Lundi 14 Décembre 2015 à 11:27
Jérémie Moualek est chercheur en sociologie politique (Centre Pierre Naville – Université d’Evry). Il poursuit actuellement une thèse sur le vote blanc et nul.
Ni les appels au « Front républicain » - mythe qui sonne comme une maxime et qui fait intérioriser chez l’électeur la contrainte du choix -, ni la tentation d’une abstention qui tend à se banaliser n’auront donc eu raison des 1,3 million de Français qui ont voté blanc et nul lors du second tour des Régionales (4,9% des votants ; 736 000 votes blancs et 552 458 votes nuls). Pourtant, nul ne juge bon de les mentionner dans la présentation des résultats électoraux.
N’étant reliés à aucun candidat, les votes blancs et nuls ne sont pas censés traduire des états de l’opinion. Au regard des seules finalités électorales, ce geste est, en effet, vu comme stérile voire infructueux (et il met à mal la légitimité des élus) : c’est pourquoi, ils ne sont pas comptabilisés dans les suffrages exprimés (ceux qui comptent). Ce postulat va de pair avec le désir de rationaliser les comportements politiques duquel peut naître une interrogation des plus simples : comment un électeur pourrait, en conscience, annuler son bulletin ?
Ce qui interpelle à la lecture des résultats est la prépondérance du vote blanc et nul dans les deux régions théâtres d’un duel Front national/Les Républicains. Il culmine respectivement à 7,8% en PACA (5,41% de votes blancs, 2,42% de votes nuls) et à 7,3% en Nord-Pas-de-Calais Picardie (4,53% de votes blancs, 2,83% de votes nuls) : du jamais vu pour ces territoires depuis la naissance de ce type de scrutin en 1986 (en comparaison avec les zones régionales). Ceci explique la hausse générale du vote blanc et nul entre les deux tours : +43% !
Au prisme des départements, l’influence de l’offre politique (en l’occurrence, ici, d’une offre « incomplète ») sur le comportement de ces électeurs n’est que mise davantage en évidence.
Ce sont logiquement dans les départements composant les deux régions « à risque » (d’une prise de pouvoir du FN) qu’on remarque les plus fortes augmentations du vote blanc et nul entre les deux tours : Hautes-Alpes (+213%), Alpes-de-Hautes Provence (+205%), Bouches-du-Rhône (+192%), Var (+154%), Vaucluse (+151%), Alpes- Maritimes (+89,67%), Pas-de-Calais (+89,25%), etc. On peut donc imaginer qu’une large part d’électeurs de « gauche » se soit « réfugiée » dans ce que l’on pourrait nommer un « vote blanc partisan », afin d’ échapper à un « Front républicain » des plus coercitifs socialement.
À l’inverse, le vote blanc et nul connaît une baisse dans 58 départements par rapport au 1er tour : on peut y voir l’effet conjugué des triangulaires (traditionnellement « défavorables » à ce type de vote, car offrant un second tour à l’offre politique plus complète) et de la présence de candidats FN dans le cadre de celles-ci. Ce sont aussi des départements où le vote blanc et nul était déjà fort au 1er tour (exemples : -21% dans les Deux-Sèvres, -20% dans le Cantal, -18% dans la Manche).
Malgré tout, ce geste électoral demeure fortement utilisé dans des territoires où la conjoncture politique n’est pas singulière. Si bien que même si le vote blanc et nul s’avère bien être – comme nous le supposons – une incapacité ou un refus de choisir, il semble n’en demeurer pas moins autre chose qu’une simple réponse à une offre politique donnée.
Ainsi, on retrouve de nombreux départements qu’on pourrait qualifier de « blancophiles » : la Creuse (7,51%), la Haute-Vienne (7,38%), la Corrèze (6,58%), la Mayenne (6,39%), l’Ariège (6,09%), la Nièvre (5,91%), l’Indre (5,76%), le Dordogne (5,76%), le Lot (5,71%), etc. Ceux-ci usent du votes blancs et nuls presque de façon coutumière, en particulier lors des premiers tours, comme en attestent ci-dessous les cartes de la présidentielle 2012 et des départementales 2015.
Plus généralement, on s’aperçoit aussi que ces régionales 2015 s’inscrivent parfaitement dans la tendance à la hausse du vote blanc et nul depuis le début des années 1990 (4,6% des votants depuis 1992 contre 2,9 entre 1958 et 1989, tous scrutins confondus). Ce second tour est même un des plus féconds depuis 2002 (3e le plus élevé, derrière les 8,3% des Départementales 2015 et les 5,8% du 2nd de la présidentielle 2012).
Par ailleurs, le pourcentage obtenu (4,9% des votants) est supérieur à la moyenne des scrutins régionaux (4,5% des votants). Et ce, même si la comparaison n’est pas optimale : l’élection régionale ayant changé de mode de scrutin en 2004. Dans la même lignée, ce second tour s’avère même être le plus prolifique depuis 1986 pour ce type d’élection.
