Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Des citoyens veulent savoir s'ils sont fichés par les services

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Des citoyens veulent savoir s'ils sont fichés par les services

|  Par Louise Fessard

 

 

Une quarantaine de citoyens réclament en justice les éventuelles informations les concernant contenues dans les fichiers de renseignement. Le 9 octobre, le Conseil d'État a ordonné au ministère de l'intérieur de lui communiquer toutes les données concernant un ancien élu écologiste.

 

De façon non concertée, une quarantaine de citoyens français mènent une course de fond devant la justice administrative pour savoir s’ils sont fichés par les services de renseignement et pour accéder aux informations les concernant. Malgré plusieurs décisions favorables du tribunal administratif puis de la cour d’appel de Paris, l’État ne lâche rien, faisant systématiquement appel devant le Conseil d’État au nom de la sécurité nationale.

Depuis août 2008, Raymond Avrillier, ex-élu grenoblois écologiste de 67 ans, cherche à récupérer les informations le mentionnant dans les archives de la Direction de la surveillance du territoire (DST), des Renseignements généraux (RG) et les fichiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui leur a succédé. Ancien requérant contre le réacteur nucléaire Superphénix, à l’origine de l’affaire Carignon qui fit tomber pour corruption en 1994 le maire RPR de Grenoble et ministre de la communication du gouvernement Balladur, puis de l’affaire des sondages de l’Élysée, ce retraité savoyard a quelques raisons objectives de penser que les services ont pu s’intéresser à lui. Ne serait-ce que parce que le préfet de l'Isère lui a attribué en 2008 le titre de maire adjoint honoraire de Grenoble, « ce qui suppose qu'il se soit fait communiquer les éléments RG me concernant et prouve donc l'existence a minima d'un dossier me concernant à la préfecture de l'Isère ».

Mais le ministère de l’intérieur refuse au motif que toute communication, même celle de sa simple présence ou pas, « porterait atteinte aux finalités » du fichier Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux (Cristina), tenu par la DGSI.

Le 9 octobre 2015, le Conseil d’État a donné un mois au ministère de l’intérieur pour lui communiquer, et à lui seul, les informations qu’il détient concernant Raymond Avrillier ou « tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer » afin de « lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la légalité de ce dernier ». Seuls les juges auront accès à ces « éléments », qui ne pourront « être communiqués aux autres parties, auxquelles ils révéleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non-publication du décret l'autorisant ».

C’est une atteinte au principe du contradictoire qui garantit que tout élément produit en justice soit communiqué à l’adversaire et puisse faire l’objet d’un débat. « Il faut faire sacrément confiance à son juge, remarque Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Paris Ouest-Nanterre. C’est un contentieux surréaliste. Le citoyen se retrouve dans un flou total : il attaque un fichage, dont il ne sait même pas s’il existe, dans un fichier dont il ne connaît pas le contenu, puisque le décret l’autorisant n’a pas été publié, et le juge va vérifier ce contenu au vu d’une finalité elle aussi inconnue. »

De son côté, Raymond Avrillier commence à trouver la plaisanterie un peu longue : « 2008-2015, un septennat de procédure pour accéder à mes propres données ! » D’autant que le risque est réel qu’au terme de ce parcours d’obstacle, la justice française se contente de lui indiquer que l’État a eu raison de ne lui communiquer aucun élément.

Sous des aspects un peu ardus, c’est une vraie question démocratique qui est en jeu : l’ensemble des éléments touchant les services de renseignement relèvent-ils du secret de la défense nationale et peuvent-ils échapper à tout réel contrôle de la justice ? Pour les fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, la loi prévoit un « droit d’accès indirect ». Un magistrat de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) vérifie à la place du citoyen ses données et demande au besoin leur modification. Mais il faut à la Cnil l’autorisation du service gestionnaire du fichier, ministère de l’intérieur ou de la défense, pour communiquer au citoyen le résultat de ses investigations. À chaque fois, la réponse est négative : la Cnil indique avoir procédé aux vérifications demandées et... ne pas pouvoir apporter de plus amples informations.

Saisi à propos d’un refus d’accès au système d’information Schengen, le Conseil d’État avait jugé en novembre 2002 que « lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, il peut comprendre, d’une part, des informations dont la communication à l’intéressé serait susceptible de mettre en cause les fins assignées à ce traitement et, d’autre part, des informations dont la communication ne mettrait pas en cause ces mêmes fins ». C'est-à-dire que l'État doit distinguer dans ses fichiers entre ce qui est communicable et ce qui ne l'est pas. Ce principe de divisibilité vaut également pour les fichiers de renseignement : en juillet 2003, le Conseil d'État a donné raison à un membre de l'église de scientologie qui réclamait les informations le concernant contenues dans les fichiers des services des RG. 

