Biologistes, scientifiques et citoyens amateurs répertorient faune et flore du bocage nantais pour renverser la balance juridique. Au cœur du terrain tant convoité, rencontre avec cet autre maillon de la chaîne militante.
Les Naturalistes en lutte, déterminés à protéger tritons à crête et autres campagnols amphibie qui prospèrent dans le bocage nantais, ici le 9 mars 2014 - Juliette Harau/Rue89
« Surtout, n’oubliez pas de prendre des bottes. » Le néophyte qui n’a pas entendu ce sage conseil découvrira à ses dépens ce que « zone humide » veut dire. Autour de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), on patauge même dans les prairies.
Ce dimanche 9 mars, ils sont une cinquantaine à braver la boue avec entrain, le soleil pré-printanier n’enlevant rien au plaisir. Les Naturalistes en lutte accueillent les curieux, comme chaque premier dimanche du mois depuis janvier 2013, devant l’église du bourg.
Ce collectif d’amoureux de la nature propose à tout un chacun de se mêler à leur effort d’inventaire du bocage, une contre-expertise citoyenne qui s’oppose au rapport officiel sur la faune et la flore mené en 2012 sur la zone. C’est en prenant appui sur ces résultats controversés que les arrêtés préfectoraux ouvrant la voie au chantier de l’aéroport ont été publiés en décembre.
Aux champs pour « produire de la donnée »
C’est bien connu, plus on est de fous de la nature, plus on compte. Reptiles, amphibiens, mammifères, ou arbres rares, la petite troupe se divise selon les préférences. Les voitures agrémentées d’autocollants « non à l’aéroport » prennent la route des champs.
Dorian relève le nombre et l’emplacement des pontes de grenouilles. Les données sont ensuite centralisées - Juliette Harau/Rue89
Dorian, étudiant en gestion et protection de la nature, fait partie des habitués :
« Je ne suis pas là pour faire des travaux pratiques mais pour produire de la donnée contre le projet d’aéroport. Ça ne sert pas à grand-chose si on n’essaye pas de transmettre ce qu’on voit ici et de sensibiliser les gens. »
Munis d’une carte de la zone que les Naturalistes ont eux-même réalisée, Alexis et Camille partent en quête des pontes de grenouilles.
La danse du triton à la lumière de la torche
L’un travaille pour l’association environnementale Bretagne vivante, l’autre est un passionné tout aussi incollable. Pendant la matinée, les deux acolytes font le tour de quinze mares et reportent sur leur carnet de terrain le nombre d’amas gluants de futurs têtards qu’ils ont relevés. Il s’agit de déterminer combien de grenouilles adultes coassent actuellement sur la zone dite impactée par le futur aéroport.
Au gré de la balade, les fleurs se parent de noms scientifiques et les papillons d’histoires fantastiques. Les férus de nature parlent avec passion, aussi bien de la vie familiale des blaireaux, que du sens de l’humour des étourneaux imitateurs. Le triton, marbré ou à crête, n’est pas en reste. Ce petit amphibien, dépendant du bocage s’il en est, est devenu le symbole de toute une lutte.
Entre connaisseurs, on le dit bon danseur. Les naturalistes n’hésitent pas à organiser des excursions nocturnes pour mieux le répertorier, et au passage, observer sous l’eau à la lumière d’une lampe ses parades nuptiales. A travers leurs yeux et le récit qu’ils en font, le bocage s’anime.
« C’est le seul bocage de cette superficie »
On en oublierait presque l’aspect acrobatique de l’exercice. Sans chichis, les Naturalistes s’engagent à pleines bottes, s’enfoncent parfois jusqu’à mi-mollet, se fraient un chemin entre les branchages, quand il ne s’agit pas de ronces. Ils grimpent de talus en talus et se contorsionnent pour faire le tour de chaque mare malgré la végétation abondante.
« Il faut la vouloir la ZAD [la zone prévue pour recevoir le projet d’aéroport, ndlr] », s’amuse Alexis, « c’est du sport. Imaginez un peu le quotidien de ceux qui vivent là ».
Ce n’est pas assez éprouvant pour empêcher Gilbert de soutenir les Naturalistes. A 74 ans, ce Rennais qui se dit lassé des « intérêts politiciens » fait régulièrement le déplacement. « Cette nature-là, vous ne la retrouverez nulle part ailleurs », tranche le retraité balayant le paysage du bras.
De 20 à 74 ans, des amoureux de nature dans le bocage nantais - Juliette Harau/Rue89
Alexis confirme :
« C’est unique. OK, ce n’est pas une réserve naturelle, c’était même un terrain banal dans les années 50. Mais c’est devenu exceptionnel parce que c’est le seul bocage de cette superficie qui subsiste aujourd’hui. »
Paradoxalement, c’est le projet d’aéroport, dans les années 70, qui a préservé la zone. Partout ailleurs, le système de développement et l’agriculture intensive ont fait disparaître ou ont morcelé les bocages. Au contraire dans cette zone en suspens, tout un écosystème s’est développé librement. La désormais célèbre ZAD : zone d’aménagement différé pour les tenants du projet ; zone à défendre ou zone d’autogestion définitive pour les zadistes qui occupent les lieux.