Le vote blanc et nul peut donc bel et bien être vu aussi comme un phénomène structurel. En postulant que derrière le choix d’un électeur qui annule son vote, il n’y a qu’un choix électoral, on omet une dimension primordiale. En effet, au refus de choisir semble s’ajouter aussi un refus de renoncer à voter qui fait du vote blanc et nul une pratique sociale et socialisante.
Évidemment, si certains se sont abstenus de s’abstenir c’est aussi parce que la contrainte de la norme sociale que représente encore le vote dans certains milieux/territoires s’est faite ressentir : le coût potentiel de l’abstention est d’autant plus fort là où le Front national avait ses chances de remporter une région. Néanmoins, le caractère structurel du vote blanc et nul nous démontre qu’une très grande partie de ceux qui en usent entend surtout ne pas vouloir renoncer à voter tout en se donnant le droit de ne pas choisir. Le message à faire passer est ainsi devenu, pour de nombreux électeurs, plus important que la prise en compte d’une voix contrainte – dont ils ont l’impression qu’elle ne pèse que trop eu - dans les suffrages exprimés. Dès lors, le vote blanc et nul peut aussi bien être le fait d’électeurs si fidèles à leur parti ou leur candidat qu’ils préfèrent annuler leur vote si celui-ci n’est pas représenté (ou s’il le préconise, comme le NPA lors du 2nd tour) que celui d’électeurs trop autonomes et exigeants pour s’auto-contraindre à voter « utile ».
En distinguant « vote blanc » et « vote nul » dans la présentation des résultats issus du dépouillement, la loi du 21 février 2014 « visant à reconnaître le vote blanc » entérine le principe selon lequel ces deux types de suffrage n’ont pas la même signification pour l’électeur. Si le « vote blanc » est apparenté à une forme civique de neutralité, le « vote nul », lui, est supposé provenir de citoyens « distraits » et/ou « imbéciles ». Or, il est possible d’émettre plusieurs constats à cette binarité trop simpliste.
D’abord, ces deux modalités de vote subissent le même sort : ils n’ont aucune influence sur les résultats finaux. Dès lors, l’absence de poids du « vote blanc » encourage certains électeurs à délivrer des votes blancs « dans l’esprit » : quitte à annuler leur bulletin, ils préfèrent se donner la possibilité d’écrire les raisons de leur choix, leur(s) revendications, etc. De même, comme il demeure interdit de mettre des bulletins blancs officiels à disposition, la traduction matérielle de ces deux votes pose problème. Censée pallier cet interdit, l’enveloppe vide – seule moyen fiable de voter blanc (un papier vierge étant considéré comme « nul » s’il n’est pas aux dimensions d’un bulletin officiel) – met à mal le secret du vote. En effet, elle s’avère souvent trop voyante voire « stigmatisante » pour des électeurs obligés de cohabiter quelques instants avec ceux dont l’enveloppe est bombée par une feuille A4 (format d’un bulletin de candidat)…
Les résultats de ce second tour valident ce constat dans la mesure où dans 35 départements de France métropolitaine, le « vote nul » est supérieur au « vote blanc » (comme en Haute-Marne, Mayenne, Eure-et-Loir, Haute-Saône, Indre, Vendée, Lot, Aveyron, Yonne, etc.). Les élections sénatoriales de 2014 nous offraient d’ailleurs des indications similaires : la même tendance s’était produite dans 28 départements sur 63, alors même qu’on peut supposer de la part des « grands électeurs » une maîtrise plus forte des règles électorales que celle d’électeurs « lambda ».
Enfin, la confusion n’en est que renforcée par le traitement différencié dont bénéficient tous ceux qui votent à l’aide de machine à voter (utilisée par 64 communes, c’est-à-dire 1352 bureaux de vote en 2014) et pour qui une touche « vote blanc » est disponible ! Bien que le Conseil d’État ait toujours refusé de reconnaître cette disparité de traitement comme une rupture d’égalité entre électeurs, il reste paradoxal qu’un « vote blanc » à part entière ne soit possible qu’électroniquement. Le développement global d’un « vote électronique » ne fait d’ailleurs que renforcer cet état de fait : le vote par correspondance électronique (par « internet ») mis en place en 2003 (pour l’élection des membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger) et étendu en 2011 (pour l’élection des députés élus par les Français établis hors de France) et 2013 (pour l’élection des conseils consulaires), permet – lui aussi – de voter blanc de manière effective.
Dans ces conditions, il est contre-productif de tenter d’expliquer le « vote blanc » et le « vote nul » au regard de la définition restrictive que le législateur leur accorde. La distinction blanc/nul fait sens pour l’électeur et elle recouvre – justement – des significations différentes, parfois même divergentes. Mais, tant que cette distinction ne sera pas suivie d’une pleine reconnaissance, il sera nécessaire de ne pas appréhender l’un séparément de l’autre, au risque d’« euphémiser » la portée du phénomène que ces votes recèlent. En l’état et en l’absence de future loi organique, les dispositions prises sur le vote blanc ne peuvent de toute façon pas s’appliquer pour la prochaine présidentielle en 2017. À moins que…
>>> Retrouvez Jérémie Moualek sur son site « Voter en touche »
Source : http://www.marianne.net/agora