Le 4 juillet 2013, la cour administrative d’appel a donc estimé que ce principe s’appliquait également au fichier Cristina de la DGSI et que cette dernière devrait y effectuer un tri entre ce qui relève du secret-défense et ce qui n’en est pas. Mais le ministère de l'intérieur a fait appel. « Plutôt que de prendre acte d'une jurisprudence établie qui garantit le droit des personnes, un gouvernement de gauche, qui n'avait pas de mots assez durs contre les fichiers de Sarkozy, essaie de revenir en arrière », regrette Virginie Gautron, maître de conférences en droit public à l'université de Nantes.

Pour le ministère de l’intérieur, toute information détenue par la DGSI est a minima classifiée confidentiel-défense et incommunicable au quidam. C’est une interprétation très extensive de l’arrêté du 27 juin 2008 qui accompagne la création de ce « FBI à la française » voulu par Nicolas Sarkozy. Celui-ci impose une classification pour « toutes instructions, tous renseignements et tous documents ou supports relatifs aux missions, aux objectifs, à l'organisation et au fonctionnement de la direction centrale du renseignement intérieur ». Pas moins, mais pas plus. « Ils ont dû saisir un élément dans mon dossier qui relève du secret de la défense nationale et décider que cela l'emporterait pour l'ensemble de mes données », explique Raymond Avrillier.

Sous le même prétexte, l’État avait refusé en 2008 de publier le décret autorisant la création du fichier Cristina, géré par la DGSI, qui a repris les données de l'ex-DST, ainsi qu'une partie de celles des ex-RG. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà censuré plusieurs fichiers de renseignement étrangers au motif de la non-publication des textes les instituant. Selon un arrêt de la Cour, la population est en effet en droit de connaître « le genre d’informations pouvant être consignées », « les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance », « les circonstances dans lesquelles peuvent être prises ces mesures », leur  « durée de leur conservation », et quelles sont « les personnes autorisées à consulter les dossiers ». Ce qui n'est pas le cas en France, qui risque donc à terme elle aussi une condamnation.

Le dossier de l’ancien élu écologiste Raymond Avrillier est le premier mais pas le dernier à atterrir devant la plus haute juridiction administrative. Le Conseil d’État devrait se prononcer d’ici quelques mois sur 13 autres recours, dont celui de Camille Polloni, journaliste de Rue 89, et d’Eva Ottavy, ex-salariée de Migreurop. Selon le dernier rapport de la Cnil, pour la seule année 2014, 33 citoyens ont déposé un recours devant la justice administrative pour savoir s’ils étaient fichés par les services de renseignement. Ce fichage peut avoir des impacts directs sur leur vie professionnelle.

Le contradictoire bafoué

En juin 2012, Eva Ottavy, 35 ans, s’est ainsi vu refuser par la direction chargée de l’immigration au ministère de l’intérieur la carte d’accès aux zones d’attente aéroportuaires indispensable pour son travail au sein de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé). « L’administration a indiqué à l’Anafé qu’une enquête était nécessaire au vu des informations qu’elle avait reçues, explique la jeune femme. Nous nous sommes dit que j’étais fichée par les services. »

Eva Ottavy pense que ce fichage présumé remonte au procès de sans-papiers accusés d'avoir incendié le Centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, en février 2010. « J’avais suivi l’ensemble des audiences en première instance et en appel pour le réseau Migreurop, se souvient-elle. C’était assez chaud, nous étions accompagnés par les CRS à la sortie du palais de justice de Paris et il était évident qu’il y avait aussi des agents de la DCRI. » Eva Ottavy a fini par obtenir sa carte en 2013, mais aimerait « toujours comprendre ce qui s’est passé ». « Être fichée est une chose, mais là, ça m’interdisait de faire mon travail ! » s'exclame-t-elle.

La journaliste Camille Polloni, 29 ans, suit quant à elle depuis 2009, pour Les Inrocks puis pour Rue 89, les questions de police et de libertés. Poussée par « un mélange de curiosité et de soupçons que certaines rencontres professionnelles avaient pu faire l’objet d’une surveillance et être consignées », elle tente depuis près de quatre ans de récupérer toute information la concernant dans les fichiers de renseignement des ministères de l’intérieur et de la défense. Elle informe régulièrement les lecteurs des péripéties de ce parcours du combattant. Même si la journaliste reconnaît n’avoir subi aucun préjudice direct d’un éventuel fichage, celui-ci pose des problèmes évidents pour la protection de ses sources et donc la liberté d’information. « Cela pourrait conduire à les identifier et porter atteinte à leur sécurité », souligne Camille Polloni.

Mais, au lieu de jouer en sa faveur, sa profession constitue aux yeux du ministère de la défense un argument de plus pour lui refuser toute information. Dans un mémoire cité dans cet article, le ministère estime « logique » ce refus, « sans préjudicier à la liberté de la presse qui n’est nullement en cause », au vu du « caractère sensible des sujets librement traités par Mme Polloni, aussi bien que le profil des personnes avec lesquelles elle a pu être en contact dans le cadre professionnel ».