Vinci et ses compensations « illusoires »
Auprès d’eux aussi, les Naturalistes opèrent un exercice de sensibilisation. Les zadistes avaient entrepris de reboucher les mares de compensations creusées par Vinci. Les spécialistes ont tempéré. Alexis :
« On leur a expliqué que si c’était fait immédiatement après la création de la mare, ils s’attaquaient effectivement au symbole. Mais après un temps, des espèces l’investissent et ça revient à agir comme Vinci, c’est-à-dire détruire leur milieu de vie. »
Alexis présente le graal du jour : les pontes de grenouille, visibles à la surface des mares - Juliette Harau/Rue89
Les Naturalistes critique la démarche de compensation menée par le concessionnaire. Il s’agit de réimplanter des espèces dans un milieu similaire hors de la zone de construction, or les scientifiques estiment que ce dispositif, bien trop mécanique, est une aberration. Alexis, encore :
« C’est rarement viable, alors sur une telle surface [plus de 1 600 hectares], avec une biodiversité si riche, c’est totalement illusoire. Pour protéger les tritons, on les parachuterait dans un espace déjà investi par des espèces concurrentes. Rien ne prouve que la réimplantation de cette espèce protégée aboutira. »
Le fruit de leurs efforts devant les tribunaux
Si les Naturalistes abattent ce travail, c’est pour contredire, preuves à l’appui, l’enquête publique menée par le bureau d’études Biotope. Une analyse scientifique bâclée, faite à la va-vite et dans de mauvaises conditions, entendent-ils prouver. Les Naturalistes sont donc un acteur ducombat juridiquequi maintient les travaux de l’aéroport en suspens. Dorian Piette :
« Parmi les recours engagés, c’est aujourd’hui sur les recours environnementaux que l’on fonde le plus d’espoir. On va se servir du travail des Naturalistes devant les tribunaux, même si leur expertise n’a pas juridiquement la même valeur que celle d’un cabinet officiel. »
Ce juriste et militant Europe écologie -Les Verts est membre de la commission juridique de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de NDDL (Acipa). Il rappelle que le bras de fer se joue à tous les niveaux : politique, juridique et citoyen.
A la recherche des pontes de grenouilles, Alexis fait le tour de chaque marre avec attention - Juliette Harau/Rue89
La partie n’est pas terminée. Jean-Marc Ayrault, favorable au projet, confirmait fin février son engagement, « dans un Etat de droit », d’aller au bout des recours. « Si on le prend à la lettre, les travaux ne commenceront pas avant trois ou quatre ans », évalue Dorian Piette au vu des démarches juridiques en cours.
« On nous a volé notre manif »
A l’heure du pique-nique, les différents groupes se rejoignent. Parti à la recherche de traces des loutres, Hervé (le prénom a été modifié : « On est tous Camille ici », du nom de la première personne à avoir été arrêtée sur la ZAD), vétérinaire de profession, a fait choux blanc. Il reprendra sa quête l’après-midi. Les reptiliens à l’inverse ont croisé vipères et orvets. Dans les mares : plus de 400 pontes relevées ce jour, la population de grenouilles serait de plusieurs milliers de spécimens.
A Notre-Dame-des-Landes, les militants anti-aéroport tiennent une permanence tous les week-end - Juliette Harau/Rue89
Sandwich à la main, la fine équipe cause aéroport et autres « grands projets inutiles », reparle du22 février. « On nous a volé notre manif », regrette Jean-Louis, qui animait le fameux groupe des reptiles du matin. La faute aux CRS ou aux casseurs exogènes, dit-on par ici.
Les Naturalistes bénéficient eux d’une bonne image. Pour le premier anniversaire du mouvement en janvier, près de 400 personnes ont fait le déplacement, bien au-delà de leurs attentes.
« Eux sans nous, ils n’auraient pas tenu »
Sur le bord de la route, en repartant, il n’est pas rare de croiser un auto-stoppeur qui cherche à rejoindre un squat ou une cabane solidement installée dans la ZAD. Autour de ces habitations, règne comme une ambiance de festival qui n’aurait jamais plié bagages : banderoles, constructions en bois et tambourins qui ne doivent pas laisser croire que l’atmosphère soit toujours à la fête. Par endroits, la route est complètement entravée, rappelant que l’on frôle une forteresse bien gardée.
Julien Durand, paysan de NDDL à la retraite et porte-parole de l’Acipa, se remémorel’opération César de 2012. La police tentait d’évacuer les récalcitrants. Les affrontements violents, les routes contrôlées, les ravitaillements de nuit, la grève de la faim : une résistance qui laisse des traces. Il tempère :
« La cohabitation n’est pas forcément facile, mais nous sans eux ... on n’aurait pas pu faire ce qu’ils ont fait. Et eux sans nous, ils n’auraient pas tenu. »
L’équilibre des forces est un écosystème fragile.
Au delà des rendez-vous dominicaux, le noyaux dur des Naturalistes se réunit régulièrement pour inventorier le bocage - Juliette Harau/Rue89