L’inspectrice du travail et le lanceur d’alerte qui dénonçaient les abus et pressions de la société d’électroménager sont condamnés à 3 500 euros d’amende avec sursis.
3 500 euros, c’est l’amende à laquelle un employeur est condamné s’il entrave un inspecteur du travail dans ses missions. Pas à Annecy, en Haute-Savoie, où la justice marche à l’envers. Ce vendredi 4 décembre, le jugement est tombé dans l’affaire Tefal qui fait couler de l’encre depuis trois ans (sur Mediapart ici, là ou encore là). Laura Pfeiffer, l’inspectrice du travail, traînée en justice pour avoir dénoncé les entraves à sa fonction de la part de la société d’électroménager Tefal, est condamnée. Elle écope de 3 500 euros d’amende avec sursis, pour « violation du secret professionnel » et « recel d'e-mails internes ». La condamnation sera inscrite à son casier judiciaire. Soit un coup d’arrêt à sa carrière professionnelle si son ministère de tutelle le décide. Mais selon le cabinet de la ministre du travail, Myriam El-Khomri, joint par Mediapart, Laura Pfeiffer sera « maintenue dans ses fonctions ».
Christophe M., le « lanceur d’alerte », un ancien informaticien de Tefal, licencié depuis l’affaire, qui a transmis les e-mails à l'inspectrice prouvant l’étendue des pressions qu’exerçait sur elle la direction de cette filiale du groupe Seb, a été condamné à la même peine. 3 500 euros d’amende avec sursis pour « détournement de courriels » et « accès frauduleux à un système informatique ». Laura Pfeiffer et Christophe M. devront également verser un euro symbolique à chacune des cinq parties civiles au procès (la société Tefal et quatre personnes physiques), ainsi que payer solidairement 2 500 euros au titre des frais de justice.
La justice leur reproche d’avoir diffusé dans les syndicats et la presse des documents obtenus frauduleusement, internes au service des ressources humaines de Tefal. Ces documents, fournis par Christophe M. à l’inspectrice, ont permis de révéler l’ampleur des abus et pressions du principal employeur privé de Haute-Savoie pour se débarrasser de Laura Pfeiffer. Tout commence en 2013 quand l’inspectrice, en charge du contrôle de Tefal, dénonce l’accord caduc sur les 35 heures. Furieuse de cette remise en cause qui peut coûter cher à l’entreprise, la direction de Tefal s’acharne pour obtenir la mutation de la fonctionnaire. Du Medef local aux renseignements généraux, en passant par le préfet et, plus grave, par le supérieur hiérarchique de Laura Pfeiffer, Philippe Dumont – qui, en échange du service rendu à Tefal, obtiendra l’embauche en stage d’un de ses protégés, un étudiant, membre éloigné de sa famille, en dernière année d’école d’ingénieurs à Paris –, Tefal a joué de ses relations et pouvoirs pour parvenir à ses fins.
« Ça me choque. J'avais toujours l'espoir qu'on sorte de l'absurde. J'ai le sentiment d'avoir juste fait mon métier, ce qui apparemment dérange », a réagi Laura Pfeiffer auprès de l’AFP, à l’annonce de sa condamnation ce vendredi 4 décembre. Elle était accompagnée d'une centaine de syndicalistes venus la soutenir. Son avocat, Henri Leclerc, va faire appel de la décision (pas encore motivée à l’heure où nous publions ces lignes). Le 16 octobre dernier, au terme de six heures d’audience, il avait plaidé la relaxe pure et simple dans cette affaire « absurde ». Un procès politique dans l’air ultralibéral du temps. Celui d’un corps de métier, de la police du travail chargée de faire respecter le droit du travail bien malmené dans les entreprises. Loin de tout débat juridique et du fond de l’affaire : les pressions exercées par l’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois pour mettre hors jeu une inspectrice.
