De notre envoyé spécial à Bruxelles.- C’est un accord « technique », dans le jargon bruxellois, aux allures de provocation pour de nombreux eurodéputés. À peine cinq semaines après les révélations sur la fraude de Volkswagen, les États membres de l’Union se sont entendus, mercredi, pour alléger certaines des contraintes qui encadreront, jusqu’en 2020, les tests antipollution pour les voitures.
La norme sur l’oxyde d’azote, émis par les véhicules diesels, reste stable : pas plus de 80 milligrammes au kilomètre (conformément à la régulation dite « Euro 6 », négociée en 2007). Sauf que les constructeurs automobiles se sont vu octroyer des marges de tolérance particulièrement généreuses, qui leur permettront de dépasser allègrement le seuil : de 110 % jusqu’en 2019 pour les nouveaux véhicules, puis encore de 50 % à partir de 2020.
La commission européenne de Jean-Claude Juncker, qui chapeaute ce processus de définition de tests antipollution, proposait à l’origine une approche plus restrictive, avec un seuil de tolérance fixé à 60 % dès 2017, selon des informations du Monde. Un laps de temps jugé suffisant, pour que les constructeurs – qui emploient 12 millions de personnes dans l’UE – s’adaptent.
Mais plusieurs États membres, à commencer par l’Allemagne, sont montés au créneau pour adoucir l’approche. La République tchèque a même voté contre le compromis, le jugeant encore trop contraignant pour l’industrie automobile, tandis que les Pays-Bas, eux, se sont abstenus, pour protester contre ce manque d’ambition. La France, elle, a soutenu le texte, comme une large majorité des 28.

Les partisans de ce compromis rappellent qu’en parallèle, une mesure encore plus contraignante – qui a été actée, elle, en mai dernier – sera mise en place : les tests automobiles ne seront plus seulement « sur banc d’essai », c’est-à-dire effectués en laboratoire, mais aussi en conditions réelles. D’après la commission européenne, les émissions d’oxyde d’azote des véhicules diesels sont sous-estimées à hauteur de… 40 % lorsque l’on se contente de tests de banc d’essai. Si bien qu’il y a fort à parier que quasiment aucun véhicule diesel en circulation aujourd’hui ne respecte en fait les critères d’« Euro 6 », sur les fameux 80 milligrammes.
Prise dans son intégralité, la nouvelle procédure, qui sera en vigueur à partir de septembre 2017, revient donc tout de même à durcir les tests. Mais bien moins que prévu. « C’est une décision à contresens, regrette l’eurodéputée socialiste Christine Revault D’Allonnes, jointe par Mediapart. Nous venions juste de voter une résolution au parlement européen, qui cherche à durcir les normes antipollution, et là, au même moment, les États membres remontent les taux de pollution autorisées… ».
L'eurodéputée des Républicains (LR) Françoise Grossetête (membre du PPE, le premier groupe du parlement) y voit plutôt une forme de pragmatisme bienvenue : « Cette flexibilité va de pair avec les nouvelles mesures de test qui ont été adoptées, en conditions réelles. (...) Nous devons être pragmatiques et ambitieux, il est inutile de fixer des objectifs auxquels personne ne pourra se conformer. »
Du côté des écolos, le ton est plus musclé. « On entend des blabla de la part des dirigeants sur le fait qu’il faut sauver la planète, mais en sous-main, les États donnent leur feu vert pour baisser les normes antipollution, s’est agacée l'eurodéputée Michèle Rivasi, au micro de France Inter. On donne un blanc-seing aux constructeurs automobiles, contre la santé des Européens. » EELV avait aussi convoqué une manifestation jeudi en fin d’après-midi devant les murs du ministère de l’écologie.
Si l’eurodéputée écologiste parle d’une décision « en sous-main », c’est que le compromis négocié mercredi a été établi au sein d’une instance opaque, mise sur pied en 2011 à Bruxelles pour définir ces fameux tests automobiles « en conditions réelles ». Il s’agit du Technical committee on motor vehicles (TCMV), constitué de représentants des États membres, et présidé par la commission européenne. Sa composition n’est pas publique, « pour des raisons de protection des données », explique-t-on du côté de l’exécutif bruxellois.
Le TCMV relève d’une pratique bien connue à Bruxelles, la « comitologie », qui consiste, pour la commission européenne, à sous-traiter à des comités d’experts l’élaboration de tout un pan de normes jugées très techniques. Des centaines d'entités de ce genre fonctionnent à Bruxelles, de manière plus ou moins régulière. Le parlement européen ne peut que contrôler a posteriori ces normes. Aux yeux de certaines ONG, c’est une opportunité en or, pour les industries, de renforcer leur lobbying, en intégrant ces arènes de discussion peu connues du grand public.
Dans le détail, le TCMV s’appuie sur les travaux d’un sous-comité, au sein du groupe de travail plus large consacré à l’automobile, constitué d’experts de l’industrie mais aussi des ONG. « Composés d'acteurs extérieurs aux statuts divers, ces groupes ont un pouvoir strictement consultatif, qu'ils exercent dans une phase aussi cruciale que souvent peu publicisée » de la prise de décision à Bruxelles, analysait Cécile Robert, maître de conférences à l'Institut d'études politiques (IEP) de Lyon, dans une enquête consacrée aux « experts bruxellois » publiée par Mediapart en 2011.
Tout le débat, dès lors, est de savoir si la composition de ces collectifs est, au cas par cas, biaisée au profit de l’industrie (on peut lire ici la composition du sous-groupe sur les émissions des véhicules motorisés, dont dépend celui sur les tests automobiles, à titre d'exemple). Certains ne manquent pas de noter l'extrême lenteur des travaux de ces « experts » sur l'automobile, puisqu'il leur a fallu pas moins de quatre ans, une fois la décision politique prise, pour s'entendre sur la méthodologie des nouveaux tests antipollution… De là à penser que ces panels d’experts cherchent surtout à ralentir l’avancée des réformes…
« Les États membres complotent dans le dos des citoyens pour autoriser les dépassements des plafonds autorisés. Ils arrangent soigneusement la législation européenne pour protéger le lobby de l’automobile dans un déni démocratique total et intolérable », s'indigne l’eurodéputée écolo Karima Delli. « Le fait que des représentants de l’industrie siègent au sein du TCMV (…) pose un sérieux problème de transparence dans la prise de décision, et surtout, représente un déni de démocratie flagrant », juge, de son côté, la délégation socialiste française à Strasbourg.
Selon les traités, le parlement européen, et le conseil (qui représente les 28 capitales), ont désormais trois mois pour contester s'ils le souhaitent la décision prise par le TCMV. S’ils y parviennent (il faudrait par exemple une majorité en session plénière à Strasbourg), la décision sera annulée. Mais l’affaire est loin d’être gagnée. Une majorité d’eurodéputés ont refusé, en début de semaine, de mettre sur pied une commission d’enquête sur le scandale Volkswagen.
Source : http://www.mediapart.fr
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