Emissions par niveau de revenus
Faut-il procéder à "l'éradication des hauts revenus et patrimoines" pour conduire une politique climatique sérieuse ? L'ONG Oxfam a publié hier un rapport allant en ce sens, rejoignant ainsi d'autres analyses.
Le rapport d'Oxfam (ici en pdf) commence par souligner quelques évidences : les riches émettent beaucoup plus de gaz à effet de serre, singulièrement du CO2 issu du charbon, du gaz et du pétrole, que les pauvres. Si l'on additionne toutes les émissions des 3,5 milliards de personnes qui constituent la moitié la plus pauvre de la population mondiale, on atteint seulement «10% des émissions totales dues à la consommation individuelle» montre le rapport. A l'inverse «50% de ces émissions sont imputables à 10% des habitants de la planète les plus riches, dont l'empreinte carbone est en moyenne 11 fois plus élevée que celle de la moitié de la population la plus pauvre et 60 fois plus élevée que celle des 10% les plus pauvres. On estime que les 1% les plus riches du monde ont une empreinte carbone moyenne 175 fois supérieure à celle des 10% les plus pauvres», indique Oxfam.
Le vin de Bordeaux et le mil du Sahel
Cette analyse sur les causes du changement climatique se double d'une autre sur ses conséquences. Les pauvres seront les plus victimes de ce changement dont ils ne sont pas
responsables. D'abord parce que nombre des pays les plus vulnérables au changement climatique font partie de ceux où vivent le plus grand nombres des pauvres de la planète, en particulier en Afrique. Le graphique ci-contre, tiré du rapport d'Oxfam, le montre.
Mais aussi parce que les parades aux conséquences du changement climatique nécessitent souvent de la technologie, de l'organisation sociale solide, dotée de compétences et capable d'anticiper l'avenir... bref ce dont les pauvres sont en général privés. Le rapport d'Oxfam souligne ainsi que si 91% des agriculteurs des Etats-Unis sont assurés contre les aléas de la météo, ils ne sont que 1% au Malawi.
Un exemple simple. Dans la région de Bordeaux, l'évolution prévue du climat et notamment des températures va affecter durement les productions de vin. Mais les viticulteurs sont compétents, organisés, et peuvent compter sur un Etat qui fonctionne. Donc, l'INRA - Institut national de recherche agronomique - et les viticulteurs sont déjà en train de tester sur des parcelles expérimentales des cépages venus du Sud, adaptés à des températures plus élevées. Mais où sont les études similaires pour le sorgho ou le mil qui nourrit les populations du Sahel ? Elles n'existent pas.
Publicité et consumérisme
Les chiffres du rapport d'Oxfam soulignent qu'aucune politique climatique sérieuse ne peut esquiver la question des inégalités sociales. Mais il faut le compléter. Tout d'abord en soulignant que si les pauvres des pays riches sont souvent plus émetteurs que les classes moyennes des pays pauvres ou émergents, c'est qu'ils bénéficient de conditions de vie meilleures. Or, la solution du problème climatique ne proviendra pas de la péjoration de ces conditions de vie. Ensuite en notant que ces conditions de vie meilleures s'accompagnent d'un gaspillage massif, et d'un consumérisme qui ne fait manifestement pas le bonheur. Il faut donc compléter l'éradication des grosses fortunes et patrimoines par celle de la publicité comme facteur de consommations inutiles, une des conditions pour mettre en oeuvre une politique de sobriété énergétique et de matières premières généralisée.
Ci-dessous un extrait du livre Les dessous de la cacophonie climatique qui traite de ces questions:
La première piste est une question dure. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Cette question est dure non pas tant par la difficulté d'y répondre que par la multiplicité des réponses et souvent leurs incompatibilités à la fois entre elles et avec l'objectif d'une atténuation réussie du risque climatique. Voulons nous vivre dans un monde juste ou profondément inégalitaire ? Dans un monde où les plus riches pourront se payer un week-end dans un hôtel spatial, emportés par une fusée comme le Spaceshiptwo que propose la Virgin Galactic du milliardaire britannique Richard Branson – bonjour le bilan carbone de cette excursion. Or, qui veut d'un tel monde ? De très nombreux citoyens, responsables politiques et décideurs de l'économie qui prétendent qu'ils détiennent ainsi la meilleure solution pour tous.