Son avocat, Me Camille Mialot, juge cette argumentation « scandaleuse », d’autant plus qu’elle est signée « d’un membre du Conseil d’État en détachement au ministère de la défense ». « En fichant des journalistes, il n’est plus besoin de les mettre sur écoute, puisqu’on sait en vous suivant qui vous rencontrez », relève-t-il. Au vu de la jurisprudence de la Cour européenne, « très protectrice du secret des sources », la France risque selon lui « une condamnation européenne du fait de l’inaction du Conseil d’État à protéger les libertés fondamentales ».

Pour ces 13 citoyens, le tribunal administratif de Paris a ordonné à l’État, dans une série de jugements prononcés fin 2014 et début 2015, de lui communiquer les éléments les concernant dans les fichiers des divers services de renseignement ou, « le cas échéant », de justifier « la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion ». L’État a fait appel. Le 25 juin 2015, la cour d’appel administrative de Paris lui a donné tort :

« Si les ministres se prévalent du caractère indivisible des informations contenues d’une part dans les fichiers de la DCRI, devenue la direction générale de la sécurité intérieure, d’autre part dans les fichiers de la DRM, de la DGSE et de la DPSD du ministère de la Défense, et s’ils font valoir que l’autorité gestionnaire d’un fichier de souveraineté est autorisée par la loi et le décret à ne communiquer aucune information tenant au contenu ou à l’existence même de données concernant un individu, eu égard aux finalités de renseignement du fichier ou pour des motifs tenant à la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, ces circonstances ne peuvent faire obstacle à la communication au juge des informations utiles à la solution du litige lorsque cette communication est la seule voie lui permettant d’assurer l’effectivité du contrôle juridictionnel », a rappelé la cour d’appel. Bien décidés à ne tolérer aucune brèche dans le mur du secret-défense, les ministères de l’intérieur et de la défense ont porté l’affaire devant le Conseil d’État.

Dans un rapport d’information sur les filières djihadistes, les sénateurs se sont eux aussi inquiétés en avril 2015 de ces « risques juridiques qui peuvent amener les services à dévoiler leurs techniques d’investigation ». Heureusement, la récente loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 verrouille les possibilités de recours du citoyen, mettant ainsi le holà à cette dangereuse guérilla juridique !

Désormais, le Conseil d’État sera la juridiction administrative compétente « en premier et dernier ressort » en matière de renseignement, qu’il s’agisse de techniques de surveillance ou de fichiers. Ces affaires seront jugées par une formation spécialisée, composée de trois magistrats habilités au secret de la défense nationale, dont le président sera nommé par le premier ministre. Ces trois magistrats et leurs collaborateurs auront accès aux fichiers de renseignement, mais auront interdiction de révéler au requérant s’il y « figure ou non ». En cas de données « inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte […] est interdite », ils pourront toutefois demander aux services de les corriger ou de les effacer et d'en informer le requérant « sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale ».

De même, concernant les techniques de surveillance, en cas d’absence d’illégalité constatée, le requérant sera juste informé que tout est en règle, « sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre d'une technique ». Dans le cas contraire, les juges pourront ordonner la « destruction des renseignements irrégulièrement collectés » et en informer la personne concernée « sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale ».

Officiellement, il s'agit de créer un véritable « contrôle juridictionnel » sur les techniques spéciales de surveillance utilisées par les services de renseignement (sonorisations, écoutes, Imsi-catcher, etc.). « Aujourd’hui, le contrôle juridictionnel des activités de renseignement est parfois contrarié lorsque le juge n’a pas accès à certains documents couverts par le secret de la défense nationale », argue Jean-Jacques Urvoas, président socialiste de la commission des lois, dans son rapport d'avril 2015. Pour la juriste Virgine Gautron, la loi introduit « certes quelques avancées, car le ministère de l'intérieur ne pourra plus refuser de donner des informations aux magistrats sous prétexte de secret-défense, mais l'atteinte au principe du contradictoire est telle qu'il n'y a pas en France de droit au recours effectif ! ».

Le décret, signé le 1er octobre 2015 par le premier ministre Manuel Valls et sa garde des Sceaux Christiane Taubira, qui précise les conditions kafkaïennes de ce contrôle juridictionnel, bafoue en effet le principe du contradictoire. Le citoyen n’aura pas accès aux documents couverts par le secret de la défense nationale produits pour sa défense par l’État ou la Commission de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette exclusion ne se limite pas au secret-défense, elle concerne également les écrits qui « confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement », « divulguent des éléments contenus dans le traitement de données » ou « révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement ».

De plus, dans ce cas, le requérant ne pourra assister aux débats et n’aura pas accès aux conclusions du rapporteur public. « On voit mal comment une personne pourrait argumenter pour sa défense à partir du moment où elle ne dispose d'aucune information », souligne Viriginie Gautron. Bref, il lui faudra faire une très grande confiance au Conseil d’État…

 

 

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article