Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Au lendemain des attentats de Paris, les gens se rassemblent place de la République. Photo Guillaume Binet pour Libération
Ils s’appellent Pierre, Mayeul, Stéphane, Antonio, Maud, Lola. Ils étaient au Bataclan, au café, au restaurant ou dans les rues lors des attentats qui ont frappé Paris dans la nuit de vendredi à samedi. «Toujours pas de nouvelles de Chloë : dernière fois vue devant le petit Cambodge ! RT Merci.» «On recherche notre amie Suzon qui était au #Bataclan hier soir. Elle a été touchée.» «Quelqu’un a des news de Nathalie, qui bosse en lumière au Bataclan et était au concert hier soir ?» Des visages de femmes et d’hommes recherchés par leurs proches défilent sur le fil du réseau social Twitter. Des photos de gens heureux, souriant, rieurs, postés aujourd’hui par leurs familles et leurs amis ou copains qui n’ont plus de leurs nouvelles… Et qui n’hésitent pas, parfois, à donner leurs propres numéros de téléphone pour obtenir des informations.
Les demandes portent surtout sur les personnes qui étaient présentes au Bataclan. La salle était pleine pour le concert de Eagles of Death Metal et au moins 82 personnes y ont été tuées, selon les chiffres provisoires de samedi après-midi. Des spectateurs qui pour beaucoup n’ont pas encore été identifiés. Samedi à 14 heures, le hashtag #rechercheparis avait déjà été tweeté, et surtout retweeté, 370 000 fois samedi vers 15 heures. Des messages parfois suivis, quelques heures plus tard, d’autres d’annonces, heureuses ou tragiques. «Durement touchée mais vivante apparemment». Ou encore «cette femme va bien, aperçue quand elle montait dans une ambulance, elle était juste sous le choc».
Des comptes se sont créés spécialement pour relayer les disparitions. «Recherches Paris» a notamment été lancé samedi matin par un Yoann et Marine, un couple de Girondins. Ils se relaient pour retweeter des messages ou directement recueillir des demandes qu’ils diffusent ensuite. «On reçoit beaucoup de messages. Celui de cette dame, par exemple, qui était au Bataclan, explique à Libération Yoann, ancien militaire et aujourd’hui manager dans la grande distribution. Elle s’en est sortie, mais elle n’a pas de nouvelle de sa fille. Elle n’est pas sur la liste des personnes disparues, on sait qu’elle a un tatouage, on a posté sa photo et une description.» Le compte, encore peu suivi, est souvent retweeté. «Si on peut aider, à notre mesure, et amener une petite pierre à l’édifice, même si on est loin de Paris…»
L’élan de solidarité s’est manifesté dès que s’est répandu sur Internet l’écho des attaques. Les Parisiens branchés sur Twitter se sont mobilisés spontanément pour accueillir chez eux toute personne qui en aurait besoin. Blessés, spectateurs du concert en fuite, mais aussi passants terrifiés, incapables de rentrer chez eux parce qu’il n’y a pas de transports, parce que c’est trop loin, parce qu’ils attendent des nouvelles d’un ami. Mot d’ordre : #porteouverte, tweeté plus de 600 000 fois. Les riverains en sécurité chez eux donnaient une indication géographique – «#PorteOuverte dans le Ve, à côté de la Pitié pour ceux qui sortent des urgences ou leur famille» –, les piétons tweetaient le nom de leur rue pour trouver refuge à proximité, puis les deux se retrouvaient en échangeant une adresse précise en message privé. Quelques-uns ont pensé à traduire le mot-clé en allemand, #OffeneTüren, pour héberger les supporters allemands sortant du Stade du France. L’opération a cartonné. «On est déjà 17», tweetait à 3 heures du matin une certaine Nadia, avec la photo d’une chambre, plusieurs matelas au sol, remplie de jeunes filles souriantes.
