Deux jeunes ayant manifesté dimanche 29 novembre place de la République malgré l'état d'urgence ont été condamnés, mardi 1er décembre, en comparution immédiate devant la 23echambre du tribunal correctionnel de Paris.
Sur 317 personnes gardées à vue dimanche 29 novembre 2015 à la suite de leur participation au rassemblement interdit place de la République à Paris autour de la COP21, neuf avaient vu leur garde à vue prolongée lundi. Deux d'entre elles ont été condamnées mardi après-midi en comparution immédiate par la 23echambre du tribunal correctionnel de Paris.
L’un, âgé de 28 ans, à trois mois de prison ferme, sans mandat de dépôt, et 200euros de dommages et intérêts pour violences volontaires sur un agent de police et refus de se disperser malgré les sommations. Il est accusé d'avoir jeté une bouteille en verre, dont les éclats ont occasionné une « coupure au-dessus de la lèvre » d'un policier. L’autre, une saisonnière de 25 ans, à 1 000 euros d’amende pour être restée sur la place malgré les ordres, également, et avoir refusé que l’on prenne ses empreintes. « On fait des sommations dans un piège à rat. Pour que les gens se dispersent ? Je ne crois pas », a protesté l’avocate de la défense. Au moins un autre manifestant devrait passer devant le même tribunal, ce mercredi.
Ils sont finalement là, les deux premiers condamnés de la place de la République. Venus manifester en marge de la COP21 alors que l’état d’urgence l’interdisait, David M. et Jorine G. ont été interpellés dimanche 29 novembre. Comme 339 autres manifestants ce jour-là sur cette place. Ils ont ensuite été placés en garde à vue. Comme 315 autres personnes.
Mais seuls eux comparaissaient, mardi 1er décembre, devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris. L’un pour violences volontaires sur un agent de police et refus de se disperser malgré les sommations. L’autre pour être restée sur la place malgré les ordres, également, et avoir refusé que l’on prenne ses empreintes.
A 28 ans, David M. reconnaît « une partie » des faits qui lui sont reprochés. « Le fait d’avoir été là pour la ligne humaine. » Ivre ? Oui, il l’était. Le jet de projectile ? Il l’admet aussi. Mais lui a lancé une canette en aluminium, pas une bouteille en verre dont les éclats ont occasionné une « coupure au-dessus de la lèvre » du policer, comme le décrit la présidente du tribunal. Et c’était parce que recevoir du gaz lacrymogène l’avait énervé, se justifie le prévenu. Il ne pouvait donc pas viser volontairement qui que ce soit, puisqu’il en avait « partout dans les yeux ».
Pourquoi participer à une manifestation interdite « sous l’empire de l’état d’urgence », s’enquiert la présidente. Et surtout, pourquoi ne pas sortir de la place après les sommations ? David M. a été interpellé à 14 h 46 précises – au moment de la deuxième sommation des forces de l’ordre – au milieu des groupes décrits dans le procès-verbal des policiers comme « anarcho-autonomes libertaires ». Lesquels les provoquaient et refusaient de se disperser.
« Ce n’est pas le procès de la manifestation, ni celui des black blocs. C’est le procès de monsieur », insiste son avocate. Certes, monsieur connaît des zadistes. Il a même passé une semaine avec ceux d’Agen et en a croisé « deux ou trois » à Paris au cours du week-end de la manifestation. Mais il ne faisait « pas partie de ces groupes-là », insiste-t-il, désignant ceux qui s’en sont pris aux forces de l’ordre sur la place de la République et se sont même emparés « d’éléments issus du mémorial de la statue en hommage aux victimes » des attentats, précise la présidente, ajoutant l’opprobre moral à celle de la loi.
Sur les captures d’écran de la vidéosurveillance, le prévenu est facilement reconnaissable, avec son sac à dos de randonnée et ses habits clairs. « Une tâche de lumière » au milieu des manifestants les plus énervés, vêtus de noir, souligne son avocate. Il ne cherchait d’ailleurs pas à se cacher, selon lui. S’il avait un tee-shirt autour de la bouche, c’était davantage « pour les odeurs de poivre. » Les yeux rivés sur les clichés, la présidente est sceptique. « On voit tout de même que vous êtes au milieu des échauffourées. » Des clichés également « éloquents » pour le procureur.
« Il n’y a que des personnes avec le visage masqué autour de vous. (…) Pourquoi vous ne reculez pas et allez au contraire au contact des CRS après l’ordre de se disperser ? »
Les sommations, David M. admet les avoir entendues. Mais en regardant dans les rues alentour, les barrages de CRS étaient déjà en place. « J’ai voulu passer, mais je me suis pris un coup de gaz lacrymo. » Une explication qui ne convainc pas le procureur, qui requiert huit mois de prison dont quatre avec sursis et mandat de dépôt à la clef. Car « quand le masque tombe, ou plutôt le foulard dans le cas de monsieur, il faut rendre des comptes ».
Soit finalement trois mois de prison ferme, sans mandat de dépôt, et 200euros de dommages et intérêts. Le parquet de Paris a annoncé avoir fait appel de ce jugement.
Jorine G. prend sa place dans le box des prévenus. Entre la saison des vendanges et des olives, la jeune femme de 25 ans est venue « visiter des amis » à Paris. Et participer à la manifestation. Ne savait-elle donc pas que c’était interdit ? « Sur les réseaux sociaux, elle était maintenue », répond la militante, certes, écologiste, mais version pacifiste. « La violence, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie », insiste-t-elle. Alors elle s’est mise en retrait quand « ça » a commencé. Pas question, en revanche, de quitter la place et « donner raison à cette violence » en s’en allant.
Les sommations, elle affirme ne pas les avoir entendues depuis là où elle se trouvait. Et quand elle a voulu sortir : « Impossible. » Les barrages policiers ont été mis en place autour de la place bien avant la première sommation, selon le procès-verbal des policiers lu par la présidente du tribunal. « On fait des sommations dans un piège à rat. Pour que les gens se dispersent ? Je ne crois pas », estime l’avocate de la défense.
Finalement, ce n’est pas vraiment d’être restée qui lui « vaut d’être ici », souligne le procureur. Ce qu’il lui reproche surtout, c’est d’avoir refusé que l’on relève ses empreintes. « Ça a une importance », insiste-t-il, surtout dans « ce contexte ». Il ne dira pas « état d’urgence ».
« Effectivement, admet la jeune femme, droite dans ses bottes de saisonnière. J’ai considéré que je n’avais pas de raison d’être interpellée. » Alors garder le silence, c’était sa façon de montrer qu’elle n’était « pas d’accord avec la situation. » Pour son avocate, on « frise le ridicule ». Car sur les 317 gardés à vue, deux seulement ont été déférés. « Dont celle-là, lance-t-elle en désignant la glaneuse d’olives à la présidente. Et ce malgré le fait qu’elle a finalement donné son identité trois heures avant que vous ne décidiez de son déferrement pour venirencombrervotre chambre. »
Deux comparutions immédiates, « pour l’instant », lui répond la présidente. Il est 23 h 30 dans la 23e chambre. Jorine G. est déclarée coupable et écope de 1 000 euros d’amende. Au moins un autre manifestant devrait passer devant le même tribunal, mercredi.