Une manifestation pacifique était organisée ce matin dans le Grand Palais, à Paris, où les entreprises tiennent un salon des « Solutions » au changement climatique. Mais la police est violemment intervenue, évacuant ceux qui dénoncent ces « fausses solutions ». Reporterre était là, et s’est fait bousculer.
Paris, reportage
Le rendez-vous était donné à midi à l’intérieur du Grand Palais, près des Champs-Élysées, par des associations (Attac, Amis de la terre, Peuples Solidaires,...). Enjeu : dénoncer ce qui, selon nombre d’associations écologistes, sont des "fausses solutions" au changement climatique.
Pour mettre en avant leurs projets auprès du grand public, de nombreuses entreprises y ont organisé « Solutions COP21 ». Avec des associations et des collectivités territoriales, elles y présentent leurs innovations en matière de lutte contre le changement climatique lors d’une immense exposition gratuite organisée au Grand Palais, à Paris, du 4 au 10 décembre. Cette initiative a coûté 4 millions d’euros.

- Le stand de Veolia.
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En attendant le début de l’action, on fait le tour des stands. Chez Engie, le directeur environnement Hervé Casterman nous explique que « le gaz émet deux fois moins de gaz à effet de serre que les autres énergies fossiles, c’est donc un moyen d’accélérer la transition écologique. » Chez Evian, on nous explique fièrement que le recyclage d’une bouteille permet de fabriquer quatre stylos. Chez Cisco, entreprise californienne fournisseur de services pour l’internet, le directeur développement durable Philippe Dumont explique qu’on peut changer « la vie quotidienne et les comportements grâce à la technologie. » Au stand d’Avril, une magnifique voiture de tournesols symbolise les avantages environnementaux du Diester, qui « émet 40 à 60 % moins de gaz à effet de serre que le diesel », nous détaille une des employées du service développement durable.

- Le stand d’Avril.
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Un brouhaha de fond donne une ambiance calme, agrémentée d’un bruit de grenouilles fait par de petits véhicules vert à pédales.
Dans le public, on croise des visages connus, on comprend que les militants commencent à entrer dans le Grand Palais avec le public. Mais certains témoignent d’avoir été séparés de leurs amis : « À l’entrée ils font une sélection selon l’apparence, et ils écartent certaines personnes sans explications. Des dreadlocks ou un bonnet coloré ça ne passe pas ! » On constate que des gendarmes sont postés à l’entrée et semblent fouiller le public.
Vers 13h30, les organisateurs décident qu’il y a suffisamment de militants à l’intérieur. Une militante lève une feuille blanche marquée du signe « EN », « Toxic Tour in english », appelle-t-elle. Un amas de caméras s’amasse autour d’elle. Puis un second lance « Toxic Tour in French ! » On le suit.

Très vite, le groupe de journalistes et de militants est dirigé par des policiers en civil [1] dans un couloir, au bord des stands. « Vous ne voulez pas qu’on puisse voir les logos des entreprises, c’est cela ? » questionne Sylvain Angerand, chargé de campagne aux Amis de la Terre. C’est lui qui mène la visite. « Ce n’est pas grave, regardez derrière vous par exemple, il y a le stand d’Engie. Ils disent qu’ils ne construiront plus de centrales à charbon, mais ils en ont encore trente en fonctionnement ! »
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- Sylvain Angerand.

Il cite également Intermarché, la lessive Le Chat, le groupe Avril, Renault, énumérant des exemples démontrant en quoi ces entreprises n’ont pas de solutions pour le changement climatique mais que leurs action l’accentuent.
Pendant ce temps là, les autres « lobbys tours » poursuivent eux aussi leur chemin. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, est en visite au salon. Un groupe de paysans se poste sur son passage, chantant « Si t’aimes bien le greenwashing frappe dans tes mains ! ». La police intervient pour les mettre dehors.

- Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture.
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Dans le groupe mené par Sylvain Angerand, nous sommes cernés. D’un coup, une bousculade, les policiers le saisissent violemment pour l’évacuer du Grand Palais. Puis, les policiers entreprennent de sortir les militants qui l’entouraient et qui s’assoient, chantant à nouveau la chanson du greenwashing. Les policiers les prennent un à un, en les forçant à sortir par une des portes latérales du bâtiment. Une femme emmenée fait une crise d’asthme : « Donnez moi ma Ventoline ! » Les policiers n’écoutent pas et l’embarquent. Une autre dame, elle aussi d’une cinquantaine d’année, proteste. Elle est emmenée manu-militari.

