"Ils veulent me juger pour islamophobie le jour de la commémoration des attentats de 'Charlie Hebdo', c’est quand même fort !" Au bout du fil, Julien Sanchez, le jeune maire FN de Beaucaire, s'autorise un rapprochement douteux. L’édile est poursuivi par six commerçants de sa ville pour discrimination. Le tribunal correctionnel de Nîmes doit rendre son verdict le 7 janvier.
En cause, deux arrêtés municipaux pris par Julien Sanchez en juin dernier à l'encontre de plusieurs commerces (pizzeria, snack, épicerie ou kebab), la plupart installés dans la rue Nationale, jadis grande rue animée de la ville, contraints de fermer leurs portes après 23 heures, jusqu’à 5 heures du matin. Les deux textes visaient également la vente d'alcool et le stationnement en réunion.
Raison invoquée : les "nuisances" causées par la clientèle de ces établissements. Le maire justifie :
L’élu, qui jure n’agir qu’au nom de la tranquillité de ses administrés, ajoute que des personnes étaient en état d’ébriété, fumaient et hurlaient devant les commerces.
Jusque-là rien de très original... Sauf que la totalité des commerces visés sont tenus par des Beaucairois d’origine maghrébine et de confession musulmane. Et qu'avant de légiférer, la mairie n'a jamais tenté d'ouvrir le dialogue. A cela s’ajoute le fait que les commerces concernés ne vendent pas d’alcool. Laure Cordelet, habitante de la ville, qui a lancé le "rassemblement citoyen de Beaucaire" en réaction à l’élection du maire frontiste, regrette :
Enfin, les arrêtés sont entrés en application le premier jour du ramadan. L'avocate des commerçants, Me Khadija Aouida, pointe le risque financier engendré :
Le snack l'Horizon, rue nationale, concerné par l'arrêté
"Je ne le savais pas, je ne cale pas mon calendrier sur celui de la mosquée !" rétorque Sanchez, qui ne craint pas le départ de ces commerces, voire qui l’encourage :
Lors des élections municipales, le candidat FN avait fait de la fermeture de ces commerces un thème de campagne, comme le relate ce reportage de Rue89.
Le 29 juin, le préfet du Gard a dû intervenir. Dans un courrier adressé au maire, il souligne le caractère "illégal" et "disproportionné" des arrêtés. "Le préfet nous a juste demandé d’être plus précis", balaye le maire.
Julien Sanchez abroge alors les arrêtés et les remplace par deux autres, le 19 août, ce qui rend la procédure devant le tribunal administratif caduque. Une première décision accueillie comme une victoire par le maire frontiste. "C’était même dans le magazine municipal !" se rappelle Laure Cordelet.
Pour l’avocate des commerçants, le caractère discriminatoire ne fait aucun doute. "Je veux bien entendre qu’il y a des nuisances mais il faut des preuves matérielles et aucune n’a été fournie !" Elle souligne surtout :
Toile de fond de ce régime d'interdits à deux vitesses : l’avocate dit avoir constaté "une radicalisation et une politique particulièrement raciste" à Beaucaire. Elle affirme avoir été consultée pour d’autres cas qui concernent des contrôles d’identité ou encore du personnel de mairie. Abdallah Zekri, président de l'Observatoire national contre l’islamophobie du Conseil français du culte musulman (CFCM), s’est porté partie civile.
Avant les arrêtés, plusieurs décisions municipales ont contribué à tendre la situation : la rue a été fermée pour des travaux et des bornes anti-stationnement ont été installées, compliquant les livraisons.
Julien Sanchez se dit soutenu par la population. La pétition qu’il a lancée a recueilli d’après ses dires 2.600 signatures et le score du FN dans sa ville aux élections régionales (près de 60%) est pour lui un signe supplémentaire de soutien.
Laure Cordelet s’étouffe :
Le maire promet de reprendre les mêmes arrêtés l’année prochaine. Et s'il est condamné, d’utiliser "tous les recours possibles, jusqu'à la Cour européenne des droits de l’homme".
Estelle Gross
Source : http://actualites.nouvelobs.com