Pendant que les Français s’organisaient, il semble que c’est aux Etats-Unis qu’a émergé le mot-clé #PrayForParis – «Prions pour Paris» –, tournant en boucle sur les réseaux sociaux tout le week-end comme l’avait fait #JeSuisCharlie au mois de janvier. Le créateur du logo associé a d’ailleurs repris les codes graphiques de #JeSuisCharlie, la police de caractères noire et grise sur fond noir. Avec une tour Eiffel pour le A de Paris. Relayé par Justin Bieber, Pharrell Williams ou le FC Barcelone, #PrayForParis est devenu un blockbuster, diffusé 5,5 millions de fois vendredi à 16 heures. Des internautes hexagonaux ont exprimé leurs réticences, voire leur malaise, face à ce témoignage officiel de la solidarité étrangère. «Bush a attaqué l’Irak au nom de Dieu. Daesh se bat au nom d’Allah. Nous avons fait suffisamment de mal en son nom. Laissez Dieu en dehors de ça, merci», peut-on lire sur une image qui circule largement sur Facebook. Le dessinateur Joann Sfar a publié une série de quatorze dessins sur Instagram.
Sur l’un d’eux, il s’adresse en anglais aux «amis du monde entier» : «Merci pour #PrayForParis, mais nous n’avons pas besoin de plus de religion ! Notre foi va à la musique, aux baisers, à la vie, au champagne et à la joie !» Un message solidaire alternatif propose #PeaceForParis, accompagné d’une tour Eiffel incluse dans le symbole de la paix, déssinée par le graphiste Jean Jullien.
Sur Facebook, rassurer ses proches inquiets a d’abord consisté à mettre à jour son statut : l’un expliquant qu’il avait sa place pour le Bataclan mais qu’il l’a donnée à un ami qui lui-même n’a pas pu s’y rendre, un autre annonçant qu’il a pu sortir de la salle et rentrer chez lui, une amie confirmant qu’il y a eu une attaque en bas de chez elle mais qu’«on va bien». Et puis vers une heure du matin, la notification est apparue sur les smartphones et les écrans d’ordinateur des Parisiens : «Vous allez bien ? Il semble que vous soyez dans la zone touchée par [les] Attaques terroristes à Paris. Informez vos amis que vous êtes en sécurité.» Un simple clic sur un bouton, et tous vos «amis Facebook» étaient immédiatement avertis. De quoi déclencher dès les premières minutes une avalanche de notifications, en l’espèce bienvenues et rassurantes.
Le «Contrôle d’absence de danger» – «Safety Check», en anglais dans le texte – activé cette nuit a d’abord été conçu pour les contextes de catastrophe naturelle. Il a été inspiré par le tremblement de terre et le tsunami de 2011 au Japon: c’est là-bas que, dès 2012, le réseau social testait un système de page dédiée, le «Disaster Message Board», qui permettait déjà de rassurer ses proches. Lancé en octobre 2014, le «Safety Check» s’appuie à la fois sur la ville de résidence renseignée dans le profil des utilisateurs, sur la dernière localisation de ceux qui ont activé la fonction «amis à proximité» sur l’application mobile de Facebook, et sur la ville d’origine de la dernière connexion, pour avertir les utilisateurs potentiellement concernés. Lesquels peuvent également signaler qu’un proche est hors de danger.
Hors de Twitter, un dispositif de prise en charge a été déployé par les autorités. La préfecture de police de Paris a mis en place un numéro d’assistance aux victimes et à leurs proches (0800 40 60 05). Mais en raison de très nombreux appels, ce dernier est parfois difficile d’accès. Sur le site du ministère de l’Intérieur, les personnes souhaitant signaler une disparition peuvent également remplir un formulaire en ligne, de manière à être «recontacté rapidement par un officier de police judiciaire». Les personnes peuvent également y déposer des témoignages anonymes. Face à l’afflux, le site est également en saturation, «mais de nombreuses personnes travaillent à l’entretien du site», assurent les autorités. L’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP) a aussi mis en place un numéro pour ceux qui souhaitent des informations sur l’identité des victimes éventuellement hospitalisées à l’AP-HP (01 40 27 40 27). Et sur Twitter, la mairie du XIe arrondissement de Paris communique aussi un numéro spécial d’urgence pour les touristes.
