Crédit de la carte : Agence Idé
Ce 6 décembre 2015, le Front national arrive donc en tête dans six des douze grandes régions métropolitaines et est en mesure d’en conquérir trois (PACA, Nord-Pas-de-Calais – Picardie et Alsace – Champagne-Ardennes - Lorraine). Avec six millions de suffrages, le parti d’extrême droite gagne 1,3 million de voix comparé aux élections européennes de 2014 et devance désormais les listes d’union de la droite. Il a franchi une marche supplémentaire vers le pouvoir. Et la France une étape de plus dans son lent basculement vers des années de plomb.
Les causes de la résistible ascension du FN sont, elles, bien identifiées. Oui, les attentats du 13 novembre ont certainement amplifié son résultat, cristallisant la peur et les amalgames, renforçant la tentation du repli, de la fermeture. Mais le 13 novembre n’explique pas tout. La région qui compte la plus forte concentration d’immigrés – l’Île-de-France – n’est pas celle qui vote le plus pour l’extrême droite. Et celle-ci réalise des scores relativement faibles dans les quartiers parisiens qui ont connu l’effroi, frappés à deux reprises cette année par le terrorisme djihadiste [1].
Les racines du mal sont plus profondes. Un chômage qui ne cesse d’augmenter depuis bientôt huit ans (!), avec 3,6 millions de personnes sans aucune activité, dont un demi million de jeunes. Un gouvernement qui n’a pas compris l’importance d’offrir d’autres perspectives que l’austérité, le lent délitement des services publics et la soumission aux injonctions de compétitivité. Des inégalités sociales qui persistent. Un accaparement toujours plus important de richesses par une fraction de la population. Une Europe paralysée, au fonctionnement toujours si peu démocratique vingt-deux ans après le traité de Maastricht. Des pays membres incapables de proposer un cadre commun autre que la mise en concurrence sociale, économique et fiscale de tous leurs citoyens. Des gouvernements français et européens incompétents pour adopter une politique extérieure de long terme, claire et cohérente, face à un contexte géopolitique de plus en plus instable – guerres civiles permanentes au Moyen-Orient, inlassables arrivées de migrants africains ou asiatiques fuyant la guerre, des régimes corrompus ou les conséquences du réchauffement climatique.
Mais la progression du FN et son corollaire, l’abstention – près de 22,4 millions d’abstentionnistes, soit 50% des électeurs, auxquels il convient d’ajouter 900 000 votes blancs et nuls – ne se nourrit pas seulement des faillites gouvernementales et européennes. Celles et ceux qui prétendent incarner une alternative à l’austérité, aux inégalités croissantes, à la gestion du court terme comme seule stratégie politique, se révèlent eux aussi incapables de séduire. Les listes de gauche alternatives au PS (EELV, Parti de gauche, PCF, qu’ils se soient alliés ou dispersés) perdent 1,2 million d’électeurs comparés aux régionales de 2010. Seule la liste d’union entre écologistes et Front de gauche en Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées obtient un score honorable, avec 10,26% des votants. Ailleurs, unie ou pas, c’est la déception, voire la débâcle.
Là encore, le triste sort réservé aux alternatives de gauche par les tenants européens d’un austère néolibéralisme débridé, à l’image du bras de fer et des chantages qu’a subis Syriza en Grèce, n’explique pas tout. Empêtrés dans des batailles d’appareils et des luttes de pouvoir personnel, la gauche française ne cesse de démontrer son impuissance à incarner une espérance collective. Une gauche qui, à l’exception de six « dissidents », a voté sans sourciller la prolongation de l’état d’urgence et de son arsenal répressif. Il n’a pas fallu quinze jours après les attentats pour que cet état d’urgence ne s’abatte aussi sur des militants du mouvement social.
La société civile, elle aussi, porte sa part de responsabilité. Qu’en pleine conférence internationale sur le climat, le parti qui compte le plus d’élus ouvertement climato-sceptiques, les plus hostiles à l’écologie, remporte une bataille électorale n’est pas le dernier des paradoxes. Les centaines d’organisations environnementales, qui comptent parfois plusieurs dizaines de milliers d’adhérents, doivent s’interroger sur ce fiasco. Et sur la manière dont elles s’adressent aux citoyens.
En juin 2015, l’ensemble des confédérations syndicales, à l’exception de Force ouvrière, adoptait un texte commun « vivre ensemble, travailler ensemble ». « La montée des populismes, des idées d’extrême droite, de la xénophobie, des sectarismes et des fondamentalismes est une réalité extrêmement inquiétante dans toute l’Europe et notamment en France. En effet, ces dérives n’apporteront aucune solution à la grave crise financière, économique, sociale et politique que nous traversons. Bien au contraire, l’histoire nous enseigne que l’exclusion, le rejet de l’autre, le repli de la France sur elle-même ou la fermeture des frontières, la désignation de boucs émissaires, la dénonciation de l’immigration comme responsable de tous les maux sont des attitudes qui ne peuvent conduire qu’à la division, à l’affrontement et à l’échec », écrivaient-ils. En tant que corps intermédiaires, en capacité de toucher des millions de salariés, leur responsabilité pour mettre efficacement en pratique ces intentions est aujourd’hui lourde.
Il reste les médias. On sait le rôle qu’ont joué plusieurs grands médias dans la diffusion d’actualités anxiogènes, d’amalgames, de préjugés, de xénophobies explicites ou implicites. Pour s’informer, sans se laisser emporter par le flux stérile de l’actualité, pour découvrir et partager des expériences collectives d’alternatives ou de résistances sans sombrer dans une déprimante apathie, pour entendre le point de vue d’acteurs engagés souvent ignorés, de nombreux autres médias existent, notamment dans les régions où désormais l’extrême droite domine.
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Ivan du Roy