Jeudi 05 Novembre 2015 à 17:00
La sénatrice-maire de Calais, Natacha Bouchart, veut construire un parc d’attractions, baptisé Heroic Land, pour redorer l’image de sa ville. Cette fidèle sarkoziste a peu goûté que Marianne s’intéresse à la fine équipe qui planche sur son bébé à 275 millions d’euros. A commencer par Yann Tran Long, le "masterplanner" du parc, un ancien néonazi et ex-mercenaire reconverti dans l’aménagement de manèges, et dont la société, Loftus, placée en liquidation judiciaire en France, est réapparue à Hong-Kong en 2011.
Dix députés socialistes de la région se sont émus du "lourd déficit de transparence" entourant cette affaire. A l’initiative de l’un des leurs, Yann Capet, ils ont saisi la Commission nationale du débat public (CNDP) en y joignant l’article de Marianne. Parmi les signataires, l’ancien ministre des transports et maire de Boulogne-sur-Mer, Frédéric Cuvillier, ou l’ex-maire de Lens Guy Delcourt. L’association France nature environnement a également sollicité la commission pour "l’organisation d’un débat national" en raison des "conséquences économiques et environnementales" liées à la construction du parc. Une double saisine inédite dans l’histoire de cette autorité administrative indépendante créée en 1995.
Les membres de la CNDP – magistrats, élus locaux ou nationaux, représentants syndicaux… – ont voté mercredi en fin de matinée. Verdict : il n’y aura pas de débat d’ampleur nationale avec experts ad hoc auditionnés par cette commission. Non, juste une "concertation locale" cornaquée par la mairie de Calais. "Matignon a fait le passer le message : pas question d’ouvrir un grand débat sur Heroic Land au moment où Valls vient d’accorder 50 millions d’euros à Natacha Bouchart pour ses projets", raconte à Marianne un membre éminent de la CNDP. Qui évoque un possible deal entre le Premier ministre socialiste et la maire Les Républicains : pile, je t’évite un long déballage sur Heroic Land ; face, tu arrêtes de me tacler sur la situation critique des migrants à Calais. Il y a quelques semaines, Natacha Bouchart était montée d’un cran en réclamant carrément l’aide de l’armée pour sécuriser les abords de la "jungle".
Contacté par Marianne, Christian Leyrit, le président de la CNDP, dément toute pression de l’exécutif. Mais cet ancien préfet, nommé par décret ministériel en 2013, admet s’être déplacé lui-même dans le bureau de Natacha Bouchart, au Sénat, pour entendre ses arguments. Une pratique curieuse. Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la Concurrence, ne se rend jamais au siège des grandes entreprises pour discuter avec leurs patrons. Pas plus qu’Olivier Schrameck (CSA) à celui des chaines de télé. "Mme Bouchart devait venir à la CNDP, mais compte tenu de son emploi du temps, on m’a demandé de me déplacer, reconnaît Christian Leyrit, embarrassé. Il ne faut pas y voir la moindre allégeance..."
Dans une lettre adressée à Christian Leyrit, le 29 octobre, que Marianne s’est procurée, la sénatrice-maire de Calais avait pris soin de mettre les choses au point. A la lire, le lancement d’un débat public national serait "disproportionné" en raison, notamment, de son coût, compris généralement entre 500.000 euros et 1 million d’euros. Des frais à la charge du maître d’ouvrage, en l’occurrence Calais promotion, l’agence de développement du Calaisis présidée par Natacha Bouchart. "L’équilibre financier du projet pourrait être compromis", s’alarmait ainsi la sénatrice-maire… qui venait pourtant d’obtenir, quelques jours plus tôt, 50 millions d’euros du gouvernement ainsi que l’aide de la Caisse des dépôts. Trop cher, vraiment, le débat ? Ou trop risqué, la CNDP ayant toute latitude pour examiner la compétence professionnelle des différents intervenants ? Evoquant l’enquête de Marianne sur Yann Tran Long, Natacha Bouchart se permettait même de faire la leçon à Christian Leyrit : "Je serai surprise de voir des arguments sur des personnes privées entrer dans les critères d’examen de votre commission."
