Censuré par Canal+, un documentaire d'enquête très attendu sur le Crédit mutuel sera diffusé, mercredi 7 octobre, à 23 h 15, dans l'émission Pièces à conviction, sur France 3. Mediapart diffuse plusieurs extraits du film, qui décortique un vaste système d'évasion fiscale.
Le Crédit mutuel risque fort de passer du statut de « banque à qui parler », si l’on en croit son slogan historique, à « banque dont on va parler ». Et pas qu’en bien. Largement révélée il y a un an par Mediapart (voir ici, ici et là), l’affaire Crédit mutuel se retrouvera, mercredi 7 octobre à 23 h 15, au centre d’un documentaire d’enquête très attendu de l’émission Pièces à conviction (France 3), dont nous diffusons plusieurs extraits en avant-première.
Après avoir connu une vie souterraine mouvementée – commandé et validé par Canal+ avant d’être brutalement censuré par Vincent Bolloré –, le film réalisé par Nicolas Vescovacci et Geoffrey Livolsi se fonde sur des dizaines de témoignages et des centaines de documents internes à la banque. Il faut dire que les soupçons, dont se sont également emparées les autorités judiciaires, que ce soit en France ou à Monaco, ne sont pas minces.
À l’instar d’UBS ou de HSBC, le Crédit mutuel est aujourd’hui suspecté d’avoir laissé prospérer en son sein un vaste système offshore ayant permis la fuite de capitaux de riches clients français vers l’étranger, par l’intermédiaire de plusieurs de ses filiales en Suisse et à Monaco. Pour le cinquième groupe bancaire français, qui aime à vanter son esprit mutualiste, par ailleurs premier opérateur de presse quotidienne régionale, cela fait mauvais genre.
Le travail des journalistes, piloté par le rédacteur en chef Jean-Pierre Canet (l’un des cofondateurs de l’émission Cash Investigation), est considérable. Pour la première fois, les trois lanceurs d’alerte à l’origine du scandale s’expriment longuement face à une caméra. Il a fallu un an pour convaincre les trois banquiers de parler.
Depuis qu’ils ont signalé à la justice de présumés faits de fraude fiscale et de blanchiment, les lanceurs d’alerte sont dans le viseur de la banque. Le président du Crédit mutuel, Michel Lucas, est même allé jusqu’à les traiter publiquement, sur Radio Classique, de « racketteurs ». Pourtant, dans le même temps, la banque tentait de négocier discrètement avec les impétrants. Ils ont refusé, craignant de voir leur silence acheté.
Toute l’affaire est partie de Monaco. Et plus particulièrement de l’agence de la banque Pasche, filiale à 100 % du Crédit mutuel au moment des faits – depuis le scandale, le Crédit mutuel s’est opportunément séparé de sa filiale, en la vendant à une banque luxembourgeoise. C’est à Monaco que travaillaient les lanceurs d’alerte. Là qu’ils ont été témoins de ce qu’ils n’avaient jamais vu auparavant dans leur carrière. Et ils ont pris peur, ne voulant pas devenir complices d’un système de blanchiment international.
Cela ne s’invente pas : dans les milieux financiers, la banque Pasche est surnommée sur le Rocher la « banque cash » tant les espèces y coulaient à flots sans le moindre contrôle (voir nos nouvelles révélations).