«Les secours ont été d’une grande aide et très réactifs», raconte un jeune homme de 29 ans qui a réussi à s’enfuir du Bataclan dès les premiers tirs, et que nous avons pu contacter. Il est ensuite retourné sur les lieux, une fois l’assaut terminé, pour tenter de retrouver ses quatre amis avec qui il assistait au concert et dont il n’avait plus de nouvelles. «Je me suis alors fait enregistrer en tant que victime. Puis j’ai passé des coups de fil et j’ai retrouvé deux de mes amis aussi réfugiés dans le quartier. Ils sont alors conduits en bus au Quai des Orfèvres pour les formalités judiciaires, puis apprennent, en appelant le numéro spécial d’urgence, que les deux autres amis sont hospitalisés. Finalement, plus de peur que de mal. On est à leur chevet. Ça a été compliqué pour se retrouver, mais on est tous en bonne santé», raconte-t-il, encore sous le choc.
Pour d’autres, la situation est bien plus lourde. «Ma femme n’est pas dans la liste des victimes. Mais elle n’avait aucune affaire sur elle, puisque nous les avions laissées aux vestiaires», se désole un père de famille contacté par Libération, qui était au Bataclan avec sa femme, mais n’a pas de nouvelles d’elle depuis la fusillade.
A la mairie du XIe arrondissement parisien, deux hommes, un père et son fils, recherchent aussi un proche. Ils discutent vivement au téléphone en mode haut-parleur. «Nous n’avons pas d’information pour le moment», assure une voix, celle d’une autorité. Un des deux hommes demande : «Vers qui pouvons-nous nous tourner ?» «Je ne peux pas vous le dire.» «Vous êtes confondants d’inefficacité», s’emporte, le plus jeune, avant de raccrocher. «Mon frère était au Bataclan, maintenant il est dans la nature , explique-t-il par la suite. Il y a un manque terrible de coordination.»
Ces hommes stationnent dans le couloir qui mène à la salle des fêtes de la mairie, transformée en cellule psychologique. Une vingtaine de personnes attendent d’être reçues. Parmi eux, un homme venu accompagner sa femme sous le choc. De la fenêtre de leur appartement situé en face du Bataclan, elle a assisté à la scène. Un autre homme attend lui aussi. Il était dans la salle de concert lors de la tuerie. N’étant pas blessé, il est rentré chez lui dans la nuit, raccompagnée par sa femme venue le chercher en voiture. Sur le moment, il n’a pas voulu être pris en charge : «C’était déjà très compliqué, je ne voulais pas encombrer les secours.» Avant de se rendre à la mairie, samedi après-midi, sous le choc. Il attend son tour : «Peut-être que ça ira mieux après.»
L’équipe de prise en charge psychologique est composée d’une dizaine de personnes, trois psychiatres, un psychologue venu de Lille et des volontaires parisiens. Frédérique Warembourg, psychiatre rattaché au Samu de Lille, est arrivée ce matin vers 6 heures : «On essaye de remettre des émotions et des mots sur ce qu’ils ont vu ou vécu. On les informe aussi de ce qui peut se passer après, des flashs qu’ils pourront avoir au cours des prochains jours. On leur explique que c’est normal. Mais que si cela dure, ils devront de nouveau faire appel à des équipes spécialisées.» Sa collègue Sylvie Molenda, psychologue rattachée elle aussi au Samu de Lille, explique qu’elle reçoit «beaucoup de gens qui étaient à l’intérieur du Bataclan». Ils accueillent aussi de nombreuses personnes en recherche de proches. «Mais pour ces gens qui sont dans le doute, il est difficile de répondre par le soutien psychologique, poursuit-elle. Certains sont en colère. On ne peut que leur dire de ne pas rester seuls et d’attendre.»
Source : http://www.liberation.fr