Le procureur d'Annecy Éric Maillaud – pour qui les intérêts économiques semblent compter plus que le droit du travail – avait, lui, requis 5 000 euros d'amende, éventuellement assortie de sursis, à l'encontre de Laura Pfeiffer, et une amende « symbolique » intégralement assortie de sursis à l'encontre de Christophe M. Le magistrat n’avait d’ailleurs jamais caché vouloir « faire le ménage » chez les inspecteurs, selon des propos tenus auprès d’une journaliste de l’Humanité en juin dernier qui lui avaient valu les réprimandes du directeur général du travail (DGT) Yves Struillou, lui-même ancien inspecteur (lire ici). S’il a instruit avec célérité la plainte de Tefal, les plaintes de l’inspectrice, contre le groupe d’électroménager pour « obstacle aux fonctions d’inspecteurs du travail » et contre son supérieur de l’époque pour harcèlement, dorment toujours à ce jour dans les tiroirs de son parquet.
À l’audience, Éric Maillaud s’était trouvé des alliés : l’avocat de Tefal et la présidente du tribunal. Cette dernière avait surpris l’assistance avec ses questions très orientées à destination de l’inspectrice et des différents agents qui viendront témoigner en sa faveur. Notamment en les interrogeant sur leur conception du métier. « “Appliquer le code du travail”, “garantir de bonnes relations sociales”, expliqueront la plupart d’entre eux. Jusqu’à ce que l’un d’eux trébuche : “Pour défendre aussi les plus faibles”, dira-t-il. Propos qui sera ensuite utilisé par le procureur dans son réquisitoire », racontait Libération ici.
L’annonce de la condamnation de l’inspectrice et du lanceur d’alerte ce matin a fait l’effet d’une bombe dans les inspections du travail de l’Hexagone, en émoi depuis le début de l’affaire en 2013. Une centaine d’agents se sont rassemblés en début d’après-midi devant le ministère du travail à Paris tandis qu’une délégation était reçue par la ministre El-Khomri. « Nous sommes indignés et stupéfaits », écrit dans un communiqué l’intersyndicale du ministère du travail (CGT, Sud, FO, CNT, FSU). Il n’est pas possible de condamner une inspectrice du travail pour n’avoir fait que son travail. Il n’est pas possible de condamner un lanceur d’alerte pour avoir joué ce rôle essentiel d’aiguillon. » L’intersyndicale dénonce « un procès honteux », « symbole de la collusion entre le patronat et les hauts cadres de l’État ». Elle appelle « l’ensemble des collègues et des salariés » à organiser des assemblées générales. Un préavis de grève pour une durée illimitée a été déposé au niveau national à compter de lundi prochain par plusieurs syndicats dont la CGT et Sud. « Du jamais vu », dit une fonctionnaire.
Tout au long de cette affaire, tombée en plein démantèlement de l’inspection du travail au travers de la réforme Sapin, et dans un contexte généralisé de casse du code du travail par une « gauche » au pouvoir qui a cédé à l’ultralibéralisme, Laura Pfeiffer n’a bénéficié d'aucun soutien de sa hiérarchie régionale ni de son ministère de tutelle – qui refuse de reconnaître en accident de service son arrêt maladie. Alors même que les pressions et l’atteinte à l’indépendance des inspecteurs du travail sont caractérisées, alors même qu’un avis du Conseil national de l’inspection du travail (CNIT) reconnaît clairement les pressions indues exercées sur l’inspectrice. Seul appui : les syndicats de sa corporation.
Lorsque François Rebsamen était ministre du travail, l’indifférence était la rigueur. Le sera-t-elle encore avec Myriam El-Khomri, qui lui a succédé ? « La ministre ne commente pas publiquement une procédure judiciaire, ni une décision de justice. En revanche, elle s’est entretenue longuement avec Laura Pfeiffer avant le délibéré et l’a assurée de son soutien », insiste aujourd’hui le cabinet de la ministre, joint par Mediapart. L’intersyndicale reste sceptique. Si elle est rassurée par l’engagement oral de la ministre de ne pas sanctionner la carrière de l’inspectrice, le compte n’y est pas, selon une syndicaliste proche du dossier : « Le ministère refuse tout soutien public comme de s’engager sur la reconnaissance de l’accident de service de Laura Pfeiffer en arrêt maladie. Mercredi prochain, Laura Pfeiffer est convoquée par le directeur général du travail et sa hiérarchie régionale. Mais cela ressemble plus à une convocation qu’à une discussion pour sortir par le haut de cette histoire. Et dans ces conditions, Laura refuse l’entretien. » À suivre.
Source : https://www.mediapart.fr
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