L’ambiance semble se calmer. On se regroupe avec d’autres journalistes, un photographe, bousculé dans la cohue, a pris un coup sur l’arcade sourcilière. Le président des Amis de la Terre, Florent Compain, nous apprend que Sylvain Angerand a juste été mis dehors, il n’est pas interpellé.
« Les fausses solutions sentent mauvais ! »
On voit passer d’autres militants, un policier sous chaque bras, se faisant accompagner vers la sortie. C’est là que les policiers nous saisissent fermement. Malgré nos protestations en tant que journalistes, ils nous emmènent aussi dehors. Avec nous, deux journalistes étrangers également. À la sortie, un groupe de policiers relève les identités des personnes exfiltrées. On refuse de donner les nôtres. Finalement, un gendarme nous conduit à la bouche de métro.
Écouter l’échange, enregistré au téléphone à 14 h 32 (le son n’est pas très bon) entre Marie Astier et des policiers : ceux-ci veulent l’interpeller, puis l’empêcher de travailler. Elle rappelle qu’elle exerce son métier de journaliste et empêche les policiers d’interpeller Maëlle Ausias, étudiante en journalisme et stagiaire à Reporterre :
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Une chaîne de militants se forme devant le Grand Palais. Pour la briser et repousser les militants, les gendarmes utilisent de petites bombes lacrymogènes. Une banderole est déployée devant les marches : « Fausses solutions 21 : pas de paix sans justice climatique ! » L’ambiance se calme. Les manifestants crient « liberté, liberté ! ».
Les gendarmes mobiles encerclent le regroupement, évacuent les manifestants. L’un d’eux, monté en haut d’un poteau d’éclairage public, est délogé par des gendarmes voltigeurs. Une journaliste états-unienne de Vice News pleure à chaudes larmes, choquée. « Certaines personnes qui essayaient de sortir de la nasse des gendarmes ont été poussées et ont reçu des coups de pieds des gendarmes », affirme un témoin. « Ils n’y sont pas allés de main morte, témoigne un des paysans présents, Emmanuel Aze. Je pense que les policiers en civil étaient de la BAC, qui n’a pas la même culture d’intervention que les CRS... »

Vers seize heures, le calme est revenu, les gendarmes retournent à leurs camions. Les militants se dispersent. L’un d’eux nous demande : « Vous n’avez rien senti dans le Grand Palais ? » Ses mains sentent le poisson. « On a répandu des extraits de poisson, car les fausses solutions sentent mauvais ! »
Alors que la police a annoncé qu’« une trentaine de manifestants ont été repoussés du Grand Palais, puis contrôlés », donc qu’aucune interpellation n’a eu lieu, les organisateurs évaluent qu’une petite centaine de militants ont pu entrer à l’intérieur et que cinq cents ont accompagné l’action depuis l’extérieur. Ils appellent à revenir sur les lieux pendant toute la Conférence climat, afin de maintenir la pression. Sous quelle forme ? « Les manifestations sont un des moyens d’expression mais il faut se montrer créatif », nous confient-ils.
TÉMOIGNAGE DE PIERRE MOREL, PHOTOJOURNALISTE
« Aujourd’hui 4 décembre 2015, un peu avant 14 h. Je couvrais en tant que photojournaliste accrédité et en commande pour le site d’information Les Jours l’action non violente « Fausses Solutions 21 » organisée au sein du Grand Palais. Un des policiers en civil qui encerclaient des militants et des journalistes a asséné un violent coup de coude à mon appareil photo qui a ensuite heurté mon visage et ouvert une plaie au dessus de l’arcade. Je ne sais pas si son geste était volontaire ou non, mais la conséquence est là.
Rien de grave pour moi si ce n’est une prise en charge par la sécurité civile et quelques points de suture aux urgences de l’hôpital Saint-Louis. Et bien sûr, l’impossibilité de suivre le reste de l’action et le salon.
Lors de cette action, de nombreuses personnes ont été arbitrairement interdites d’entrer dans le Grand Palais. Celles qui sont entrées ont été rapidement et violemment évacuées après le début de l’action. Peu après 14 h, les policiers en civil (que je présume de la BAC, brigade anticriminalité) ont aussi procédé à l’évacuation manu militari des journalistes restants (dont une journaliste de l’Agence France Presse et une autre de Reporterre, évacuée sous mes yeux). Ces dernières ont été clairement visées.
Je tiens à souligner que je n’ai pas été la seule personne visée et de nombreux journalistes et militants ont aussi subi l’action violente de la police en civil. »
TÉMOIGNAGE DE GILLES DEGUET, VICE-PRÉSIDENT EELV DE LA RÉGION CENTRE
L’élu s’est retrouvé mis dehors, alors qu’il n’avait rien à voir avec les manifestations...
*Suite de l'article sur reporterre
Source : http://www.reporterre.net