Vendredi 06 Novembre 2015 à 17:20
Edwy Plenel est en colère. Dans l’une des longues tribunes enflammées auxquelles il nous a habitués, le fondateur et patron de Mediapart dénonce « le mauvais coup du fisc » contre son site d’information. Il est vrai que le « mauvais coup » en question est rude. Bercy a infligé cette semaine à Mediapart un redressement fiscal de 4,1 millions d’euros. Plenel compte le contester devant la justice administrative, mais ce recours n’est pas suspensif. Mediapart doit donc payer, et tout de suite. Il n’est pas le seul. Arrêt sur images, le site d’information sur les médias lancé en 2008 par Daniel Schneidermann, ainsi qu’Indigo Publications, un groupe qui édite des lettres spécialisées comme PresseNews et La Lettre A, ont également reçu une notification de redressement fiscal.
Pour comprendre l’affaire, il faut remonter à 2008, l’année de fondation de Mediapart et Arrêt sur images. Les nouveaux venus décident alors de s’auto-appliquer le taux réduit de TVA (2,1%) auquel la presse a le droit, et non le taux officiel de 19,6% applicable aux services en ligne. Un pari qui repose sur une ambiguïté juridique : à l’époque, le code des impôts ne tient pas compte des pure players, ces médias qui se lancent uniquement en ligne, sans support papier. Mais le pari reste raisonnable : sous Sarkozy comme sous Hollande, le gouvernement se montre favorable à une harmonisation de la TVA entre la presse en ligne et la presse papier.
De fait, en février 2014, députés et sénateurs adoptent à l’unanimité une loi autorisant la presse en ligne à bénéficier du taux réduit de 2,1%. Mieux vaut tard que jamais... Mais la mesure, votée sous la pression du Spiil, le syndicat de la presse en ligne indépendante, n’est pas rétroactive. Alors le fisc s’obstine : pas question de faire cadeau à Mediapart des impayés de la période 2008-2014. Dont acte.
Pour Edwy Plenel, pas de doute : si le fisc s’acharne sur lui, c’est parce qu’il dérange le pouvoir. « Affaiblir Mediapart était bien le but des initiateurs de ce redressement fiscal dont la chronologie est politiquement bavarde : déclenché précisément un an après le début de l’affaire Cahuzac, il avait reçu le feu vert préalable de la même haute administration de Bercy qui avait accompagné le mensonge de l’ex-ministre du Budget face à nos révélations sur son compte suisse non déclaré », écrit-il. Le fisc donnerait donc libre cours à sa vengeance : sus à Plenel et ses scoops tapageurs sur notre malheureux ex-ministre !
« A chaque étape, on nous a répondu : “ce n’est pas nous qui décidons”. Et lorsqu’on demande qui décide, c’est le silence total ».
L’argumentation est un peu courte, puisque Mediapart n’est pas seul en cause. Maurice Botbol, le patron d’Indigo Publications, insiste quant à lui sur la méthode, « choquante » selon lui. « La charte du contribuable impose un débat contradictoire avec l’administration fiscale. Or, nous ne l’avons pas eu », explique-t-il à Marianne. « A chaque étape, on nous a répondu : “ce n’est pas nous qui décidons”. Et lorsqu’on demande qui décide, c’est le silence total. En réalité, ce sont des hauts fonctionnaires de la DGFip (la Direction générale des finances publiques) qui se cachent ».
L’enjeu, c’est bel et bien l’équilibre économique de ces nouveaux médias. En effet, Mediapart, qui doit payer 4,1 millions d’euros, a réalisé un million de bénéfice en 2014. Arrêt sur images, auquel le fisc réclame 540.000 euros, n’a dégagé que 5.500 euros de résultat. Certes, les deux sites ont provisionné de l’argent pour faire face à cet éventuel redressement, mais pas suffisamment. Ils ont donc chacun lancé un appel aux dons, en attendant de poursuivre la bataille sur le plan judiciaire.
L’affaire met en lumière une contradiction : ce que l’Etat réprime chez Mediapart et Arrêt sur images, il le défend bec et ongles à Bruxelles. En juillet 2014, la Commission européenne a en effet lancé une procédure contre le taux réduit décidé par la France pour la presse en ligne, y voyant une atteinte au droit de la concurrence. Procédure que le gouvernement conteste... avec les mêmes arguments que les médias qu’il prétend redresser fiscalement !
Voilà qui ne devrait pas clarifier la position d’un gouvernement déjà en proie aux affres de l’incohérence fiscale. On a ainsi vu cette semaine l’exécutif demander aux retraités modestes de ne pas payer leurs impôts locaux, puis reculer également sur l’allocation adulte handicapé et la réforme des dotations aux collectivités. La situation est cocasse : d’un côté, des particuliers et des élus exonérés au moins couac ; de l’autre, une presse indépendance forcée à payer jusqu’au dernier centime. Preuve que la souplesse fiscale prônée par le gouvernement en cet automne pré-électoral est à géométrie variable.
Source : http://www.marianne.net
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