La maire de Calais, qui n’a jamais répondu à nos demandes d’interview, ne veut rien savoir sur Yann Tran Long. Ni sur son passé de nazillon, qu’il a d’abord nié avec force auprès d’elle par le biais de son avocat. Ni sur ses accointances avec l’extrême droite. Le concepteur du parc, explique Natacha Bouchart à Nord Littoral, a été "choisi sur ses références économiques". Dans un courrier adressé à Marianne, Yann Tran Long, qui n’avait pas souhaité lui non plus nous parler, précise : "Je n’ai jamais été inscrit comme membre encarté de la FANE (Un groupuscule néonazi actif en France dans les années 80, NDLR) mais je me suis prévalu de cette appartenance pour bénéficier des services de leur avocat lors d’une interpellation." Ah oui ? Les PV d’audition exhumés par Marianne laissaient pourtant peu de place au doute.
Thierry Bouzard, un ancien copain de Yann Tran Long, s’en amuse. "Les cartes, les cartes... Moi non plus je n’étais pas encarté quand je collais des affiches avec Yann." Journaliste au quotidien nationaliste Présent, exclu de Radio Courtoisie pour "provocations" et auteur de nombreux livres sur la musique – dont le dernier, "Des chansons contre la pensée unique" (Editions des Cîmes) fait l’inventaire de tous les groupes dits "de droite" -, Thierry Bouzard a connu Yann Tran Long dans les années 1980. Ils ne se sont jamais perdus de vue. En 2008, Tran Long décide de lancer une gazette spécialisée dans les parcs d’attraction, "Loisirs attractions magazine". Il propose à son vieux camarade de lutte de le suivre dans cette aventure. La Sarl Hippogriffe voit le jour, installée à la même adresse que Loftus, la société d’ingénierie de Tran Long, à Asnières-sur-Seine. Thierry Bouzard en connaît un rayon en matière d’édition : il a longtemps travaillé pour la Serp, le label créé par Jean-Marie Le Pen auquel on doit moult albums sur les chants nazis, les Waffen SS et autres joyeusetés sonores estampillées IIIe Reich… "L’idée de ce magazine était intéressante mais ça n’a pas fonctionné", se souvient Bouzard. Après cinq ou six numéros, les deux compères déposent le bilan. Fâchés. "Tran Long, c’est comme Attila : après son passage, l’herbe ne repousse plus, poursuit l’ancien associé. Il investit des fonds qui ne sont pas à lui et après il s’arrange pour ne pas les rembourser... C’est un escroc, mais il est compétent dans son domaine de l’escroquerie."
Sollicité par Marianne, Yann Tran Long n'a pas souhaité réagir à ces propos. Le comptable de Loftus à l'époque, Benoît Rigolot, n'a pas voulu non plus nous éclairer sur ces questions. Il est vrai qu’il a aujourd’hui d’autres chats à fouetter : en tant que commissaire aux comptes, il a certifié de 2011 à 2013 les comptes de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen. Des comptes qui intriguent la justice et valent aujourd’hui à Frédéric Chatillon, l’ancien prestataire vedette de ce micro-parti, d’être mis en examen pour "escroquerie", "faux et usage de faux" et "abus de bien social". L’avocat de Frédéric Chatillon s’appelle Philippe de la Gatinais. C'est lui qui affirmait à Natacha Bouchart que Yann Tran Long ne "fait aucunement partie de la mouvance d'extrême droite". Le monde est petit…
D’anciens collaborateurs de Loftus ont eux aussi pâti des petites combines du patron. "Je n’ai pas fait la somme exacte de ce que tu me dois mais entre les deux mois de salaire en retard, les frais, la prime de Noël promise depuis maintenant 6 mois et les piges pour Loisirs & Attractions, il y en a pour environ 7000 euros ", écrivait l’un d’eux à Tran Long à l’été 2008. Trois mois plus tard, cet ingénieur démissionnait et récupérait enfin son dû. En réponse, le manitou des manèges, débordé par la construction de son premier parc – et unique à ce jour – en Turquie (un concentré de frissons visible ici ou là), l’avait imploré de "tenir le coup "… C’est tout le mal que l’on souhaite à Natacha Bouchart. Car d’ici 2017 et le début prévu des travaux, le temps risque de lui sembler bien long...
Source : http://www.marianne.net
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