Il est près de 19 h 15, mardi 3 novembre, quand enfin le débat s’anime entre Manuel Valls et les étudiants de Sciences Po. Depuis plus d’une heure, le chef du gouvernement, invité par l’école parisienne à plancher sur le thème de la réforme, déroule un discours convenu et sans aspérités. Il rappelle que « la France est un grand pays » avec « ses paysages, ses reliefs et son climat tempéré », mais qu’elle souffre d’une « perte de confiance profonde » liée à la « crise économique, sociale et démocratique », mais aussi à une « crise d’identité » et « de l’autorité ». Des formules déjà plusieurs fois entendues ces derniers mois.
M. Valls qui, après sa nomination à Matignon en mars 2014, s’était inquiété que « la langue politique [soit] devenue une langue morte », ne fait rien pour la ressusciter. Le gouvernement, selon lui, « assume les responsabilités », fait « le choix du progrès et de la réforme », affronte le « défi terroriste », le « défi climatique » ou celui de « la lutte contre les inégalités », dans un « monde globalisé » où « les réseaux sociaux accélèrent le temps » L’ambiance est cordiale, la salle écoute poliment, mais les 400 étudiants somnolent légèrement dans la chaleur de l’amphithéâtre Boutmy.
« M. Valls, vous êtes-vous assagi ? »
Jusqu’à ce que l’un d’entre eux réveille l’auditoire en posant la question qui est sur les lèvres de tous les observateurs du monde politique depuis la rentrée. « M. Valls, on vous a connu briseur de tabous, on a connu un Manuel Valls qui voulait changer le nom du PS, qui voulait un blairisme à la française, vous êtes-vous assagi ? Vous semblez avoir perdu de votre fougue réformatrice, alors n’êtes-vous pas un peu frustré, voire bloqué par François Hollande ? », demande Benjamin, élève en 4e année.
Piqué au vif, le premier ministre retrouve alors ses accents vallsiens. Reconnaissant « avancer avec des compromis parce qu’on ne peut pas gouverner à la schlague », il affirme néanmoins « n’avoir pas perdu [sa] force de conviction et [sa] volonté de changer les choses ». A l’écouter, s’il a moins besoin que par le passé de faire des coups d’éclat, c’est parce que sa ligne s’est imposée à gauche. Plus besoin d’être transgressif puisqu’il serait devenu majoritaire. En somme, ce n’est pas Valls qui se serait « hollandisé », mais plutôt le chef de l’Etat et l’ensemble des socialistes qui se sont « vallsisés ».
« Sur la sécurité, j’ai fait évoluer profondément la gauche, il n’y a plus de débat, je n’ai pas besoin d’être frondeur ou à part », explique M. Valls. Idem sur la laïcité où son « message » est désormais « la ligne politique majoritaire au sein de la gauche », ou sur la compétitivité économique et la baisse des charges aux entreprises, deux thèmes qu’il « port [ait] déjà dans [son] discours durant la primaire de 2011 ». Répétant à quatre reprises qu’il ne se sent « absolument pas frustré », M. Valls jure au contraire être « plutôt bien dans [ses] baskets ». « Là où je suis, avec la confiance du président et de la majorité, j’avance et je suis utile à mon pays », assure-t-il.
Le premier ministre termine en évoquant le vote des étrangers, promesse de 2012 non tenue. A ses yeux, non seulement cette réforme « ne peut pas se faire » faute d’une « majorité qualifiée », mais elle n’est « plus une priorité » car « le vrai sujet » est de « renouer avec la naturalisation », ajoutant qu’il est « convaincu qu’elle ne sera pas proposée à la prochaine présidentielle ». « Il ne faut pas courir derrière des totems », conclut M. Valls, redevenu briseur de tabous l’espace d’un instant.
- Journaliste au Monde