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15 décembre par Raphael Goncalves Alves
Le Comité des droits économiques et sociaux de l’ONU vient de rendre ses observations sur le deuxième rapport périodique déposé par la Grèce |1|. Sans véritable surprise, et bien qu’étant adressée par le biais du langage policé des Nations Unies, ces observations sont accablantes pour le gouvernement grec et ses créanciers.
Le Comité des droits économiques et sociaux est l’organe de supervision du Pacte International sur les droits économiques, sociaux et culturels. Il a pour mission de veiller à la bonne application du Pacte par les États parties, et dispose à cet égard d’un certain nombre d’outils. Outre les observations générales sur les articles du Pacte, sorte de commentaires des articles, il s’est vu récemment attribuer une compétence contentieuse ouverte par le Protocole facultatif de 2008, entré en vigueur en 2013 (il n’est ratifié que par vingtaine d’Etats) et qui offre au Comité la possibilité de connaître des recours individuels (ou communications dans le langage Onussien) à l’encontre des États.
Mais l’outil central et historique de cette mission de supervision reste les observations spécifiquement adressées à chaque État à l’issue de l’examen de leurs rapports périodiques respectifs. Le Comité y répond par des observations et des recommandations précises et visant les articles du Pacte.
C’est dans ce dernier cadre que la Grèce a déposé son 2nd rapport périodique en 2015, rapport auquel le Comité a donc répondu par plusieurs observations et recommandations particulièrement intéressantes dans le contexte de crise économique et sociale que le pays traverse.
Le Comité adresse d’abord des observations générales. Il recommande notamment d’intégrer au sein du rapport périodique les jurisprudences nationales se référant aux articles du Pacte. Pour le Comité il est nécessaire de sensibiliser les institutions judiciaires et les citoyens à la justiciabilité des droits économiques et sociaux, en d’autre terme à la possibilité d’invoquer ces droits devant les juridictions, de les faire appliquer et de les rendre opposables à leur débiteur, à savoir l’État. Il convient de rappeler, et nous nous libérons quelques instants des propos du comité, que cette justiciabilité dépend en grande partie du travail des juridictions nationales, qui sont les premières garantes des droits de l’homme, et dont la jurisprudence relative à ces droits doit nécessairement se densifier afin de favoriser l’émergence de cette justiciabilité. Il convient bien, pour le Comité d’intégrer les droits économiques et sociaux dans la sphère contentieuse.
La seconde observation d’ordre générale affère, elle, à la crise et à ses répercussions. Malgré certains efforts du gouvernement grec visant à limiter les impacts des plans d’ajustement que le Comité reconnaît, la crise a eu de lourdes conséquences sur les droits économiques et sociaux. Le gouvernement a certes pris et continue de prendre des dispositions visant à intégrer ses droits dans le cadre des négociations, toutefois, le Comité rappelle que la Grèce est en premier lieu responsable du respect du Pacte et qu’elle doit veiller à ce que les obligations qui en découlent soient prises en considération lors des négociations et ce par l’ensemble des parties à ces négociations. Le Comité vise ici en particulier les créanciers de la Grèce (Banque centrale européenne, Commission européenne, Etats membres de la zone euro, le FMI, le Mécanisme européen de stabilité). Dans un même élan, la Grèce doit revoir les mesures et les réformes engagées dans le cadre des programmes d’ajustement, et se doit de renoncer progressivement à ces politiques afin de garantir une protection effective des droits économiques et sociaux.
Il rappelle qu’une crise économique, tout en étant une situation nécessitant parfois des mesures exceptionnelles, ne peut en aucun cas justifier l’application de mesures violant les droits de l’homme et notamment les droits économiques et sociaux.
Sur l’emploi et la pauvreté
Le taux de chômage est encore très élevé, bien trop élevé, en particulier chez les jeunes où il atteint les 50%. Il est en outre frappant de constater que le taux de chômage de longue durée s’élève à 73% des chômeurs. Ces chiffres semblent peu conciliables avec le respect du droit au travail comprenant le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté (article 6 du PIDESC). Le Comité recommande un certain nombre de mesures articulées autour de 4 grands axes, à savoir renforcer les programmes d’accès à l’emploi, en particulier pour les groupes sociaux particulièrement exposés à la crise, remédier aux causes profondes du chômage chez les jeunes, renforcer l’assistance aux personnes sans emploi, et continuer à mesurer systématiquement l’impact des politiques d’austérité sur le marché de l’emploi et son corollaire, le droit au travail. Cette dernière recommandation semble centrale dans la mesure où cette évaluation des politiques d’austérité n’a jamais été menée sérieusement par l’un quelconque des acteurs en présence. La Commission européenne a pour la première fois rendu une étude des impacts sociaux dans le cadre du 3e plan d’ « aide », étude qui, à vrai dire, ne constitue même pas l’ombre d’une étude sérieuse.
