La haute juridiction a annulé des décisions et transmis une QPC ce vendredi, mais sur le fond, elle rejette les demandes d'annulation des assignations à résidence qui lui étaient soumises, estimant ces mesures justifiées.
« Ce sont des activistes et des militants qui ne menacent aucunement la démocratie. Vous êtes le gardien des libertés fondamentales. Ne mettez pas en danger la démocratie, soyez le premier et le dernier rempart contre les dérives de l’état d’urgence. » C’est ainsi que l’avocat Patrice Spinosi conclut sa plaidoirie devant la section du contentieux du Conseil d’État, qui examine ce vendredi 11 décembre plusieurs demandes de citoyens, des militants du climat, assignés à résidence pendant toute la durée de la COP21 (lire notre article ici).
La Ligue des droits de l’homme (LDH) s’est jointe à ces requêtes, et annonce par ailleurs pour bientôt des QPC sur les perquisitions administratives et les interdictions de manifester. Pendant les débats, un petit rassemblement pacifique, place du Palais-Royal, est surveillé (et filmé) par un important dispositif policier. Ainsi va la France placée sous un régime d’exception.
Les requêtes du jour (car d’autres sont annoncées dès lundi) émanent de sept personnes. Il s’agit de militants ou d’activistes censés appartenir à une mouvance anarchiste ou écologiste aux contours assez flous, selon les fiches S que les services de l’État ont fournies pour justifier leur assignation à résidence. Dans l’exposé du rapporteur public, on apprend que certains d’entre eux ont été interpellés après des manifestations plus ou moins violentes, à Rennes ou à Gênes. Quelques-uns auraient participé à des « préparatifs » pour se rendre à Paris pendant la COP21. Bigre… Il n’en fallait pas plus pour que les préfectures concernées les assignent à résidence, dès fin novembre ou début décembre, sans intervention d’un juge. Ce qui oblige ces citoyens sans casier judiciaire à pointer trois fois par jour au commissariat ou à la gendarmerie, et à rester chez eux la nuit (lire ici le récit de l’un d’eux à Télérama, et là à Arrêt sur images).
Les sept ont aussitôt contesté leur assignation à résidence devant le tribunal administratif, dans des procédures en référé. En vain. Six d’entre eux, à qui l'on a dénié le caractère urgent de leur demande pour ne pas avoir à l’examiner, forment donc un pourvoi devant le Conseil d'État. Le septième, dont la demande a été rejetée après examen, dépose pour sa part une requête qui vise à transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur l'assignation à résidence.
En substance, leurs avocats expliquent que les nouvelles dispositions de l’état d’urgence ont été dévoyées pour enfermer chez eux des militants qui ne représentent aucune menace pour l’ordre public, cela sans preuve concrète de leur radicalité supposée, sinon des notes blanches (non datées ni signées) dont l’exactitude est sujette à caution, insiste Catherine Bauer-Violas. « Il s’agit d’une atteinte grave et manifeste aux libertés fondamentales », plaide son confrère Denis Garreau.
Ardues sur le plan technique, les questions posées au Conseil d’État reviennent à lui demander d’arbitrer entre la conception extensive de l’état d’urgence par les pouvoirs publics, qui consiste à éloigner de Paris des militants qui auraient pu venir manifester pendant la COP21, et une conception plus restrictive ne touchant que ceux qui peuvent avoir un lien avec le terrorisme. L’audience du jour ne regroupe d’ailleurs que de supposés activistes écologistes ou anarchistes, alors que le cas d’un imam de Montpellier, lui aussi assigné à résidence (lire nos articles ici et là) doit être examiné lundi.
Dans des conclusions orales très savantes, le rapporteur public, Xavier Domino, fait un distinguo entre « privation de liberté » et « restriction de liberté » pour une « durée limitée ». Selon lui, alors que les forces de sécurité sont entièrement mobilisées après les attentats de novembre, et que se déroule en outre la COP21, ces sept assignations à résidence sont des mesures « nécessaires, adaptées et proportionnées », compte tenu des éléments avancés par le ministère de l’intérieur sur les personnes concernées, et du fait que des « sauf-conduits » peuvent au besoin leur être accordés par la préfecture. Le « principe de proportionnalité » serait, selon lui, respecté. Certes, le rapporteur considère que le caractère d'urgence des six premières demandes aurait dû être reconnu par les tribunaux administratifs concernés, mais sur le fond, il se prononce pour leur rejet. Pour ce qui est de la septième demande, le rapporteur se prononce pour la transmission de la QPC, afin que la question constitutionnelle soit tranchée et les contours de l’état d’urgence mieux définis, mais cela sans effet suspensif sur l’assignation à résidence prononcée.
Dans la soirée, peu après 20 heures, la section du contentieux rend sa décision. Sans surprise, elle se range à l'avis du rapporteur public. Le Conseil d’État estime donc, « en l’état de l’instruction, que chacune des sept mesures d’assignation à résidence dont il était saisi traduisait, compte tenu du comportement de la personne concernée et de la mobilisation particulière des forces de l’ordre, une conciliation entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public qui ne portait pas une atteinte manifestement illégale à la liberté d’aller et venir ». Il juge donc « qu’il n’y avait pas lieu de prononcer de mesures de sauvegarde ». Les avocats sont déçus.
Consulter la décision au sujet de Joël Domenjoud, membre de la legal team de la Coalition climat et assigné à résidence depuis le 26 novembre 2015, 16h30:
Décision du Conseil d'Etat concernant Joël Domenjoud © Mediapart
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