Emmanuel Macron, par exemple, le ministre de l’Économie et des finances nommé par François Hollande. Un ministre qui, dans une interview au journal Les Echos le 7 janvier s'exclame : « il faut des jeunes français qui souhaitent devenir milliardaires ». Le ministre prétend qu'une telle ambition est nécessaire pour que l'économie numérique se développe. Chacun peut avoir sur ce sujet l'opinion qu'il veut. La mienne, le lecteur l'aura compris, est qu'un monde sans milliardaires, aux inégalités sociales et économiques limitées, serait probablement un monde plus heureux. Je ne vois guère en effet ce que les plus hauts revenus apportent à notre société, alors que je vérifie chaque jour à quel point de bons mécaniciens, plombiers, enseignants, ingénieurs, médecins ou juges – mais aussi de bons responsables administratifs et politiques - sont nécessaires à notre collectivité. Je ne demande à aucun de mes lecteurs de partager cette opinion. En revanche, je ne vois pas comment concilier une société où de telles inégalités persisteraient avec l'exigence de sobriété énergétique généralisée d'une politique de maîtrise du risque climatique efficace.
Une fausse piste
En l'absence d'une telle sobriété, il faudrait, pour parvenir aux objectifs climatiques de Copenhague, une sorte de miracle technologique. Un miracle permettant aux sept milliards actuels et aux huit à neuf milliards d'êtres humains de la moitié du siècle en cours de consommer autant d'énergie que, mettons, les Européens aujourd'hui, et ceci en n'émettant pas plus de gaz à effet de serre par tête de pipe que les habitants de l'Inde actuellement. Soyons franc : il existe une alternative à ce miracle technologique. Celui de sociétés où les inégalités actuelles persistent, et même s'aggravent, afin de comprimer les consommations d'énergie des pauvres et des classes moyennes. Une telle perspective est-elle réaliste ? Oui... si l'on croit qu'il sera toujours possible de convaincre ou de contraindre les dominés et les pauvres de ces sociétés d'accepter cette situation. Une option qui fait manifestement partie de nombreux programmes politiques à travers le monde. Et qui trouve des soutiens jusque chez les pauvres lorsque ces derniers sont persuadés qu'il leur suffit de travailler dur pour accéder aux niveaux plus élevés de consommation
Cet exemple est choisi afin de souligner une fausse piste : le risque climatique proviendrait d'une décision de quelques uns. De méchants responsables, inconscients ou futiles, avides de profits et de pouvoirs. Certes, notre démocratie n'est pas parfaite. Mais qui a fait d'Emmanuel Macron notre ministre de l’Économie ? Un Président élu par une majorité d'électeurs. Et son adversaire d'alors, Nicolas Sarkozy pour lequel une presque moitié de l'électorat s'est prononcé, n'est pas vraiment un ennemi des inégalités et des milliardaires, il a montré qu'il en était même encore plus proche que François Hollande
Certains prétendent que pour conduire au succès une politique de maîtrise du risque climatique, il faut abolir le capitalisme. Ou que les mesures nécessaires à cette politique, qu'on le veuille ou non, conduiront inéluctablement à cette abolition. C'est par exemple la thèse du livre de Naomi Klein Tout peut changer : capitalisme et changement climatique (Actes Sud). Je ne prétends pas savoir si cette thèse est vraie ou fausse, je crains que les classes dominantes des sociétés capitalistes aient plus d'un tour dans leur sac et soient capables de faire face à ce nouveau défi bien qu'il est vraiment redoutable. Mais quittons ce discours général sur les choix de société en « isme » et concentrons nous sur des éléments concrets et limités. Est-il possible de conduire une politique de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre dans une société profondément inégalitaire ? Où les classes sociales dominantes n'ont aucune limitation à leur consommation d'énergie ? Si la réponse est non, et si le risque climatique est pris au sérieux, alors il faut des politiques de réduction drastique des inégalités. C'est bien l'éradication des hauts revenus et patrimoines qu'il faut viser. Voici donc un bon « marqueur politique » pour jauger la sincérité et la validité d'un discours de gouvernant ou d'aspirant gouvernant sur le climat : mais que dit-il des inégalités sociales et économiques ? Un conseil au citoyen électeur : ne pas se contenter du discours, mais le confronter aux actes lorsque le pouvoir politique est exercé.
► Sous la négociation de la COP-21 la science du GIEC.
► Comment travaille le Giec ?, une interview de Philippe Ciais, l'un des co-auteurs principaux du rapport.
► Le texte en français de la Convention climat de l'ONU.
► Climat : et si la seule vraie controverse était l'économie ?
► Polémiques entre économistes sur le climat. Et une première note sur cette polémique.
► Contradictions entre experts sur les prévisions énergétiques.
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Par Sylvestre Huet, le 2 décembre 2015
Source : http://sciences.blogs.liberation.fr