Le documentaire de Pièces à conviction balaie avec minutie et pédagogie, documents à l’appui, tous les trucs et astuces mis en place par la banque pour maquiller l’arrivée de cash non déclaré. Cela commence, par exemple, avec un certain Luca S., officiellement vendeur de vêtements sur un marché en Italie, mais qui encaisse en réalité des centaines de milliers d’euros d’espèces en quelques mois seulement, sans que la banque n'y voie quoi que ce soit à redire. Le dossier de Luca S. offre d’ailleurs l’une des scènes les plus savoureuses du film. Quand le journaliste lui demande si, en fait, l’intéressé ne travaillerait pas plutôt pour une organisation criminelle, Luca S. répond : « Moi, criminel ? Tu veux que je vienne et que je te casse le bras ? »
Pour visualiser la 1ère vidéo cliquer ici
Mais le cas Luca n’est qu’un aperçu du système. Le magazine de France 3 diffuse également l’aveu enregistré du directeur de la Pasche Monaco, Jürg Schmid, lors d’un entretien avec l’un des lanceurs d’alerte. Ce dernier lui demandait de signaler aux autorités de contrôle monégasques tous les comptes litigieux de la banque, ainsi que la loi l’impose. Réponse du patron : « Je n’ai pas envie de m’expliquer à droite, à gauche… On va tous se retrouver à la rue […]. Nous, à la banque Pasche de Monaco, on doit accepter de temps en temps des clients que d’autres banquent n’accepteraient certainement pas pour ouvrir des comptes. »
À cet instant, l’affaire prend une tout autre ampleur. En effet, parmi les clients sulfureux que la Pasche accepte, et pas les autres, figure un certain Ricardo Teixeira, un ancien dirigeant de la FIFA impliqué dans plusieurs dossiers de corruption. « J’en ai un, qui est le grand Brésilien, que personne n’a accepté à Monaco parce que c’est un fer chaud », avoue Jürg Schmid. Un « fer chaud » est un client brûlant, risqué. C’est bien le cas de Teixeira : il a déposé 30 millions d’euros d’origine suspecte à la Pasche Monaco. Or, dans le cadre de l’enquête internationale qui secoue depuis plusieurs semaines la FIFA, le FBI évoque un pot-de-vin en faveur de Teixeira de 30 millions d’euros, versé à Monaco, en marge de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Mais ceci ne doit être qu’un hasard.
Derrière son image (officielle) de banque ouverte sur les autres, empathique et solidaire, le Crédit mutuel et ses filiales montrent dans le documentaire de France 3 un tout autre visage. Celui de l’omerta. De l’esquive. Et de la gêne. Impossible pour les reporters de Pièces à conviction d’obtenir le moindre commentaire officiel, malgré les nombreux documents qu’ils sont prêts à opposer à la banque. Exemple avec Jürg Schmid, toujours lui, qui va jusqu’à menacer l’un des journalistes et tente de lui chiper ses papiers : « Je vous tape dessus », dit-il. Ou encore avec Alain Fradin, directeur général du groupe Crédit mutuel, qui, interrogé dans la rue après de multiples refus d’entretien, prend la tangente.
Impossible également pour les journalistes d’obtenir une entrevue avec le patron de la banque Pasche en Suisse, Christophe Mazurier. Il y en avait, pourtant, des questions à lui poser. Bailleur de fonds de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, il a personnellement déposé en 2011 plus de 4 millions d’euros d’origine inconnue sur le compte d’une société offshore au Panama, la Para Inversiones Assets.
Mais le meilleur restait à venir. Dans la seconde partie de leur enquête, consacrée aux soupçons d’évasion fiscale vers la Suisse organisée directement depuis les agences du Crédit mutuel de Paris et de Lyon, les journalistes ont mis la main sur une pépite. Il s’agit d’un carnet manuscrit, car il ne faut laisser aucune trace informatique. Il appartenait à l’un des chargés d’affaires de la banque. Il contient tous les pseudonymes des clients fraudeurs. Ces derniers sont en fait dissimulés derrière le nom d’un écrivain célèbre, comme dans une très mauvaise série. Et derrière chaque roman associé se cache un compte (voir ici).
Pour vérifier le caractère opérationnel de ce carnet, les reporters filment une scène qui devrait rester dans les mémoires. Ils appellent le siège de la banque Pasche en Suisse, se faisant passer pour l’un des faux écrivains (mais vrai fraudeur) du carnet.
Source : http://www.mediapart.fr
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