgules dans les traités ne suffira pas », avance David Pestieau, vice-président du PTB, un parti belge francophone ancré à gauche du PS.
« Je ne crois pas qu’il soit encore possible de mener des politiques de gauche au sein de la zone euro, assure de son côté l’Allemand Fabio de Masi, qui dit s’être “radicalisé” après l’accord du 13 juillet. Bien sûr, je préférerais toujours miser sur une zone euro réformée, qui n’impose pas mécaniquement l’austérité. Mais en l’état, je ne suis pas optimiste sur nos chances de convaincre messieurs Draghi [patron de la BCE – ndlr] et Schäuble [ministre des finances allemand – ndlr] d’en finir avec ce chantage. Et l’on ne peut pas dire aux peuples d’Europe qui souffrent, qu’il faut attendre la victoire de la gauche en Allemagne… Je suis réaliste. Il faut donc trouver des moyens de les aider dès maintenant. »
Au sein d'Izquierda Unida, le débat sur l'euro n'est pas non plus tranché. « Nous n'avons pas une ligne unique sur l'euro. Certains sont pour une sortie, d'autres, contre. Moi-même, je ne suis pas encore au clair, avoue Javier Couso. Mais à IU, nous ne sommes pas en train de découvrir ces problématiques : dès les années 1990, la principale figure du parti [le communiste Julio Anguita – ndlr] critiquait la construction d'un euro qui est adossé à une banque centrale qui ne fonctionne pas comme une banque centrale, et qui n'est qu'une zone obscure de la démocratie européenne. »
Les débats s’annoncent donc très agités, et l'objectif semble davantage d'enclencher une dynamique que de s'entendre sur des conclusions. « Notre but n’est pas de présenter un plan B, mais de dire qu’un plan B est possible, et qu’il y en a même plusieurs », estime Jean-Luc Mélenchon. « Le plan B, comme son nom l’indique, peut vouloir dire beaucoup de choses, et messieurs Mélenchon, Lafontaine, Fassina et Varoufakis ne disent pas tous exactement la même chose, si je les écoute bien », observe David Pestieau, du PTB.
« On est au moins tous d’accord sur un certain nombre de choses : la zone euro dans sa configuration actuelle ne marche pas, l’austérité détruit nos économies, et il faut reposer la question de qui détient le pouvoir dans la zone euro », poursuit Fabio de Masi. Ces questionnements seront-ils tranchés, ou le sommet du plan B ne sera-t-il qu'un lieu de réflexions et de débats ? « Au forum de São Paulo, ils n'ont jamais voté que des résolutions, glisse Mélenchon, ça ne les a pas empêchés de réussir à prendre le pouvoir. »
Retrouvez sous l'onglet Prolonger de cet article notre émission live du 25 septembre 2015, «L'Europe de Yanis Varoufakis»
Source : https://www.mediapart.fr
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