C’est une étude cosmétique, bâclée et biaisée, très loin des études d’impact en matière de droits de l’homme préconisées par la société civile. Elle n’apporte strictement aucune critique des plans précédents, en lisse les effets, elle tend à reporter la responsabilité sur le gouvernement grec, et ne vise in fine qu’à justifier les mesures d’austérité en cause. Cette étude reste dans la droite ligne d’une vision purement subsidiaire des droits économiques et sociaux, à savoir que ces droits coûtent chers, qu’ils nécessitent de l’argent et qu’en ce sens ils ne peuvent être qu’un corollaire de la bonne santé économique d’un pays. Dès lors, ils ne peuvent que peser bien peu dans la balance qui les opposent à des mesures visant prétendument à « redynamiser » l’économie.
On notera, à l’issue de cette digression, que le comité invite à lutter contre la précarisation de l’emploi, notamment contre une pratique répandue visant à transformer des contrats à durée déterminée en contrats flexibles, et à temps partiel, incluant des rémunérations inférieures et des conditions de travail précaires.
La Grèce doit également prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir le droit à une négociation collective, droit protégé par le Pacte, et qui a été largement mis à mal par des mesures d’austérité qui ont radicalement changé voire supprimer cette possibilité de négocier collectivement.
Quant au salaire minimum, il est aujourd’hui insuffisant pour garantir aux travailleurs un niveau de vie décent, le Comité rappelle au gouvernement son obligation de se conformer à l’article 7 du Pacte (droit à un salaire minimum notamment) et d’abandonner les mesures d’austérité qui y contreviennent.
Enfin, le travail des enfants demeure une réalité dans un contexte de crise et doit impérativement être combattu, passant notamment par des inspections régulières, la poursuite des auteurs et des campagnes de sensibilisation de la société sur ce fléau.
Sur la sécurité sociale
Le Comité critique frontalement la restructuration du système de sécurité sociale issue encore une fois des mesures d’ajustement. Cette restructuration a entraîné des violations de l’article 9 du Pacte garantissant précisément le droit à la sécurité sociale. Le Comité rappelle l’importance de prendre en compte ce droit fondamental en amont d’une réforme de la sécurité sociale, puis d’évaluer l’impact effectif de cette réforme sur les droits humains en cause.
Le Comité note en outre que la pauvreté et l’exclusion sociale ont largement augmenté avec la crise. L’État doit à ce titre se concentrer sur les couches les plus vulnérables de la population et allouer un budget suffisant afin de leur offrir un niveau de vie décent.
En raison des mesures d’austérité, les services de santé sont en sous-effectif et ne disposent pas d’un financement suffisant. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les services psychiatriques et liés plus généralement à la santé mentale, fortement mise à mal en ces périodes sombres. De manière générale, les services de santé ne permettent pas d’assurer à toutes les personnes un accès aux soins. Cela est vrai pour les citoyens grecs mais également et surtout pour les personnes marginalisées comme les demandeurs d’asile et les migrants sans papier. Le Comité recommande à la Grèce d’engager des dépenses en ce sens atteignant des dépenses de santé par PIB plus importantes qu’elles ne le sont aujourd’hui, et qui permettraient à l’ensemble de la population d’avoir accès aux soins les plus basiques. Le Comité est également concerné par la recrudescence du SIDA qui se développe au-delà des groupes généralement considéré comme « à risque », et incite le gouvernement à engager des mesures de prévention.
Sur les discriminations
Le Comité recommande la mise en place de collecte statistiques précises, sur base du volontariat, qui permettraient de mieux appréhender et évaluer les violations des droits économiques et sociaux et d’y répondre de manière plus effective en fonction des populations effectivement touchées. Suivant cette même ligne, il invite la Grèce à revoir sa définition, quelque peu étroite, de la notion de minorité, statut uniquement accordé aux Musulmans de Thrace. A cet égard, le Comité relève que près de 140 000 Roms sont logés dans des conditions ne satisfaisant pas le droit à un logement adéquat tel que prévu par le Pacte. Ces derniers n’ont en effet pas été inclus dans les programmes de régularisation des logements illégaux et sont donc sujet à des expulsions sans qu’aucune alternative ne leur soit proposée.
Concernant les migrants, la Grèce doit intensifier ses efforts afin que ces derniers puissent jouir des droits garantis par le Pacte, elle doit à cet égard continuer à rechercher et renforcer la coopération et l’aide internationale. Les centres d’accueil doivent se multiplier et permettre aux migrants de disposer de conditions de vie décente, ces centres doivent prévoir l’accès aux soins, à une assistance sociale, à une nourriture saine et à des interprètes.
Le Comité s’attarde également sur les discriminations à l’égard des femmes. La classe politique semble loin de montrer l’exemple en la matière, le Parlement et l’exécutif se caractérisent par une faible mixité. Pour le Comité, des mesures doivent être prises afin de palier un tel déséquilibre, mais il convient surtout de lutter contre les discriminations qui subsistent au sein du marché du travail, et de garantir une égale opportunité d’accès à l’emploi et aux postes à haute responsabilité. Il convient également de combattre les violences domestiques, qui font aujourd’hui l’objet d’un faible taux de poursuite.
Enfin, le Comité s’attarde sur le droit à l’éducation des enfants en situation de marginalisation, notamment les enfants Roms et les enfants handicapés et invite la Grèce à intensifier ses efforts afin de garantir à ces enfants la jouissance effective de ce droit.
|1| UN Doc. E/C.12/GRC/CO/2 and CCPR/C/GRC/CO/2 : http://www.ohchr.org/EN/countries/E...
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